Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 octobre 2018 à 9h15
Institutions européennes — Réunion du « triangle de weimar » à varsovie des 21 et 22 octobre : communication de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Avec Simon Sutour, nous avons participé à la réunion du Triangle de Weimar qui s'est tenue à Varsovie le 22 octobre. C'est une très bonne chose que le Sénat ait été associé à ces rencontres qui permettent un dialogue entre parlementaires français, allemands et polonais. Il faut en remercier nos hôtes du Sejm et du Sénat de Pologne.

Notre visite à Varsovie s'est déroulée dans une actualité marquée par deux évènements. D'abord, le 19 octobre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a demandé au gouvernement polonais de suspendre la mise en application de la loi controversée sur la Cour suprême. Votée en juillet, cette loi qui avance la date de retraite des juges est perçue par la Commission européenne comme une menace pour l'indépendance de la justice. La CJUE a donc demandé au gouvernement polonais de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les juges de la Cour puissent remplir leurs fonctions au même poste, en bénéficiant du même statut que celui dont ils bénéficiaient avant l'entrée en vigueur de la loi. Ils auraient obtempéré, si j'en crois les nouvelles d'hier.

Notre rencontre a donc été l'occasion de faire passer des messages à nos collègues polonais sur l'importance du respect des valeurs communes qui nous rassemblent, mais sans esprit de stigmatisation, qui serait contreproductif. En second lieu, se déroulaient, dimanche 21 octobre, des élections municipales et régionales. Le parti au pouvoir, le PiS, est arrivé en tête devant le parti d'opposition, la Plateforme civique. Il a pu ainsi se doter d'une assise locale qu'il n'avait pas. Mais l'opposition a pu défendre ses positions notamment dans les grandes villes, dont Varsovie.

La réunion proprement dite a permis d'aborder successivement trois sujets importants : l'avenir de l'Union européenne ; le prochain cadre financier pluriannuel et la cybersécurité.

Sur l'avenir de l'Union européenne, l'attachement aux valeurs communes a été réaffirmé. Reste à apprécier si elles sont correctement mises en oeuvre. On peut aussi relever le souci commun de l'unité des Vingt-sept et d'une solidarité dans un monde plus incertain, d'une Union davantage concentrée sur les grandes priorités qui parlent aux citoyens et d'un rôle accru des parlements nationaux, qui devraient avoir un pouvoir d'initiative.

On a pu relever des oppositions sur la voie à suivre pour le projet européen. Mon homologue de l'Assemblée nationale, Mme Sabine Thillaye, a mis en avant le concept de « souveraineté européenne », qui implique plus d'intégration pour relever les grands défis comme la sécurité ou le climat. A l'inverse, nos interlocuteurs polonais ont fait valoir que plus d'intégration devait reposer sur la volonté des citoyens. Ils considèrent que la Commission vit dans un monde de concepts abstraits. Ils ont souhaité une revue des compétences, considérant que la Commission européenne allait parfois au-delà de ses missions et plaidé pour une réforme du fonctionnement de l'Union. On sent également chez eux la crainte d'un « noyau dur » d'États membres dont ils seraient écartés. J'ai pour ma part fait valoir que la coopération renforcée ne signifiait pas la constitution d'une Europe de « deuxième zone ». Elle permet à ceux qui le souhaitent d'aller plus vite, mais en pouvant être rejoints à tout moment par les autres États membres. Elle est donc un facteur d'émulation et de réactivité plutôt que de contingentement.

Les Polonais voient le départ des Britanniques avec déception, car c'était un partenaire proche, et pas seulement à cause de l'importante communauté polonaise de Londres. Ils ne veulent pas se retrouver en tête-à-tête avec les Allemands.

Sur le prochain cadre financier pluriannuel, nos amis polonais ont fait part de leur déception. Les propositions de la Commission européenne diminuerait les crédits de la politique agricole commune et de la politique de cohésion, sans tenir compte de la valeur ajoutée de ces deux politiques. Ils sont aussi réservés sur la conditionnalité qui serait, à leurs yeux, arbitraire, et ne trouverait aucun fondement dans les traités. La Pologne subirait une perte de 23 % de ses crédits de cohésion. Or nos collègues polonais soulignent que cette politique est un instrument efficace de convergence et qu'elle a aussi des effets bénéfiques pour le marché unique et pour les autres États membres.

S'agissant de la PAC, la perte de crédits de la Pologne atteindrait 17 %, ce qui serait incompatible avec le besoin de sécurité alimentaire. Les Polonais réclament donc la recherche de nouvelles ressources plutôt que l'affaiblissement des politiques existantes, ce qui supposerait de porter le budget de l'Union à 1,2% du PIB européen, mais ils sont hostiles à de nouvelles ressources fondées sur la taxation du CO2 ou des plastiques. Cette dernière ressource aurait pour conséquence de doubler leur participation au budget. Sur le plan énergétique, ils restent très dépendants du charbon.

Simon Sutour et moi avons défendu le rôle de la PAC et des fonds de cohésion, en soulignant la nécessité de ne pas opposer ces deux politiques et les difficultés des producteurs à se regrouper en raison d'une conception erronée de la concurrence. L'Europe doit rester souveraine, à travers une PAC forte, et solidaire, par la voie des crédits de cohésion. Le besoin de simplification ne doit pas se confondre avec la tentation d'une renationalisation. Je dois dire que nous n'avons malheureusement pas été suivis par nos collègues allemands, qui privilégient clairement le financement de nouveaux objectifs et considèrent que la politique agricole devrait revenir à une responsabilité nationale dès lors que l'objectif de sécurité alimentaire a été atteint - et selon eux, il l'est.

En toute hypothèse, la possibilité d'un accord avant les prochaines élections européennes semble assez illusoire. Le niveau du budget européen pose un problème avec un contributeur net - le Royaume-Uni - qui s'en va. Dans ce contexte, il faut en finir avec les rabais et rechercher de nouvelles ressources propres. Sur ce dernier point, j'ai fait valoir que des taxes sur les plastiques ou le CO2 n'auraient pas vocation à perdurer, car elles avaient pour objet de promouvoir des comportements plus vertueux. Mais cela n'a guère rassuré les Polonais, qui s'orienteraient vers une hausse de la part du nucléaire.

Enfin, nous avons débattu de la cybersécurité. Je me félicite de la prise de conscience collective des immenses défis à relever par l'Europe dans ce domaine. Le Sénat avait, en quelque sorte, un temps d'avance avec l'excellent rapport de René Danesi et Laurence Harribey. La loi polonaise a été revue en 2018 pour renforcer la prévention et minimiser les effets des attaques. L'enjeu de souveraineté a été clairement posé au cours de nos échanges, de même que la nature de la menace, qui peut être le fait de réseaux criminels mais aussi d'États peu scrupuleux.

Les réponses à apporter doivent trouver un bon équilibre entre l'approche européenne et la souveraineté des États. C'est ce que nous avons fait valoir au Sénat. Il y a incontestablement matière à un véritable projet industriel pour l'Europe. Celle-ci invente le plus souvent les procédés technologiques, mais ne sait pas bien les mettre en oeuvre. Au total, c'est pourtant un marché de quelque 600 milliards d'euros qui est en jeu. Une coopération avec l'OTAN peut s'avérer fructueuse, sous réserve que l'Union européenne ne se trouve pas dans une situation de dépendance.

Voilà les enseignements que je tire de cette très intéressante rencontre dans le format Weimar. Le dialogue parlementaire entre nos trois pays est essentiel, compte tenu de leur histoire, de leur géographie et de leur place dans la construction européenne ; il devra donc être poursuivi et approfondi.

Nous étions totalement en phase avec nos collègues députés. C'est une occasion d'avoir des relations plus étroites avec les Polonais, qui restent très marqués par leur grand voisin de l'Est. Simon Sutour a fait part de la position du Sénat sur la nécessité de ne pas stigmatiser les hommes. Il a fait valoir qu'il fallait faire des progrès sur les accords de Minsk, et que l'on ne pourrait pas vivre éternellement comme chiens et chats. Les Polonais sont intraitables sur le projet Nord Stream 2, qu'ils voient comme une mise sous tutelle russe.

Autre dossier dont il faudra parler un jour : les engrais phosphatés avec une teneur en cadmium problématique, si l'on en croit une étude de l'Anses...

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