Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du 31 octobre 2018 à 14h30
Financement de l'accompagnement médico-social des personnes handicapées — Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Sophie Cluzel  :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Philippe Mouiller de me donner, grâce à ce débat et à son excellent rapport, l’occasion de rappeler la pleine convergence du Gouvernement et des sénateurs pour construire une société inclusive, c’est-à-dire une société qui donne pleinement leur place aux personnes en situation de handicap, conformément aux engagements souscrits dans le cadre de la convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées.

Donner pleinement leur place aux personnes handicapées signifie non pas les laisser sans accompagnement, mais au contraire leur offrir tout l’appui dont elles ont besoin pour que leur indépendance en tout lieu de vie soit garantie, par des services modulaires, des solutions innovantes ou des dispositifs de répit, et leur proposer, comme vous l’avez indiqué, monsieur Mouiller, des « parcours ascendants ». C’est mon souhait, mon ambition, et je sais que nous la partageons.

Mais l’organisation actuelle de la réponse aux besoins des personnes, en particulier ce que l’on appelle l’« offre médico-sociale », ne répond pas pleinement à cet objectif. C’est pourquoi le « virage inclusif » de l’offre est au cœur de la feuille de route gouvernementale.

La nécessité de cette transformation est apparue dans le cadre de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous », engagée à partir du rapport intitulé « Zéro sans solution », élaboré par Denis Piveteau à la demande du Gouvernement.

Ainsi, la poursuite de la mise en place de dispositifs plus soutenus reste indispensable, notamment pour les personnes présentant les besoins les plus complexes, mais elle ne doit pas constituer la seule réponse possible pour tendre vers ce « zéro sans solution ».

Près de 500 000 places en établissements et services pour personnes handicapées sont aujourd’hui recensées, dont 160 000 pour les enfants et près de 340 000 pour les adultes. Cela représente un budget d’environ 17 milliards d’euros. Force est de constater que la part des services dans l’ensemble de l’offre, malgré des progrès incontestables, reste insuffisante, en particulier pour les services d’accompagnement des adultes, qui ne représentent que 20 % des réponses.

Il nous faut donc changer de cap, faire tomber les murs, raisonner désormais en parcours accompagnés, quatre objectifs prioritaires devant guider notre action : ne pas laisser la personne et ses proches seuls face à l’absence d’un accompagnement ; faire évoluer l’offre afin qu’elle soit plus inclusive et plus souple ; renforcer la participation des personnes concernées à la mise en place des solutions d’accompagnement ; engager un mouvement de formation pour accompagner ces évolutions et ces professionnels.

Cette ambition est soutenue par la mise en œuvre de la stratégie quinquennale d’évolution de l’offre médico-sociale, qui permet de mobiliser un financement de 180 millions d’euros afin de proposer des solutions nouvelles et de répondre aux situations les plus complexes. Ces efforts ont été confortés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, avec le triplement des moyens consacrés à la prévention des départs en Belgique et des crédits spécifiques dédiés à la mise en œuvre de la stratégie pour l’autisme au sein des troubles neurodéveloppementaux.

Ces investissements supplémentaires permettront de développer les nouvelles réponses, très prometteuses, que sont les unités d’enseignement dans les écoles ordinaires, les pôles de compétences et de prestations externalisées, l’habitat inclusif ou l’emploi accompagné.

Je souhaite également que l’on puisse diversifier les accompagnements offerts par les établissements et services existants, en proposant des accueils de jour comme de nuit, des accueils temporaires ou séquentiels, ou encore des interventions hors les murs : c’est pour moi essentiel.

Cependant, diversifier, développer, transformer ne suffit pas. Nous avons aussi besoin d’assouplir, de gommer ces complexités administratives et financières qui constituent parfois des obstacles majeurs à notre ambition. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite généraliser les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les associations gestionnaires. Cette généralisation devra sans doute être accompagnée, comme vous le proposez, monsieur le sénateur Mouiller, par une clarification des financements, encore trop morcelés, ce qui nuit à la cohérence de notre stratégie.

Oui, le chemin vers une société inclusive est encore aventureux, et les territoires doivent être pleinement mobilisés pour organiser cette réponse simplifiée et ajustée à l’ensemble des besoins. Concernant les territoires, il s’agit d’impliquer, comme vous le notez si bien, tous les acteurs susceptibles d’évaluer finement les besoins, d’animer l’évolution de l’offre et de fluidifier les parcours.

C’est d’ailleurs tout le sens que j’ai voulu donner à la démarche des « territoires 100 % inclusifs » que j’ai lancée cette année dans le Territoire de Belfort et qui vise à créer cette communauté de regard et d’action entre les acteurs pour accélérer la transformation. J’ai besoin de vous pour concrétiser cette ambition. Le virage inclusif est pris, le mouvement ne s’arrêtera plus.

Toutefois, ce virage n’est qu’un des leviers de la transformation profonde à laquelle nous aspirons.

Treize ans après la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la place de nos concitoyens en situation de handicap s’est améliorée, mais le fonctionnement de notre société reste encore trop souvent source d’exclusion et de défiance. C’est la raison pour laquelle le comité interministériel du handicap, réuni le 25 octobre dernier, a réaffirmé la détermination de l’État à changer le quotidien des personnes.

Cinq grandes priorités ont été définies dans ce cadre.

La première priorité est la simplification. Vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, le Gouvernement s’engage à permettre l’attribution de droits à vie aux personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement. Cela pourra concerner l’allocation aux adultes handicapés pour les personnes dont le taux d’incapacité est supérieur à 80 %, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, mais aussi l’octroi de la carte mobilité inclusion ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. Ainsi, les personnes n’auront plus besoin de renouveler, parfois dix fois dans leur vie, les mêmes demandes.

Mais ce n’est pas tout : les personnes handicapées majeures sous tutelle vont pouvoir bénéficier d’un droit de vote inaliénable, elles auront le droit de se marier, de se pacser, de divorcer, de se soigner, sans devoir recourir à l’autorisation judiciaire, tout en conservant l’accompagnement par les tuteurs. C’est un progrès considérable qui permettra de reconnaître enfin les personnes handicapées comme des citoyens à part entière, et non plus comme des citoyens à part.

Par ailleurs, toute politique publique doit être pensée et conçue avec et pour les personnes en situation de handicap : « jamais rien pour nous sans nous », comme elles le disent très justement.

En deuxième lieu, la scolarisation sera également au cœur de notre action. Parce que la construction d’une société se joue dès le plus jeune âge, une grande concertation nationale vient d’être lancée, conjointement avec Jean-Michel Blanquer, afin d’effectuer le saut qualitatif nécessaire pour consolider l’école inclusive.

En troisième lieu, en matière d’emploi, nous poursuivrons le travail global engagé en faveur du soutien à l’activité des personnes handicapées, conforté par les dispositions de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et nous rénoverons l’offre de services pour sécuriser les parcours vers et dans l’emploi.

En quatrième lieu, l’accès aux soins sera aussi considérablement facilité, avec la refonte des dispositifs d’aide à la complémentaire santé, la révision de la liste des produits et prestations remboursables, devenue tout à fait obsolète, et, bien sûr, l’amélioration du repérage des troubles de l’apprentissage et du neurodéveloppement, avec le développement d’un « forfait intervention précoce » dès le 1er janvier 2019.

Enfin, le Gouvernement affirme l’ambition très forte de permettre à toutes les personnes d’accéder aux nouvelles technologies pour favoriser leurs communications et leur autonomie. Mettre en lien les start-up, les développeurs et les personnes pour concevoir et tester de nouveaux outils constituera ainsi un nouvel enjeu interministériel.

Cette société du vivre ensemble s’incarnera également à travers la prochaine Conférence nationale du handicap, qui s’adressera à tous les citoyens et permettra de valoriser les initiatives et les pratiques locales. C’est à cette occasion que nous ouvrirons le chantier très attendu de la prestation du handicap, tant pour les enfants que pour les adultes, notamment pour mieux soutenir la parentalité des personnes en situation de handicap et mieux prendre en charge les besoins de compensation des enfants.

Le Gouvernement entend également reconsidérer le statut et la gouvernance des maisons départementales des personnes handicapées pour améliorer le pilotage de l’offre médico-sociale.

Parce que cette grande conférence doit être avant tout une dynamique émanant des territoires, des expériences locales, de la vraie vie, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à contribuer à ces échanges, qui nous permettront de construire ensemble ce « droit commun accompagné » et de bâtir une société inclusive qui redonne confiance et dignité.

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