Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l'évolution des risques depuis le précédent Livre blanc, notre effort de défense est en cours de redéfinition.
Dans cette attente, on pouvait se demander si le projet de budget pour 2008 devait tout simplement anticiper sur ces prévisions ou, au contraire, s'inscrire dans le droit fil de la dernière année de la loi de programmation militaire, la LPM. Telle était l'alternative qui s'offrait à vous, monsieur le ministre. Vous avez choisi la deuxième solution et je crois que vous avez eu raison tant il est vrai qu'il était difficile d'anticiper sur l'effort qui allait être demandé, après révision.
Il s'agit également d'un bon choix si l'on songe que cette continuité s'inscrit dans l'effort.
La France, avec un budget de l'ordre de 35 milliards d'euros, consacre environ 1, 70 % de son produit intérieur brut à sa défense. Cette somme est, bien entendu, moins importante qu'aux États-Unis - ces derniers venant de voter un budget de la défense, hors effort de guerre, de 317 milliards d'euros ! -, mais elle équivaut à celle que lui consacre la Grande-Bretagne et très supérieure à l'effort fourni par la plupart des pays européens.
À structures constantes, le budget de la mission « Défense » croît de 1, 14 % en crédits de paiement, auxquels s'ajouteront, en deuxième libération, si j'ai bien entendu le ministre des comptes, 100 millions d'euros pour les OPEX, les opérations extérieures, après avoir trouvé dans un autre budget le gage nécessaire.
J'articulerai mon propos autour de deux questions.
En premier lieu, ce budget est-il suffisant pour que nos forces assurent leur contrat opérationnel ? Cette question se pose, car un double effort d'économie est mis en oeuvre.
Un premier effort d'économie concerne les crédits de personnel, qui représentent la moitié de votre budget, monsieur le ministre.
Mais, bien entendu, je ne voudrais pas aborder cette question des crédits de personnel sans d'abord rendre hommage aux fers de lance de nos troupes qui sont engagées en OPEX ou en dissuasion sur les sous-marins. Je suis sûr que nous pouvons unanimement leur exprimer notre reconnaissance.
Cet effort de 18 milliards d'euros pour le personnel augmente de 1, 94 % en raison du glissement des cotisations de retraite. La cotisation employeur dans le domaine de la défense s'élève à 103 %, soit le double de ce qui existe dans le secteur civil, et augmente régulièrement.
En revanche, la mission « Défense » va devoir respecter la règle de réduction des effectifs à hauteur de 50 % des mises à la retraite, ce qui va représenter, pour la mission « Défense », la suppression de 4 850 personnels en fin d'année, venant s'ajouter aux 6 400 qui n'étaient pas réalisés, soit une diminution, en moyenne annuelle, de 0, 7 %. Dès lors, il est permis de se demander si cela est de nature à influer sur nos missions opérationnelles.
Vous nous assurez, monsieur le ministre, que ce résultat peut être obtenu grâce à la réduction des effectifs de soutien -j'espère que vous pourrez nous donner des précisions sur ce point -, ce qui me paraît effectivement une bonne chose, puisque les effectifs de soutien dans l'armée française sont supérieurs d'environ 5% à ce qu'ils sont dans l'armée britannique. Des efforts de réorganisation, notamment en matière spatiale, seront donc certainement nécessaires.
Quant aux dépenses de fonctionnement, qui s'élèvent à 3 milliards d'euros, hors maintien en conditions opérationnelles, ou MCO, elles vont être réduites cette année de 1, 51 %.
Je crains que, dans la période actuelle, les crédits afférents aux carburants ne soient sous-estimés - quoiqu'on puisse toujours espérer ! -, mais je voudrais attirer votre attention sur la source d'économies que constituent les dépenses d'externalisation.
À cet égard, notre commission des finances est tout à fait attentive au mode de règlement des problèmes de TVA. L'an dernier, nous avions proposé un amendement allant dans ce sens. Il conviendrait que, lorsque des économies sur le titre 2 sont obtenues, un rétablissement de crédits équivalant à ces économies puisse être accordé.
En second lieu, ce budget permet-il de lever les doutes pesant sur l'exécution de la loi de programmation militaire, sur le caractère soutenu de notre effort de défense ?
Je dois dire que le Parlement est dans une situation très délicate à ce sujet, car, en fin de LPM, nous n'avons aucune visibilité pour l'avenir ; nous sommes dans le brouillard et l'incertitude. Nous avions déjà déploré cette situation l'année dernière et, tout à l'heure, je ferai une proposition pour y remédier.
Les crédits qui relèvent de la LPM atteignent cette année 15 milliards d'euros, soit 41 % de la mission.
La programmation pour cette année est respectée, à 250 millions d'euros près, c'est-à-dire à hauteur de l'inflation. Reconnaissons que, pour la première fois depuis cinq ans, la programmation militaire aura été respectée en totalité. En fait, cela ne s'est jamais produit depuis 1975 !
Cela étant dit, un bilan s'impose. Sans anticiper sur l'avenir, je voudrais rappeler que les retards signalés par moi-même depuis deux ans n'ont pas été comblés.
Premièrement, l'exécution correcte de la loi de programmation militaire actuelle n'a pas pu rattraper le retard de la non-exécution de la précédente loi, retard qui est équivalent à une année budgétaire entière, c'est-à-dire, mes chers collègues, entre 10 milliards et 12 milliards d'euros ; peut-être, pourrez-vous, monsieur le ministre, préciser ce chiffre.
Deuxièmement, la loi de programmation militaire actuelle a exigé des réallocations de ressources. Il a ainsi été nécessaire, par exemple, de dégager, 1, 5 milliard d'euros de plus pour la dissuasion ou 1, 5 milliard d'euros pour le programme Rafale. Certes, on a supprimé deux frégates Horizon, mais il n'empêche qu'un ensemble de programmes a été, en termes quantitatifs, retardé.
Troisièmement, le coût du maintien opérationnel a dû être réévalué, passant, grosso modo, de 2, 4 milliards d'euros en 2002 à 3, 4 milliards d'euros en 2008. Il a fallu remédier à une situation gravement détériorée : en 2002, un ou deux sous-marins nucléaires d'attaque sur six étaient opérationnels et il nous faut encore aujourd'hui faire face, notamment, au problème de l'entretien des avions ravitailleurs KC135.
J'affirme d'ailleurs que des réorganisations sont nécessaires en ce domaine, à l'instar de ce qui a été fait pour le service de soutien de la flotte ainsi que, concernant l'aviation, pour le service industriel de l'aéronautique, le SIAé, cette année. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous dire où nous en sommes pour l'armée de terre ?
Quatrièmement, la bosse des reports de crédits n'a pas pu être entièrement résorbée. Nous avions, du fait du mécanisme de financement des OPEX, un système qui, de façon automatique, entraînait des reports et nous sommes cette année face à un report qui est encore de l'ordre de 1, 5 milliard d'euros, voire de 1, 7 milliard d'euros. J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet, monsieur le ministre.
Je note d'ailleurs que ce milliard et demi de report de crédits s'accompagne d'un autre milliard et demi de report de charges, et il est certain que la non-inscription en loi de finances rectificative des fameuses 13/19ème concernant les frégates européennes multi-missions, les FREMM, n'améliore pas la situation, puisque la somme espérée atteignait environ 330 millions d'euros.
Telles sont donc les causes des retards, mais j'ajouterai que l'inertie du budget d'équipement actuel hypothèque la prochaine loi de programmation militaire.
Si je me limite simplement au programme 146 « Équipement des forces », comme je le disais déjà l'an dernier, le montant des engagements fermes à la fin 2008, qu'il faudra honorer au cours de la prochaine programmation militaire, s'élève à 35 milliards d'euros. Si je tenais compte en outre du MCO et des études en amont, nous atteindrions les 45 milliards d'euros. Or 35 milliards d'euros, c'est trois ans et demi de programmation militaire au régime actuel. Vous le voyez donc : à 70 %, la future loi de programmation militaire est contrainte par le budget de cette année.
Bien entendu, je laisserai François Trucy, mon alter ego en tant que rapporteur spécial, et mes excellents collègues rapporteurs pour avis détailler concrètement ce que ces sommes représentent, mais il suffit de dire que, au sein de ces 35 milliards d'euros, le programme Rafale arrive en premier, avec 7 milliards d'euros ; viennent ensuite, avec 6 milliards d'euros, les avions ravitailleurs A400M, puis, avec 3, 5 milliards d'euros, le programme de missile M51, et enfin, en quatrième position, le futur porte-avions, dont j'espère la construction.
Tout cela montre que la plupart de nos grands programmes, en dehors du Rafale - qui connaît peut-être de ce fait des difficultés à l'exportation - et des programmes nucléaires, sont maintenant réalisés en coopération à l'échelon international dans le cadre de l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement, l'OCCAR, en particulier.
Tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le bilan. Des choix cruciaux vont devoir être faits et je voudrais, en conclusion, me borner à convictions quant à la méthode.
D'abord, monsieur le ministre, j'ai cru comprendre que vous vouliez mettre en place une sorte de comité d'investissement, intégrant une troisième dimension à côté de la direction générale de l'armement, la DGA, et de l'état-major des armées.
Je suis persuadé, en effet, qu'il est nécessaire de donner une dimension plus économique à la gestion des investissements, ceux de la défense comme ceux de l'État en général, et qu'il convient de trouver une procédure permettant une meilleure appréciation, au cours de la prise de décision, de l'ensemble du coût de possession.
Je prendrai l'exemple du quatrième Hawkeye, dont l'acquisition pourrait, m'a-t-on dit, être faire l'objet d'une option. Naturellement, si l'on veut acheter un Hawkeye d'occasion, le coût d'achat sera plus faible que s'il était neuf. En revanche, le coût du MCO sera sans doute plus élevé. Qu'en est-il vraiment des coûts de fonctionnement ? J'ai pris l'exemple du Hawkeye, mais il y en aurait bien d'autres.
Pour ma part, je pense qu'il est nécessaire de faire simultanément un ensemble de réflexions dès lors qu'on a à prendre des décisions de ce type.
Ma deuxième conviction est qu'on n'échappera pas à une loi de programme en deux étapes, c'est-à-dire une première tranche « dure » de trois ans, puis une seconde tranche plus souple au cours des trois années suivantes, à condition, bien entendu, que l'on ait une programmation glissante qui permette effectivement de supprimer ce mur noir devant lequel nous sommes cette année.
Dans cette attente, le budget de la défense pour 2008 sauvegarde l'essentiel, et ce dans le respect, naturellement, de la politique de stabilisation de la dépense publique. Il garantit, je crois, le caractère opérationnel des forces. Il permet l'exécution de la dernière tranche de la LPM, mais je laisserai à mon collègue François Trucy le soin de dire si ces arguments ont séduit la commission des finances.