Intervention de Gérard Longuet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 31 octobre 2018 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « enseignement scolaire » - examen du rapport spécial

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet, rapporteur spécial :

Je vous proposerai d'adopter sans modification le budget de la mission « Enseignement scolaire ».

Ce budget marque, par rapport au quinquennat précédent, une inflexion qui correspond aux souhaits de la majorité de notre commission. Sans doute cette inflexion n'est-elle ni suffisante ni décisive, mais les orientations du ministre répondent à nos voeux.

Les dépenses augmentent de 1,7 % en crédits de paiement ; ce qui est moins que pendant le quinquennat précédent, au cours duquel les dépenses ont crû de 2,4 % par an pendant cinq ans. Un symbole significatif : la très légère diminution des effectifs, à hauteur de 1 850 équivalents temps plein (ETP), sachant que notre démographie diminue de façon inquiétante ; au cours des prochaines années, les effectifs d'élèves dans le premier degré diminueront ainsi de trente à quarante mille élèves par an. C'est d'ailleurs cela qui permettra d'absorber la généralisation de la scolarité à partir de trois ans - mesure de bon sens - à moyens constants, et même en prolongeant la baisse des effectifs.

Ce qui est surtout satisfaisant, c'est moins la baisse des effectifs que la répartition de l'effort, puisque, conformément à nos souhaits, les effectifs dans le premier degré progressent de 1 800 ETP, en raison notamment de la généralisation, qui s'achèvera en 2019, du dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et REP+. Environ trois cent mille élèves bénéficieront de ce dispositif, qui devrait améliorer les résultats du primaire, facteur de réussite dans le secondaire.

Les mesures du ministre de l'éducation nationale éclairent sa volonté de soutenir la qualité de l'enseignement primaire, au travers des stages de réussite pour 70 000 futurs collégiens - ces stages sont animés par des professeurs volontaires, rémunérés en heures supplémentaires - et de l'extension de la politique des devoirs faits au collège, qui commence à porter ses fruits. Tout cela est de bon augure pour la réussite de notre formation.

En contrepartie, il faut des moyens. Sur l'enseignement secondaire, le ministre a été prudent ; on sent qu'il veut mettre de l'ordre mais qu'il n'a pas encore complètement arrêté sa politique. Les classes de moins de dix élèves par enseignant représentent environ 7 % des classes. Cette proportion s'explique notamment par l'organisation territoriale de l'enseignement technique et professionnel et par l'organisation actuelle du baccalauréat qui conduisent à une dispersion extrême des moyens humains et à des effectifs d'élèves réduits.

En 2019, la maîtrise de l'offre dans l'enseignement secondaire général et technologique passe par deux mesures. La première est la diminution du nombre d'épreuves au baccalauréat, qui permettra la reconquête de semaines scolaires au mois de juin. C'est très important, car les obligations règlementaires de service (ORS) des enseignants s'entendent à l'échelle de la semaine, non de l'année, et, en 2019, les ORS ne seront pas remises en cause, alors que leur annualisation comblerait bien des besoins de remplacement.

Second levier : la réorganisation de l'enseignement professionnel. Le ministère évoque des « campus d'excellence » ; on ne sait pas ce que c'est, mais espérons qu'il s'agisse de regrouper l'offre de l'enseignement professionnel pour en éviter la dispersion ; en effet, l'enseignement professionnel prépare à dix mille métiers différents, ce qui est une source de complexité et de sous-utilisation des moyens, donc d'un coût élevé.

En outre, l'orientation vers l'enseignement professionnel sera plus bienveillante. Les enseignants ont tendance à orienter autant que possible vers la voie générale ; en conséquence, l'apprentissage et l'enseignement professionnel ont l'image d'un enseignement par défaut, d'un échec.

Au total, les effectifs dans le secondaire diminueront à hauteur de 2 650 ETP. Cette baisse sera compensée un peu par la rationalisation de l'offre que je viens d'évoquer et beaucoup par l'augmentation des heures supplémentaires. En effet, le nombre d'heures supplémentaires pouvant être imposées par le chef d'établissement en cas de nécessité de service passera d'une à deux heures à compter de la rentrée prochaine.

Donc ce budget repose sur un équilibre entre le soutien à l'enseignement primaire et la rationalisation du secondaire.

Quelles en sont les mesures concrètes ?

J'indique tout d'abord qu'un dépassement du plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques de 170 millions d'euros peut être constaté, dû à l'effort de sincérité par rapport au budget précédent. Ainsi, une partie de l'augmentation des crédits prévue en 2019 vise à sincériser les comptes.

Le ministère, réalisant que les enseignants sont mal payés en début de carrière et voulant encourager les enseignants à prendre en charge les classes difficiles augmente de manière significative l'indemnité versée en REP+.

Néanmoins, d'une manière générale, - il y a là une ambiguïté -, la hiérarchisation des revenus liée à l'ancienneté et le poids du secondaire au sein de l'éducation nationale sont tels que l'effort, pour spectaculaire qu'il soit, bénéficie plus aux enseignants en fin de carrière. Ainsi, dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), le surplus touché par un professeur certifié s'élèvera à 10 000 euros s'il est en fin de carrière et à 1 000 euros s'il est débutant.

Par ailleurs, le fait de recruter moins permettra, on l'espère, de maintenir le niveau au concours. En outre, les étudiants pourront être associés dès la deuxième année de licence à l'enseignement, avec une indemnisation, ce qui les familiarisera avec leur futur métier. Ces mesures, qui favorisent le recrutement et les vocations, sont peu coûteuses, en raison précisément de cette hiérarchie fondée sur l'ancienneté.

Cette politique n'est malheureusement pas assez stimulante pour casser ce préjugé qui nuit à la qualité du recrutement dans certaines matières - mathématiques, anglais, français.

Le budget prévoit aussi un léger effort de productivité pour l'administration non enseignante, mais il est marginal.

Un motif de satisfaction pour nous réside dans la fin du logiciel Sirhen, équivalent pour l'éducation nationale du système Louvois au ministère des armées ; cela correspond à une demande du Sénat. Toutefois, cela ne règle pas le problème au fond, car il faut tout de même un système de gestion des ressources humaines.

Je conclurai sur une note plus personnelle. Nous avons la chance d'avoir un ministre qui connaît son ministère ; cela lui permet de l'administrer, sans annoncer de réformes mais en les faisant. C'est un progrès. En revanche, j'émets le voeu qu'il s'intéresse plus à ses partenaires, à commencer par les collectivités territoriales. En effet, le ministère est une structure organisée et hiérarchisée qui ignore ses partenaires.

Ainsi, le dédoublement des classes de primaire et la généralisation de la scolarisation à trois ans représentent des classes supplémentaires. Pourtant, les collectivités territoriales ne sont souvent mobilisées que pour payer les factures. Autre exemple, les collectivités pourraient être davantage impliquées dans la vie des établissements plutôt que de se limiter à être le témoin de conflits, au sein des établissements, entre les syndicats d'enseignants, la direction et les parents d'élèves, qui se terminent généralement en une demande de subvention... Le ministre dirige son administration, c'est bien, mais l'éducation nationale, c'est aussi ses milliers d'établissements et sa diversité d'acteurs.

Deuxième partenaire auquel Jean-Michel Blanquer pense insuffisamment : les employeurs et les régions, en partie dépossédées de la formation au profit des branches professionnelles, qui ne connaissent pas la réalité des territoires et des parents. Dans le cadre de la revalorisation de l'enseignement professionnel, il faut remettre autour de la table, avec l'éducation nationale, les élus locaux, les employeurs mais aussi les intercommunalités.

Enfin, je veux évoquer un aspect un peu particulier que l'on commence à observer en milieu urbain. En 1959, les relations entre public et privé ont été réglées au travers d'une sorte de conférence de Yalta, mais, alors que les parents changent, les ratios demeurent. Il faudra en reparler un jour ou l'autre. En particulier, des écoles hors contrat émergent dans les très grandes villes, soit pour raisons de choix pédagogiques soit pour des raisons idéologiques et communautaires. Le ministre fait bien fonctionner son administration mais il est ministre de la France entière, non seulement de son administration. Nous devons interpeller le ministre au sujet de cet isolement face à ces partenaires.

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