Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport d'André Gattolin et Colette Mélot sur la proposition de résolution européenne de Catherine Morin-Desailly sur la responsabilisation partielle des hébergeurs.
Je vous rappelle que, le 11 octobre, nos deux collègues nous avaient soumis une proposition de résolution européenne sur les relations entre les entreprises et les plateformes en ligne.
Tout cela traduit la grande attention portée par notre commission, grâce au travail mené par nos deux rapporteurs, aux questions portant sur les enjeux du numérique. Je veux aussi saluer les initiatives de Catherine Morin-Desailly. Elles permettent de formaliser dans des résolutions européennes les préconisations de la mission d'information dont elle avait été la rapporteure.
J'ai lu avec intérêt le présent rapport. Le temps va très vite : les premières mesures prises en la matière sont aujourd'hui déjà inappropriées.
Je donne la parole à nos rapporteurs.
Le président Bizet a rappelé la vigilance de Catherine Morin-Desailly sur les sujets numériques. Elle est connue et respectée et j'en veux pour preuve la co-signature de la proposition de résolution par plus de quatre-vingt sénateurs, dont un certain nombre d'entre vous !
Pourquoi ? Quel est le constat ?
Les faits, c'est la place de plus en plus grande des réseaux et médias sociaux dans le débat public : paroles, écrits, photos, vidéos sont transmis, échangés, partagés à une très grande vitesse. Et nous, politiques, sommes de plus en plus interpellés sur des phrases ou des vidéos qui circulent sur la toile. Certains chercheurs parlent de « viralité », je crois que le terme n'est pas trop fort.
Or, ces dernières années, le phénomène a pris une mauvaise tournure avec, d'une part, la propagande terroriste - la Commission européenne a mesuré que pour le seul mois de janvier 2018, quelque 700 nouveaux contenus de propagande officielle de Daech ont été diffusés sur internet -, et, d'autre part, le phénomène des fausses informations, les fake news et désormais « infox ». Ces fausses informations circulent de plus en plus, car de mieux en mieux relayées, et durant des campagnes électorales en risquant d'altérer le vote par des contrevérités. Le phénomène est désormais bien connu, mais il se renouvelle de scrutins en scrutins, sans qu'on parvienne à l'endiguer. L'actualité nous en fournit deux exemples : les élections présidentielles au Brésil et la campagne des élections de mi-mandat américaines.
Il se passe des choses néfastes sur les plateformes qui hébergent ou transmettent des contenus, comme Facebook, Twitter, Youtube, Instagram, etc. Ce qui pose problème, c'est qu'elles sont régies en droit européen par une règle établie par la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000, qui les définit comme de simples intermédiaires techniques. Ce faisant, elle les exonère de toute responsabilité, ou presque, quant aux contenus qu'elles propagent. Et cela limite notre pouvoir de contrainte sur elles.
Or, nous l'expliquons dans notre rapport, toutes ces plateformes ont été créées après 2000. Comme le rappelle Catherine Morin-Desailly, elles participent à ce que l'on appelle le web 2.0 : les internautes ne font pas que consulter ou télécharger des contenus sur ces plateformes, ils peuvent aussi les commenter, les modifier, les transmettre ou les relayer. Et dans ce web 2.0, les plateformes ont intérêt à ce que les contenus circulent, peu importe ce qu'ils véhiculent. En effet, ce sont la publicité ou les données personnelles qui rémunèrent les plateformes, et plus le trafic augmente, plus il y a de publicité, plus la rémunération est importante.
Nous avons fait sur ce sujet une petite recherche et trouvé que la délégation pour l'Union européenne du Sénat dénonçait déjà cette déresponsabilisation totale en 1999. Notre président s'en souvient certainement ! Tout comme vous vous souvenez peut-être que les débats furent à l'époque très durs, y compris pour la transposition de la directive dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004.
Là où le bât blesse, c'est que la directive de 2000 a prévu un régime des plus libéraux dans l'Union pour favoriser le développement d'internet et des plateformes, dans le but de voir émerger des acteurs européens. Mais, comme on le voit, cela a surtout favorisé les grands acteurs américains ou internationaux. D'une part, ils sont devenus des groupes mondiaux qu'il devient très difficile de réguler, et, d'autre part, eux-mêmes semblent parfois dépassés par l'usage abusif qui est fait de la technologie qu'ils proposent.
Face à ces évolutions, la Commission européenne s'est toujours refusée, depuis 2000, à rouvrir le débat sur la responsabilité des hébergeurs de contenus en ligne.
Avant de passer la parole à Colette Mélot, je partagerai avec vous une analyse et une mise en perspective. Je pense que, pas plus que nous, la Commission n'a vu venir le phénomène des fake news et la propagande orchestrée durant les campagnes électorales, qui est un phénomène relativement nouveau. En second, je rappelle que régir et réguler internet est une activité ne permettant pas de savoir exactement où on va, ce qui peut expliquer une certaine prudence. Les mobilisations ont été nombreuses depuis dix ans. Une pétition contre la loi LCEN avait même réuni, à l'époque, 130 000 internautes. On voit bien que ce sujet pose problème pour le fonctionnement de la démocratie.
Enfin, vous le savez comme nous, depuis 2015 et le lancement de sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne a présenté une multitude de textes. Je crois qu'elle n'a pas voulu que la mise en oeuvre de cette stratégie soit « polluée » par un débat de définition de chaque acteur. Cela ne veut pas dire qu'on doit en rester là !
Je partage pleinement les propos d'André Gattolin.
Il serait injuste de dire que l'Union européenne n'a rien fait face aux phénomènes que nous constatons. Cependant, elle a privilégié des actions ciblées, pragmatiques, fondées sur la coopération et l'autorégulation du secteur. Deux exemples l'illustrent : la lutte contre les fausses informations et la lutte contre le terrorisme.
Sur la désinformation, la Commission européenne a présenté, le 26 avril, 2018 une communication, qui a donné suite à une consultation publique et à un rapport élaboré par un groupe d'experts de haut niveau. Plusieurs mesures concrètes ont été prévues : un code de bonnes pratiques contre la désinformation pour les plateformes en ligne, qui a été adopté officiellement le 16 octobre dernier ; un réseau européen indépendant de vérificateurs de faits, soutenu par la création d'une plateforme en ligne européenne sécurisée consacrée à la collecte et à l'analyse des données ; le renforcement de l'éducation aux médias et la promotion d'informations de qualité et diversifiées ; le soutien aux États pour qu'ils assurent une plus grande résilience aux élections et la promotion de systèmes volontaires d'identification en ligne pour favoriser la traçabilité de ceux qui mettent des informations sur le réseau.
Si ces mesures vont dans le bon sens, elles restent limitées. La mise en oeuvre du code de conduite par les plateformes fait déjà l'objet de critiques ; il s'agit d'engagements individuels de chacune d'elles et non d'engagements communs et mesurables. On peut comprendre l'intérêt de ce paquet : mettre en oeuvre rapidement, en vue des élections européennes, une série de mesures pour protéger la campagne des élections contre la désinformation. Mais on ne pourra pas s'en tenir à cela !
Une autre initiative, législative celle-là, mérite notre attention. Il s'agit d'un projet de règlement du 20 septembre dernier qui traite de la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste. Il est porté par le Commissaire Julian King. Notre commission ne l'a pas encore analysé, aussi je me bornerai à une mise en perspective avec notre sujet. Le texte prévoit qu'un contenu à caractère terroriste soit supprimé dans le délai d'une heure après sa mise en ligne et fait peser l'obligation de retrait sur l'hébergeur. Pourtant, à en croire son exposé des motifs, ce projet de règlement s'inscrit dans la continuité des règles de la directive sur le commerce électronique et le respect du statut d'hébergeur sans responsabilité sur les contenus...
Derrière cette contradiction apparente, on voit bien la logique qui préside à l'action de la Commission européenne : il s'agit de compléter la règle établie en 2000, soit en l'atténuant, soit en la renforçant, mais sans la modifier. Cette approche, certes pragmatique, est non seulement contradictoire, mais aussi limitée.
C'est pourquoi, nous sommes d'accord avec l'objet de la proposition de résolution qui nous est soumise, c'est-à-dire ouvrir des négociations à Bruxelles afin de créer un statut pour les hébergeurs de contenus, visant à les responsabiliser, au moins partiellement.
Le sujet fait consensus en France : c'est le cas au Sénat, je pense, mais aussi au sein de l'exécutif. Deux rapports, l'un sur la désinformation, l'autre sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, l'y invitent. Le Premier ministre se montre intéressé et le secrétaire d'État au numérique y semble prêt.
Le moment est le bon. Si l'actuelle Commission a toujours refusé d'ouvrir ce débat, son mandat se termine bientôt. À nous, Français, de pousser d'une seule voix pour que le mandat de la prochaine Commission inclue ce dossier !
Il nous faudra aussi convaincre nos partenaires européens. Le sujet fait moins consensus parmi eux : en dehors de l'Allemagne et de l'Autriche, seul le Royaume-Uni semble être sur la même ligne, mais sa situation va l'empêcher de peser. Beaucoup d'États membres s'inscrivent dans la tradition d'une intervention minimale vis-à-vis des plateformes numériques, comme on le voit aussi sur le dossier de la taxation.
C'est pourquoi, dans ce contexte, cette proposition de résolution nous paraît bienvenue. Elle permettrait au Sénat d'adopter une position claire assez tôt dans le débat, au service d'un message français adressé à nos partenaires et à la Commission européenne.
Par conséquent, nous vous proposons d'adopter la résolution sans modification.
Je salue le travail de nos rapporteurs, lequel s'inscrit dans la durée. Il faut souligner aussi le rôle important du Commissaire Julian King, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris.
L'orientation prise par la Commission européenne devra être jugée dans le temps long. En Europe, nous sommes en retard en termes de technologie, mais en avance sur le plan de l'éthique. Il faut trouver le juste équilibre entre un encadrement coercitif et la libéralité permettant l'innovation.
L'enfer est pavé de bonnes intentions puisque les propositions faites lors des débuts d'internet ont abouti au résultat inverse de ce que nous espérions. La France est isolée sur ces questions en Europe ; nos seuls alliés pourraient être les Britanniques, qui ont d'autres problèmes en ce moment.
Les grands groupes de l'internet se débrouillent à merveille pour échapper à tout, à la fiscalité comme au contrôle des contenus. Mais il y a une volonté, au niveau tant parlementaire que gouvernemental, de mieux maîtriser les choses. Il faut faire davantage, au regard notamment de la cybercriminalité.
J'approuve la proposition de résolution, mais il serait bon d'y ajouter un avis politique afin que l'on puisse s'adresser directement à la Commission.
Le sujet est immense et l'on n'en connaît pas les limites. Je m'interroge sur la sécurité. Comment définir le pouvoir que l'on pourrait confier à une autorité de contrôle ? Est-il possible de fermer des verrous, de créer des interdits dans ce domaine ? Au-delà des déclarations d'intention, quelles mesures de rétorsion prévoir contre les fausses nouvelles, qui engendrent de la suspicion et de l'insécurité ?
La capacité d'imagination de ces groupes est du même niveau que celle de la grande distribution ; on a toujours l'impression d'être à la traîne !
Je soutiens cette proposition de résolution, même si elle est a minima. Un avis politique renforcerait la position de la France dans ce combat au niveau communautaire. Ce sujet est stratégique pour le futur.
Sur le plan scientifique, des vérités établies sont battues en brèche via les fake news, qui, une fois diffusées, sont impossibles à enlever du subconscient de nos concitoyens. C'est dramatique !
La toile représente, à la fois, le meilleur et le pire. Les problèmes posés sont d'ordre démocratique, éthique, et liés à la sécurité. La course de vitesse est permanente entre les hébergeurs et les démocraties. Les pays de l'Union européenne tentent d'encadrer la diffusion de l'information, mais ces mesures sont à chaque fois insuffisantes.
La volonté est-elle assez forte en Europe pour réguler ce marché ? Il nous faut des champions dans le domaine du numérique, mais comment les faire émerger ? En matière de fiscalité des GAFA, on a vu combien il était difficile d'accorder les différentes positions des États membres. Or on ne peut pas compter sur les grands hébergeurs pour s'autoréguler. Ils ne le feront que sous la pression de la loi, qui prend la forme de directives européennes, et sous celle de la société civile. Une bataille politique est à mener pour exiger davantage d'éthique.
Je suis inquiet de l'impuissance actuelle et du déséquilibre des forces entre les GAFA et les pouvoirs publics. Aux États-Unis, la forme que prend la diffusion de certaines informations exacerbe les tensions et aboutit à la violence politique. Nous n'en sommes pas si loin en Europe, où des responsables politiques exploitent les faiblesses des dispositifs. L'Union européenne doit réagir plus fortement, et l'envoi d'un avis politique est une très bonne idée.
La technologie avance plus rapidement que nos législations. La prise de conscience du problème par l'opinion publique est un moyen de faire pression sur les grands opérateurs.
L'Allemagne a récemment mis en place une législation contraignante. Les retours sont-ils positifs ?
Il y a comme une chape de fatalisme... Quand la prévention est difficile, ne doit-on pas anticiper et se faire plus diabolique que le diable ? Il faudrait un système mixte qui permette, à la fois, de réprimer et d'anticiper.
Nous ne sommes qu'au début du phénomène. C'est un espace de domination américain qui se met en place. L'ensemble du système est d'ores et déjà sous le contrôle des États-Unis, et cela s'aggravera si l'on ne fait rien. À égard, la proposition faite dans le rapport mériterait d'être durcie.
Quand les États-Unis accepteront de nouveau de dialoguer, il faudra mettre en place une autorité mondiale, car ce sujet est du même niveau que l'énergie atomique. Je ne pense pas que la Commission européenne ait le pouvoir de contrôler quoi que ce soit en la matière. Un gendarme mondial est nécessaire sur ces sujets.
À propos de gendarmes mondiaux, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est en effet à une période charnière. L'actuelle phase américaine nous empêche d'élever le débat, ce qui nous expose à des affrontements stériles.
Il faut une réflexion globale sur la philosophie des États membres à l'égard d'internet. Il y a un groupe composite de huit à dix pays qui refusent toute régulation, pour des raisons parfois divergentes. Des pays nordiques et baltes invoquent une logique de marché ouvert et de coopération. D'autres - le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Irlande -, qui mènent une politique fiscale différentielle, pour ne pas parler de dumping, s'approprient une partie de la richesse produite par le commerce en ligne sur l'ensemble du territoire européen. Il faut aussi citer une myriade de pays, dont Chypre ou Malte, qui prônent aussi la non-régulation.
L'Union européenne est fondée sur les principes budgétaires de la réparation et de la redistribution. Tel est l'esprit, par exemple, de la politique agricole commune. Aujourd'hui, avec l'économie numérique et les jeux fiscaux pratiqués par certains États membres, nous recréons de l'inégalité au sein de l'Europe.
La présente proposition de résolution ne remplacera pas une régulation sur les fausses nouvelles car, au sein de l'Union européenne, les États prêts à réguler ne sont pas majoritaires. Certains jouent leur propre partition pour des raisons économiques et de relation historique avec les États-Unis.
Le code de bonnes pratiques a été signé quelque peu sous la contrainte par Google, Facebook, Firefox, Twitter, car la Commission les a menacés, s'ils ne le faisaient pas, de légiférer avant la fin 2018. Mais de nombreuses clauses sont refusées par les signataires, comme celles prévoyant l'engagement de moyens technologiques, d'investissements, des achats de produits, la création de dispositifs améliorant la vérification de l'information, ou l'appel à des tiers pour repérer les fausses nouvelles.
Le règlement européen sur les données à caractère personnel s'impose comme une norme extraterritoriale. Quand on veut, on peut...
À l'époque de la mobilisation, des industriels du secteur, les fournisseurs d'accès à internet (FAI), étaient montés au créneau contre la régulation. Mais on n'a pas entendu les hébergeurs, car leur modèle ne prévoyait pas encore de publicité, ils étaient gratuits et leurs ressources étaient quasiment nulles. Aujourd'hui, les hébergeurs sont devenus des monstres qui captent la ressource publicitaire et, demain, celle des données personnelles, du big data. Nous sommes donc en droit, économiquement, d'exiger d'eux ce que nous n'osions pas leur demander auparavant.
L'évolution technologique est un autre argument en faveur de la régulation, puisqu'il existe désormais des outils permettant l'encadrement. Par exemple, face à l'avalanche de fausses nouvelles lors de la campagne électorale brésilienne, Facebook a mis en place une cellule de crise, travaillé avec les médias, et s'est engagé à retirer très rapidement les contenus contestés.
Point positif, les premières études montrent une baisse considérable de la propagation des fausses nouvelles au Brésil entre les deux tours. Point négatif, Facebook dit qu'il peut retirer l'information première, mais pas contrôler sa diffusion virale - mais peut-être y a-t-il dans ce refus un peu de mauvaise volonté. Lorsqu'il se fait pirater 50 millions de comptes, on voit bien qu'il n'a pas investi suffisamment. Mais attention avec la gouvernance globale ! Nous avons vu l'émergence d'un internet chinois puissant, mais avec un pouvoir chinois qui sait se protéger de l'extérieur, avec son firewall, sa muraille de Chine...
Oui : 200 000 ou 300 000 personnes surveillent ce que les autres font sur internet.
Il faut cesser de dire que l'Union européenne est impuissante. Elle doit se souvenir qu'elle est le premier marché au monde ; elle pourrait dire aux entreprises : si vous voulez y accéder, il faudra respecter mes règles. La Commission n'est pas très sincère dans ce domaine. Elle s'est enfermée dans une logique étrange dans son dialogue avec les acteurs. Avec Colette Mélot, nous avons rencontré un prétendu syndicat du monde de l'internet européen. En l'interrogeant sur sa composition, nous nous sommes rendu compte que derrière quelques acteurs européens qu'on invite à des grands séminaires, c'étaient surtout Google, Facebook et autres qui se livraient à un lobbying intensif.
Paradoxe de la Commission, Jean-Claude Juncker parle de souveraineté à propos de tous les domaines, dans son discours sur l'état de l'Union ; mais sur le numérique, rien. Cela ne fait que dix-huit mois que l'on s'en préoccupe. On se dit qu'il faut des supercalculateurs, un nuage propre, des composants et des microcomposants indépendants et non chargés de back doors captables par des puissances étrangères. Toute cette dimension avait été oubliée. Sur la cybersécurité, la Commission met l'accent sur le cyberterrorisme, mais veut développer les objets connectés, alors que c'est la plus grande passoire dans ce domaine...
Nous n'avons pas de rapport officiel concernant l'Allemagne, la loi n'étant entrée en application que le 1er janvier dernier. Mais il apparaît dans le rapport, remis au Premier ministre par des députés, sur le renforcement de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet - une question suivie avec une très grande attention en Allemagne -, que la loi aurait un début d'effet.
Nous voudrions, Colette Mélot et moi, vous proposer une modification du titre.
Parler d'hébergeurs sans autre complément n'est pas clair. Il serait préférable de parler d'hébergeurs de contenus numériques.
La liberté d'expression ne doit pas être respectée seulement dans la presse écrite, mais aussi sur le web. Il y a aussi un risque de privatisation de la censure. Les fausses informations ont toujours existé : à la cour des rois de France, déjà, les rumeurs couraient, et au siècle dernier, la presse a fait tomber des gouvernements, des suicides ont eu lieu à la suite de fausses informations. Ce n'est pas nouveau. La Commission a produit un code de bonne conduite, c'est déjà ça. Mais le temps est venu de prendre les choses à bras-le-corps ; c'est le moment, puisqu'il y aura bientôt une nouvelle Commission. Mais il sera toujours difficile de contrer la suprématie américaine. Dans ce contexte, notre résolution sera la bienvenue.
Êtes-vous d'accord pour modifier le titre et adopter cette résolution, doublée d'un courrier à Jean-Claude Juncker ? Sans aller jusqu'au firewall des Chinois, il faudra sans doute être plus coercitif contre ceux qui ne respectent pas les valeurs de l'Union. Il faudra bien, un jour, affirmer davantage la puissance et la souveraineté de l'Union européenne.
À l'issue du débat, la proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité dans la rédaction suivante :
L
M
N
O
P
Q
R
S
T
1a
1b
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Avec Simon Sutour, nous avons participé à la réunion du Triangle de Weimar qui s'est tenue à Varsovie le 22 octobre. C'est une très bonne chose que le Sénat ait été associé à ces rencontres qui permettent un dialogue entre parlementaires français, allemands et polonais. Il faut en remercier nos hôtes du Sejm et du Sénat de Pologne.
Notre visite à Varsovie s'est déroulée dans une actualité marquée par deux évènements. D'abord, le 19 octobre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a demandé au gouvernement polonais de suspendre la mise en application de la loi controversée sur la Cour suprême. Votée en juillet, cette loi qui avance la date de retraite des juges est perçue par la Commission européenne comme une menace pour l'indépendance de la justice. La CJUE a donc demandé au gouvernement polonais de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les juges de la Cour puissent remplir leurs fonctions au même poste, en bénéficiant du même statut que celui dont ils bénéficiaient avant l'entrée en vigueur de la loi. Ils auraient obtempéré, si j'en crois les nouvelles d'hier.
Notre rencontre a donc été l'occasion de faire passer des messages à nos collègues polonais sur l'importance du respect des valeurs communes qui nous rassemblent, mais sans esprit de stigmatisation, qui serait contreproductif. En second lieu, se déroulaient, dimanche 21 octobre, des élections municipales et régionales. Le parti au pouvoir, le PiS, est arrivé en tête devant le parti d'opposition, la Plateforme civique. Il a pu ainsi se doter d'une assise locale qu'il n'avait pas. Mais l'opposition a pu défendre ses positions notamment dans les grandes villes, dont Varsovie.
La réunion proprement dite a permis d'aborder successivement trois sujets importants : l'avenir de l'Union européenne ; le prochain cadre financier pluriannuel et la cybersécurité.
Sur l'avenir de l'Union européenne, l'attachement aux valeurs communes a été réaffirmé. Reste à apprécier si elles sont correctement mises en oeuvre. On peut aussi relever le souci commun de l'unité des Vingt-sept et d'une solidarité dans un monde plus incertain, d'une Union davantage concentrée sur les grandes priorités qui parlent aux citoyens et d'un rôle accru des parlements nationaux, qui devraient avoir un pouvoir d'initiative.
On a pu relever des oppositions sur la voie à suivre pour le projet européen. Mon homologue de l'Assemblée nationale, Mme Sabine Thillaye, a mis en avant le concept de « souveraineté européenne », qui implique plus d'intégration pour relever les grands défis comme la sécurité ou le climat. A l'inverse, nos interlocuteurs polonais ont fait valoir que plus d'intégration devait reposer sur la volonté des citoyens. Ils considèrent que la Commission vit dans un monde de concepts abstraits. Ils ont souhaité une revue des compétences, considérant que la Commission européenne allait parfois au-delà de ses missions et plaidé pour une réforme du fonctionnement de l'Union. On sent également chez eux la crainte d'un « noyau dur » d'États membres dont ils seraient écartés. J'ai pour ma part fait valoir que la coopération renforcée ne signifiait pas la constitution d'une Europe de « deuxième zone ». Elle permet à ceux qui le souhaitent d'aller plus vite, mais en pouvant être rejoints à tout moment par les autres États membres. Elle est donc un facteur d'émulation et de réactivité plutôt que de contingentement.
Les Polonais voient le départ des Britanniques avec déception, car c'était un partenaire proche, et pas seulement à cause de l'importante communauté polonaise de Londres. Ils ne veulent pas se retrouver en tête-à-tête avec les Allemands.
Sur le prochain cadre financier pluriannuel, nos amis polonais ont fait part de leur déception. Les propositions de la Commission européenne diminuerait les crédits de la politique agricole commune et de la politique de cohésion, sans tenir compte de la valeur ajoutée de ces deux politiques. Ils sont aussi réservés sur la conditionnalité qui serait, à leurs yeux, arbitraire, et ne trouverait aucun fondement dans les traités. La Pologne subirait une perte de 23 % de ses crédits de cohésion. Or nos collègues polonais soulignent que cette politique est un instrument efficace de convergence et qu'elle a aussi des effets bénéfiques pour le marché unique et pour les autres États membres.
S'agissant de la PAC, la perte de crédits de la Pologne atteindrait 17 %, ce qui serait incompatible avec le besoin de sécurité alimentaire. Les Polonais réclament donc la recherche de nouvelles ressources plutôt que l'affaiblissement des politiques existantes, ce qui supposerait de porter le budget de l'Union à 1,2% du PIB européen, mais ils sont hostiles à de nouvelles ressources fondées sur la taxation du CO2 ou des plastiques. Cette dernière ressource aurait pour conséquence de doubler leur participation au budget. Sur le plan énergétique, ils restent très dépendants du charbon.
Simon Sutour et moi avons défendu le rôle de la PAC et des fonds de cohésion, en soulignant la nécessité de ne pas opposer ces deux politiques et les difficultés des producteurs à se regrouper en raison d'une conception erronée de la concurrence. L'Europe doit rester souveraine, à travers une PAC forte, et solidaire, par la voie des crédits de cohésion. Le besoin de simplification ne doit pas se confondre avec la tentation d'une renationalisation. Je dois dire que nous n'avons malheureusement pas été suivis par nos collègues allemands, qui privilégient clairement le financement de nouveaux objectifs et considèrent que la politique agricole devrait revenir à une responsabilité nationale dès lors que l'objectif de sécurité alimentaire a été atteint - et selon eux, il l'est.
En toute hypothèse, la possibilité d'un accord avant les prochaines élections européennes semble assez illusoire. Le niveau du budget européen pose un problème avec un contributeur net - le Royaume-Uni - qui s'en va. Dans ce contexte, il faut en finir avec les rabais et rechercher de nouvelles ressources propres. Sur ce dernier point, j'ai fait valoir que des taxes sur les plastiques ou le CO2 n'auraient pas vocation à perdurer, car elles avaient pour objet de promouvoir des comportements plus vertueux. Mais cela n'a guère rassuré les Polonais, qui s'orienteraient vers une hausse de la part du nucléaire.
Enfin, nous avons débattu de la cybersécurité. Je me félicite de la prise de conscience collective des immenses défis à relever par l'Europe dans ce domaine. Le Sénat avait, en quelque sorte, un temps d'avance avec l'excellent rapport de René Danesi et Laurence Harribey. La loi polonaise a été revue en 2018 pour renforcer la prévention et minimiser les effets des attaques. L'enjeu de souveraineté a été clairement posé au cours de nos échanges, de même que la nature de la menace, qui peut être le fait de réseaux criminels mais aussi d'États peu scrupuleux.
Les réponses à apporter doivent trouver un bon équilibre entre l'approche européenne et la souveraineté des États. C'est ce que nous avons fait valoir au Sénat. Il y a incontestablement matière à un véritable projet industriel pour l'Europe. Celle-ci invente le plus souvent les procédés technologiques, mais ne sait pas bien les mettre en oeuvre. Au total, c'est pourtant un marché de quelque 600 milliards d'euros qui est en jeu. Une coopération avec l'OTAN peut s'avérer fructueuse, sous réserve que l'Union européenne ne se trouve pas dans une situation de dépendance.
Voilà les enseignements que je tire de cette très intéressante rencontre dans le format Weimar. Le dialogue parlementaire entre nos trois pays est essentiel, compte tenu de leur histoire, de leur géographie et de leur place dans la construction européenne ; il devra donc être poursuivi et approfondi.
Nous étions totalement en phase avec nos collègues députés. C'est une occasion d'avoir des relations plus étroites avec les Polonais, qui restent très marqués par leur grand voisin de l'Est. Simon Sutour a fait part de la position du Sénat sur la nécessité de ne pas stigmatiser les hommes. Il a fait valoir qu'il fallait faire des progrès sur les accords de Minsk, et que l'on ne pourrait pas vivre éternellement comme chiens et chats. Les Polonais sont intraitables sur le projet Nord Stream 2, qu'ils voient comme une mise sous tutelle russe.
Autre dossier dont il faudra parler un jour : les engrais phosphatés avec une teneur en cadmium problématique, si l'on en croit une étude de l'Anses...
Le hasard du calendrier a fait que nous participions pour la première fois à ces réunions - la dernière a eu lieu l'an dernier à l'Assemblée nationale et personne ne nous avait fait signe... - au lendemain des élections municipales et trois jours après la décision de la CJUE. Les échéances électorales en Pologne vont se succéder, avec les élections législatives en 2019 et la présidentielle en 2020. Les Polonais appliqueront la décision, mais une nouvelle loi arrivera : ils n'abandonneront pas leurs objectifs.
Il y avait un danger pendant cette réunion, qui a été évité, c'est que la France et l'Allemagne fassent la leçon à la Pologne sur l'État de droit. J'ai dit, comme toujours, qu'il n'y avait pas, d'un côté, des États parfaits et, de l'autre, des États imparfaits. Nous aussi, Français, devons tenir compte d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui nous demandera de rompre les liens entre exécutif et Parquet. Sans cocorico, nous pouvions dire que nous avons de l'avance en ce domaine, mais il fallait éviter de stigmatiser.
Les Polonais défendent leur position sur le budget européen, mais le contexte ne leur est pas favorable, avec le départ d'un contributeur net, le Royaume-Uni, et l'apparition de nouvelles dépenses pour la protection des frontières ou l'Erasmus des apprentis. Il est certain que la PAC et les fonds de cohésion leur seront moins profitables. Mais ils sont - et resteront - à des niveaux considérables. Le président de la commission des affaires européennes du Bundestag Gunther Krichbaum a fait remarquer que cette politique avait porté ses fruits et qu'il était normal, dès lors, qu'elle soit moins intense qu'auparavant. J'ai expliqué aux Polonais, qui en ont été surpris, que nous avions eu peur de perdre la PAC et les fonds structurels lors de leur adhésion avec les autres pays d'Europe centrale et orientale. Je me souviens que Michel Barnier, alors commissaire européen chargé de ces questions, nous avait dit, à Yann Gaillard et à moi, que cela s'était joué à une voix au sein de la Commission.
La Pologne compte 37 millions d'habitants, ce n'est pas rien. L'Union européenne sort petit à petit de l'unanimité ; ils pèseront dans les votes, davantage que des pays de 500 000 ou d'un million d'habitants. C'est donc très important de dialoguer.
La réunion fut très courte, mais utile, comme l'avait été notre précédente rencontre aux Pays-Bas - pays de 17 millions d'habitants qui prendra bientôt le leadership des pays du Nord et des pays Baltes.
La situation politique en Pologne mérite d'être regardée de près. Le PiS semblait tout-puissant ; il a certes fait un bon score, mais inférieur à ses espérances, d'autant plus qu'il avait la main sur les moyens de l'État et sur les moyens de communication.
On retrouve en Pologne, comme ailleurs, une dichotomie très forte entre monde urbain et monde rural. L'opposition conserve dix des onze plus grandes villes et le PiS est ultra-majoritaire dans les campagnes. Ces résultats sont liés à la résistance des partis plus démocratiques que le PiS, qu'ils soient de droite ou progressistes - ces derniers sont relativement faibles en Pologne -, mais aussi aux pressions de l'Union européenne sur l'État de droit.
Les Polonais, et notamment les classes moyennes, sont sensibles à l'image qu'ils peuvent avoir dans l'Union. Avez-vous parlé des demandes de l'Union européenne, au-delà de celle portant sur la magistrature ? Quelle est leur réaction ? Le pouvoir semble être dans le bras de fer ; les pressions aboutissent-elles à des inflexions politiques internes ?
Pour y être allé plusieurs fois afin de représenter les filières agricoles, je considère qu'ils ont raison de se défendre. La baisse de la PAC frappe tout le monde. Il faudrait revenir à son origine, à savoir une compensation pour des baisses de prix, donc une subvention au profit du consommateur. Si la PAC disparaît, je ne sais pas comment nous ferons, à moins de faire payer le consommateur.
Nous n'avons pas parlé de la mise en oeuvre éventuelle de l'article 7 du traité sur l'Union européenne : nous marchions sur les oeufs. Ils ne veulent pas que la Commission s'immisce dans leurs affaires. Ils étaient soulagés que la Cour de justice soit leur rempart. Nous avons été plutôt modérateurs, par rapport à la délégation de l'Assemblée nationale, laquelle comptait un député français du Modem, M. Bru, qui venait de rendre un rapport assez rude sur le sujet...
Nos hôtes ont été courtois, mais ils ont peu apprécié la chose. Ils ont davantage apprécié la position du Sénat. Je trouve positif qu'ils se rendent compte que la CJUE, ce n'est pas rien. Les juges de la Cour suprême ont été rappelés. Après, ont-ils été mis au placard ? Je n'en sais rien.
Monsieur Cuypers, vous avez raison, il faut savoir ce que l'on veut. Pendant des décennies, on a modulé les prix pour éviter que le panier de la ménagère ne coûte trop cher, mais cette logique ne peut être tenue très longtemps. J'ai reçu hier une délégation de farmers américains et d'administratifs du Département de l'agriculture des États-Unis. Je leur ai dit que 30 % des agriculteurs vivaient avec moins de 300 euros par mois, tandis que certains autres vivaient très bien, étant très performants, ou utilisant des circuits courts en bordure de ville. Mais il y a une querelle désastreuse, qu'on ne retrouve qu'en France, entre les différents modes de productions, avec des désinformations et le poids des environnementalistes - à ne pas confondre avec les écologistes, Monsieur Gattolin. Certains agriculteurs ne savent plus où ils en sont et perdent pied.
J'ai salué le fait que le Capper-Volstead Act autorisait le regroupement des agriculteurs pour faire masse vis-à-vis de la grande distribution, à comparer avec l'orientation de l'Union européenne dans les années 1960 d'interdire de tels regroupements au-delà de la coopérative. Résultat, il y a quatre centrales d'achat et 75 000 agriculteurs en face. Les opérations d'agriculteurs vont dans le bon sens, mais ne suffiront pas.
André Gattolin et Jean-François Rapin sont nommés rapporteurs sur le programme de recherche et d'innovation pour 2021-2027 Horizon Europe.
La réunion est close à 10 h 40.