Le président Bizet a rappelé la vigilance de Catherine Morin-Desailly sur les sujets numériques. Elle est connue et respectée et j'en veux pour preuve la co-signature de la proposition de résolution par plus de quatre-vingt sénateurs, dont un certain nombre d'entre vous !
Pourquoi ? Quel est le constat ?
Les faits, c'est la place de plus en plus grande des réseaux et médias sociaux dans le débat public : paroles, écrits, photos, vidéos sont transmis, échangés, partagés à une très grande vitesse. Et nous, politiques, sommes de plus en plus interpellés sur des phrases ou des vidéos qui circulent sur la toile. Certains chercheurs parlent de « viralité », je crois que le terme n'est pas trop fort.
Or, ces dernières années, le phénomène a pris une mauvaise tournure avec, d'une part, la propagande terroriste - la Commission européenne a mesuré que pour le seul mois de janvier 2018, quelque 700 nouveaux contenus de propagande officielle de Daech ont été diffusés sur internet -, et, d'autre part, le phénomène des fausses informations, les fake news et désormais « infox ». Ces fausses informations circulent de plus en plus, car de mieux en mieux relayées, et durant des campagnes électorales en risquant d'altérer le vote par des contrevérités. Le phénomène est désormais bien connu, mais il se renouvelle de scrutins en scrutins, sans qu'on parvienne à l'endiguer. L'actualité nous en fournit deux exemples : les élections présidentielles au Brésil et la campagne des élections de mi-mandat américaines.
Il se passe des choses néfastes sur les plateformes qui hébergent ou transmettent des contenus, comme Facebook, Twitter, Youtube, Instagram, etc. Ce qui pose problème, c'est qu'elles sont régies en droit européen par une règle établie par la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000, qui les définit comme de simples intermédiaires techniques. Ce faisant, elle les exonère de toute responsabilité, ou presque, quant aux contenus qu'elles propagent. Et cela limite notre pouvoir de contrainte sur elles.
Or, nous l'expliquons dans notre rapport, toutes ces plateformes ont été créées après 2000. Comme le rappelle Catherine Morin-Desailly, elles participent à ce que l'on appelle le web 2.0 : les internautes ne font pas que consulter ou télécharger des contenus sur ces plateformes, ils peuvent aussi les commenter, les modifier, les transmettre ou les relayer. Et dans ce web 2.0, les plateformes ont intérêt à ce que les contenus circulent, peu importe ce qu'ils véhiculent. En effet, ce sont la publicité ou les données personnelles qui rémunèrent les plateformes, et plus le trafic augmente, plus il y a de publicité, plus la rémunération est importante.
Nous avons fait sur ce sujet une petite recherche et trouvé que la délégation pour l'Union européenne du Sénat dénonçait déjà cette déresponsabilisation totale en 1999. Notre président s'en souvient certainement ! Tout comme vous vous souvenez peut-être que les débats furent à l'époque très durs, y compris pour la transposition de la directive dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004.
Là où le bât blesse, c'est que la directive de 2000 a prévu un régime des plus libéraux dans l'Union pour favoriser le développement d'internet et des plateformes, dans le but de voir émerger des acteurs européens. Mais, comme on le voit, cela a surtout favorisé les grands acteurs américains ou internationaux. D'une part, ils sont devenus des groupes mondiaux qu'il devient très difficile de réguler, et, d'autre part, eux-mêmes semblent parfois dépassés par l'usage abusif qui est fait de la technologie qu'ils proposent.
Face à ces évolutions, la Commission européenne s'est toujours refusée, depuis 2000, à rouvrir le débat sur la responsabilité des hébergeurs de contenus en ligne.
Avant de passer la parole à Colette Mélot, je partagerai avec vous une analyse et une mise en perspective. Je pense que, pas plus que nous, la Commission n'a vu venir le phénomène des fake news et la propagande orchestrée durant les campagnes électorales, qui est un phénomène relativement nouveau. En second, je rappelle que régir et réguler internet est une activité ne permettant pas de savoir exactement où on va, ce qui peut expliquer une certaine prudence. Les mobilisations ont été nombreuses depuis dix ans. Une pétition contre la loi LCEN avait même réuni, à l'époque, 130 000 internautes. On voit bien que ce sujet pose problème pour le fonctionnement de la démocratie.
Enfin, vous le savez comme nous, depuis 2015 et le lancement de sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne a présenté une multitude de textes. Je crois qu'elle n'a pas voulu que la mise en oeuvre de cette stratégie soit « polluée » par un débat de définition de chaque acteur. Cela ne veut pas dire qu'on doit en rester là !