Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 25 octobre 2018 à 15h00
Reconnaissance des proches aidants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Vous semblez ne pas trouver le chemin du nouveau monde, madame la secrétaire d’État. Peut-être avez-vous besoin d’être aidée ?… §

Chaque Français, à un moment de sa vie, est amené à devenir un aidant. Cela sera malheureusement de plus en plus le cas, compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques et neurodégénératives.

S’appuyer sur des proches aidants sera une nécessité croissante. Selon une étude, le travail des aidants familiaux représente entre 0, 6 % et 0, 8 % de notre PIB. Il s’agit d’un travail non reconnu, dont la valeur atteint chaque année entre 12 et 16 milliards d’euros.

Citer ces chiffres, alors que chaque histoire est unique et personnelle, donner une valeur monétaire à ces actes, alors qu’ils sont des preuves d’amour et de solidarité, me trouble et m’interpelle. À travers la singularité des parcours, ces chiffres jettent un regard froid et direct sur l’universalité de la condition humaine. Je salue donc tout particulièrement l’engagement de notre collègue Jocelyne Guidez, qui, depuis le début de son mandat, a travaillé sans relâche sur cette problématique.

Au moment où nous mettons en place une nouvelle stratégie de santé, plus tournée vers la prévention, cette proposition de loi est une main tendue pour répondre à un enjeu social et sociétal majeur. Il s’agit de favoriser la reconnaissance des proches aidants, de les épauler dans leur mission et de leur apporter le soutien qui leur est dû. Il s’agit, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, d’être à la hauteur de la situation.

Les proches aidants, eux, le sont inconditionnellement, quitte à en perdre la vie, pour 30 % d’entre eux, qui décèdent avant leur proche.

Cette triste réalité, je tente de la raconter, mais chacun d’entre vous pourrait le faire. L’aidant est une personne naturellement désignée qui accompagne un proche fragilisé. Bien souvent, il ne se rend pas compte qu’il est un aidant, il est le parent, le conjoint, l’enfant, l’ami, le voisin.

Ce proche endossera la responsabilité des démarches administratives de l’aidé au moment où le récent diagnostic affectera profondément ce dernier. Il s’occupera des courses, du lever, du coucher, du repas, de la toilette et, souvent, il s’oubliera lui-même, remettant à plus tard ses propres rendez-vous médicaux, ses loisirs, sa vie, en somme. Le risque d’isolement et de traumatisme psychologique est important.

Les aidants salariés vivent un conflit entre leur obligation professionnelle et leur obligation morale. Pour y mettre un terme, beaucoup quittent leur emploi ou réduisent leur activité. À la fragilité sociale, s’ajoute alors la fragilité économique.

L’aidant se trouvera épuisé par la multiplicité et la dispersion des canaux d’information comme par le manque de temps, et ses interrogations grandiront : puis-je disposer d’un moment de répit ? Si je quitte mon emploi, quid de ma retraite ? Qui peut m’aider ? Dans ces péripéties de la vie, le proche aidant forme un duo avec l’aidé, mais seul ce dernier est visible, reconnu et pris en charge. Est-ce juste ? Non.

Aussi, en prévention, un appui médico-social modulé selon l’intensité de sa charge devra être consacré à l’aidant.

Des associations de soutien émergent ces dernières années, comme l’Association française des aidants et le collectif « Je t’Aide », qui distinguent et référencent les initiatives positives. Les collectivités s’organisent aussi en s’appuyant sur des fondations ; des conseils départementaux à la conférence des financeurs, beaucoup d’initiatives se font jour, sur tous les territoires. Des groupes de parole et des temps forts sont mis en place, mais cela n’est pas suffisant.

Les proches aidants sont au cœur de cette proposition de loi. Notre rapporteur, Olivier Henno, a détaillé le dispositif dont je rappellerai seulement les objectifs : détecter l’aidant le plus rapidement possible ; lui fournir les éléments nécessaires pour qu’il puisse se faire accompagner, ainsi qu’un soutien financier pour qu’il ne mette pas son propre avenir en péril ; lui permettre d’être reconnu sans crainte dans son entreprise et auprès des médecins de l’aidé ; lui garantir l’automaticité d’accès à ses droits, quelle que soit la situation de la personne aidée, dépendante ou handicapée ; assurer, enfin, un lien, identifiable rapidement par les services de secours, entre aidant et aidé.

En commission, plusieurs amendements du rapporteur qui tendaient à améliorer l’efficacité du dispositif sans en changer la philosophie ont été adoptés.

Nous ne pouvons plus remettre cette question à demain. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est non pas l’adoption d’un texte par un Sénat d’opposition, mais l’adoption d’un texte par des représentants de la République, unis autour d’une cause commune. Nous devons prendre une décision pour que, à l’avenir, notre société soit juste et humaine, humainement juste et justement humaine.

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