Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de toutes les révolutions qu’a connues notre pays depuis 1789, la plus heureuse et peut-être la plus importante est la « révolution scolaire ».
C’est avec les lois dites « Jules Ferry » instaurant la gratuité, la laïcité, mais aussi l’obligation de la scolarité, dans les années 1880, que s’est réellement développé et démocratisé l’enseignement, d’abord au niveau primaire. La République offrait ainsi à tous ses enfants l’accès au savoir, leur permettant d’espérer une progression sociale à travers la réussite scolaire et la reconnaissance des mérites de chacun. À tous ses enfants, dis-je – ou presque, devrais-je ajouter.
Au fil des décennies et des Républiques, l’esprit desdites lois a été décliné et complété, avec une démocratisation de l’accès au collège, puis au lycée, enfin à l’université. Mais cette belle œuvre de diffusion du savoir dans toutes les couches de la société a longtemps, trop longtemps, oublié les enfants en situation de handicap.
Avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont beaucoup de nos collègues ont parlé, la scolarisation des élèves handicapés en milieu scolaire est devenue un principe de droit. On a ainsi fait beaucoup pour accueillir ces élèves différents et pour les intégrer au mieux au sein des classes.
L’instauration, en 2000, des auxiliaires de vie scolaire, AVS, désormais accompagnants des élèves en situation de handicap, AESH, a été une étape charnière. Aujourd’hui, il est d’ailleurs difficilement envisageable d’imaginer la scolarisation des enfants handicapés sans l’aide des AESH.
A contrario, bien des parents, mais aussi des enseignants, déplorent le nombre insuffisant de ces personnels dont le statut et la formation sont à préciser. La récente rentrée scolaire a d’ailleurs eu son lot de déceptions et de mécontentements, avec de nombreux enfants sans AESH, mais aussi beaucoup d’AESH prérecrutés, mais finalement remerciés sans explication, le lendemain ou la semaine suivante – de nombreux exemples pourraient être cités dans mon département de l’Oise.
Afin d’améliorer encore cette insertion des élèves en situation de handicap au cœur des classes « traditionnelles », il pourrait être précieux de permettre aux enseignants de mieux appréhender et comprendre les difficultés spécifiques et toujours particulières de ces enfants. En effet, le code de l’éducation prévoit très précisément, dans son article L. 721-2, que « les écoles supérieures du professorat et de l’éducation […] organisent des formations de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations, à la scolarisation des élèves en situation de handicap. »
Or, dans la réalité, même si chaque ESPE, ou école supérieure du professorat et de l’éducation, présente ses particularités, la prise en considération de la problématique des enfants handicapés est au mieux rare et insuffisante, au pire inexistante.
Aussi pourrait-il être pertinent et formateur d’inclure dans le cursus des futurs professeurs une période consacrée exclusivement à l’accompagnement d’élèves handicapés. C’est d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée le 13 juin dernier, qu’a évoquée mon collègue et ami Philippe Mouiller et qui a été cosignée par près de cent sénateurs siégeant sur tous les travées, ou presque, de l’hémicycle.
L’idée est simple : durant sa formation, l’apprenti enseignant remplirait pour plusieurs semaines – pourquoi pas pour un mois, voire pour un trimestre ? – la même mission qu’un AESH, afin de bien intégrer les attentes et les besoins de l’élève qui se trouve sous sa responsabilité. L’expérience ainsi acquise serait évidemment utile aux futurs « maîtres » lorsqu’ils auront à gérer des effectifs comprenant un ou plusieurs élèves en situation de handicap, que ces derniers soient ou non « tutorés » par un AESH.
L’autre intérêt de ce dispositif serait de permettre la prise en charge individuelle d’enfants handicapés en bien plus grand nombre qu’aujourd’hui. Le coût d’une telle mesure serait par ailleurs très raisonnable. D’autres pistes sont aussi à creuser dans le cadre de la formation continue des enseignants titulaires. C’est une question d’imagination, mais surtout de volonté gouvernementale.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est essentiel de renforcer les effectifs d’AESH, ainsi que d’améliorer leur statut et leur formation en les professionnalisant, il est tout aussi indispensable de former les enseignants eux-mêmes à cet accueil des élèves en situation de handicap.
C’est au soin qu’elle apporte aux plus fragiles qu’on mesure la grandeur et la dignité d’une société. En matière de scolarisation des élèves en situation de handicap, des progrès ont été réalisés, mais il reste beaucoup à faire.