Notre commission est maintenant chargée d'examiner, dans le cadre de la procédure de législation en commission, sept articles du projet de loi. Puisque ces articles ne pourront être amendés en séance publique, sauf exceptions prévues par le règlement du Sénat, les travaux de notre commission spéciale sont ouverts à l'ensemble des sénateurs.
Les sujets couverts sont très variés, de la fiscalité des alcools aux normes radioélectriques ; ils reflètent l'omniprésence des sur-transpositions dans le droit français. La technicité de ces mesures et le consensus dont ils semblent faire l'objet ont motivé la demande de la Conférence des présidents pour une législation en commission.
L'esprit dans lequel j'ai examiné ce texte est celui de la simplification. Les contraintes injustifiées et unilatérales ajoutées dans le droit français, alors même qu'elles ne sont pas prévues par le droit européen, sont autant d'obstacles à la compétitivité et à la croissance de nos entreprises. L'obligation de compatibilité avec la norme Pv6, par exemple, supprimée à l'article 13, a été instaurée en France seulement parmi tous les États du marché intérieur européen !
Si cette démarche de « dé-sur-transposition » est louable, je regrette qu'elle n'ait pas été davantage approfondie. Le travail minutieux de recensement de 75 sur-transpositions mené par René Danesi, ainsi que l'identification de 132 écarts de transposition dans le rapport inter-inspections remis au Gouvernement, constituent un immense travail préparatoire pour un total de seulement 27 articles dans le texte initial ! Le choc de simplification nous a semblé un peu timide. Par ailleurs, les délais d'examen extrêmement resserrés ne nous ont permis de l'enrichir que de rares mesures supplémentaires.
En matière de droit des sociétés, l'article 3 supprime l'obligation de déclaration, à peine de nullité, des opérations de fusion et de scission réalisées par les sociétés par actions simplifiées et les sociétés en commandite par actions, à l'exception de l'hypothèses de fusion transfrontalière au sein de l'Union européenne. Je vous proposerai son adoption sous réserve d'une coordination.
Quant à l'article 4, il tend à dispenser les sociétés anonymes absorbantes de l'approbation de la fusion par l'assemblée générale extraordinaire. Outre une coordination, je vous proposerai de modifier cet article sur deux points. En premier lieu, pour préciser que seules les sociétés absorbantes peuvent bénéficier de la procédure simplifiée de fusion par absorption, conformément à la lettre de la directive de 2011 concernant les fusions des sociétés anonymes. La rédaction du projet de loi peut paraître ambiguë sur ce point et pourrait laisser penser que les sociétés absorbées peuvent bénéficier des mêmes facilités, ce que la directive ne prévoit pas.
En second lieu, je vous proposerai d'introduire, sur le modèle de ce qui existe lorsque des délégations sont utilisées en matière d'augmentation du capital, une information des actionnaires lors de l'assemblée générale ordinaire suivante.
En matière fiscale, l'article 10 supprime, comme nombre d'autres mesures de ce projet de loi, une obligation déclarative. Les utilisateurs d'alcool dénaturé, c'est-à-dire d'alcool à usage industriel, doivent aujourd'hui remplir une déclaration préalable de profession afin de bénéficier de l'exonération fiscale sur les droits d'accise. Cette exonération est pourtant de droit, en application des directives européennes, et n'est soumise à aucune formalité déclarative.
Les consultations que j'ai menées ont montré que cette déclaration était une survivance du droit français, qui avait été conservée lors de la transposition. Elle n'apporte aucune information à valeur ajoutée à l'administration des douanes, qui dispose d'autres moyens de vérifier l'utilisation des alcools dénaturés et de suivre les ventes. Sa capacité à conduire des contrôles ne sera nullement affectée, mais les formalités administratives de nombre de petits commerces seront simplifiées. Je vous proposerai donc d'adopter cet article, complété d'une mesure de coordination.
Enfin, en matière de communications électroniques, l'article 13 abroge l'obligation de compatibilité avec le protocole IPv6 des nouveaux équipements radioélectriques. Alors que la directive européenne dite « RED » interdit formellement aux États membres de soumettre les constructeurs à d'autres normes que celles exigées par la directive, la loi pour une République numérique avait imposé à tout nouveau téléphone intelligent, routeur, ordinateur, ou tout autre équipement final de disposer du dernier degré de technologie en matière d'adressage IP.
Je suis d'avis que les entreprises savent reconnaître, souvent bien mieux que le législateur, les opportunités offertes par le progrès technologique. Cette norme, imposée sans étude d'impact préalable et de manière unilatérale, soumet les fabricants et opérateurs français à une contrainte forte, qui va à l'encontre de la circulation des biens dans le marché intérieur et dont les contours ne sont pas bien définis. Pour toutes ces raisons, je suis convaincu de la nécessité d'abroger cette obligation, de surcroît illégale au regard du droit européen. Je vous proposerai donc d'adopter cet article sans modification.
Pour mieux faire la loi, il est indispensable de mieux estimer, voire de chiffrer, l'impact concret de notre législation sur l'économie française.
Il nous faut mettre en place un véritable « service qualité de la loi ». Cela renvoie à ce que nous avons à faire collectivement pour éviter de sur-transposer des normes européennes sans raison objective, alors que les conséquences de ces sur-transpositions pour les acteurs économiques français sont autant d'obstacles supplémentaires par rapport à leurs concurrents.
Je forme donc le voeu que nous poursuivions la démarche que les travaux du Sénat ont engagée et qui commence à se concrétiser avec ce projet de loi, en nous attachant, pour les prochains textes transposant des directives en droit français, à ne transposer que les dispositions strictement exigées par le droit de l'Union européenne, sans en ajouter. L'épreuve des faits ne saurait tarder, avec le prochain examen au Sénat du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dit Pacte.
Madame la ministre, nous nous engageons à vos côtés, comme vous nous le proposez, dans une démarche d'amélioration continue de la qualité de la loi.