Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 3 décembre 2007 à 21h45
Loi de finances pour 2008 — Défense

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Les bâtiments de l'École militaire ont actuellement une vocation militaire. Cependant, je considère que le ministère de la défense doit, comme d'ailleurs tous les grands ministères, s'adapter aux évolutions : évidemment, il doit conserver tous ses lieux de pouvoir - notamment, bien sûr, l'ancien ministère des armées, dans le viie arrondissement -, mais que les états-majors dont les besoins sont un peu complexes devraient pouvoir être déplacés.

En attendant qu'une décision définitive soit prise au premier trimestre 2008, je proposerai donc un amendement visant à réduire les crédits aujourd'hui affectés à ce transfert.

Le niveau des crédits d'équipement sera inférieur de 250 millions d'euros à celui qui est prévu par la loi de programmation. Certes, cela doit être mis en perspective avec la levée de la réserve de 1, 15 milliard d'euros sur le budget de 2007, avec l'ouverture de crédits supplémentaires pour les frégates multimissions et avec la couverture intégrale en collectif budgétaire du surcoût des opérations extérieures de 2007.

Force est tout de même de constater que l'exécution de la loi de programmation militaire en cours a été perturbée par la nécessité de faire face à des besoins supérieurs aux prévisions, notamment sur le maintien en condition opérationnelle et le nucléaire, besoins qui se sont ajoutés au rattrapage des coupes opérées entre 1997 et 2002 et ont représenté plus de 13 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une annuité complète des crédits d'équipement.

L'action de nos armées est entravée par l'existence de lacunes capacitaires, notamment en matière de projection de forces, de recueil de renseignements et d'aéromobilité, même si j'ai pu constater, lors du dernier voyage aux États-Unis et de la visite que nous avons effectué à l'ONU avec la commission des affaires étrangères, que notre pays avait une très bonne réputation en la matière et que les forces françaises apparaissaient comme les plus compétitives dans ce domaine. Néanmoins, nous avons pris bien trop d'engagements, des engagements intenables qu'il appartiendra au Livre blanc de trier.

Dans ce contexte, et dans la perspective du Livre blanc, le « diagnostic vérité » commandé par le Président de la République ainsi que par le Premier ministre et « mis en musique » par le ministre de la défense n'est pas un luxe. C'est, semble-t-il, au prix d'aménagements, voire de fragilités dans certains domaines, que les armées parviendraient à remplir globalement leur contrat opérationnel. Plusieurs matériels importants, comme les hélicoptères Puma et SuperFrelon ou les avions Transall C 160 ont été prolongés à l'extrême.

Les capacités en avions et hélicoptères de transport, en drones, en batellerie des bâtiments amphibies, en moyens de combat en zone urbaine et en interopérabilité des systèmes de commandement sont aussi insuffisantes.

Mais la question du matériel, si importante soit-elle, n'est, elle-même, qu'un symptôme, une conséquence. Il n'existe qu'un seul moyen de la régler. Ce moyen, et c'est un vieil « Européen » qui vous le dit, est la mutualisation européenne. Certes, c'est plus facile à dire qu'à faire...

Autrement dit, le coeur du problème est ailleurs : le coeur du problème, c'est que, dans le monde actuel, nous ne pouvons pas y arriver seuls. La défense est devenue collective et multilatérale.

Je le répète après d'autres, comparer l'outil de défense français avec ceux des autres pays d'Europe et des États-Unis est, à ce titre, très instructif.

La France consacre 1, 92 % de son PIB, gendarmerie incluse, à son effort de défense, contre 2, 08 % pour la Grande-Bretagne et 3, 8 % pour les États-Unis, où le taux atteint même plus de 4 % si l'on inclut l'effort budgétaire consacré à l'Irak et à l'Afghanistan, mais ce taux n'est en Allemagne et en Espagne, deux grands pays européens, qu'aux environs de 1 %.

En matière d'équipement, le budget américain est deux fois et demie supérieur au budget global européen : les États-Unis y consacrent 67 milliards d'euros, contre 11 milliards d'euros pour les Européens.

Dans l'Europe à vingt-sept, deux pays accomplissent 40 % de l'effort de défense : la Grande-Bretagne et la France.

Allons plus loin : le problème est que notre défense repose ou devrait reposer sur deux piliers, l'OTAN et l'Europe. Or ces deux piliers sont totalement déséquilibrés.

La question centrale, sous-jacente à toute la transition face à laquelle nous nous trouvons, celle qui sous-tend les trois chantiers du Livre blanc, de la revue des programmes et de la prochaine loi de programmation militaire, est la suivante : allons-nous nous donner les moyens de développer la défense européenne et de rééquilibrer les piliers de notre défense multilatérale ?

Quelques éléments nous permettent aujourd'hui de croire qu'un tel rééquilibrage est possible à court terme.

D'abord, monsieur le ministre, vous nous avez affirmé que la priorité serait accordée à ce dossier. Un travail de réflexion est en cours et des contacts vont être établis avec nos partenaires en vue de préparer des propositions qui pourraient être examinées lors de la présidence de l'Union européenne par la France au second semestre 2008.

Ensuite, la relance de l'Europe de la défense bénéficie d'un contexte favorable à la suite du dernier sommet européen de Bruxelles, qui a été une réussite.

Enfin, le « traité simplifié » ouvrira de nouvelles possibilités de coopérations renforcées, notamment dans le domaine de la PESD.

Tout semble donc réuni pour que nous puissions, dans les années à venir, véritablement passer à la vitesse supérieure en matière de défense européenne.

Pourtant, comme la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l'a très bien souligné dans son excellent rapport d'information de juillet dernier consacré aux enjeux des évolutions de l'OTAN, de très grandes incertitudes planent actuellement sur l'évolution et le renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense.

En la matière, la position de la France a, jusqu'ici, manqué de lisibilité, tout simplement parce que l'avenir de la PESD est intrinsèquement lié à celui de l'OTAN. Nous n'avancerons pas en matière de politique européenne de défense sans clarifier notre position atlantique, et sans que l'OTAN clarifie sa position vis-à-vis de la PESD.

Les données du problème sont les suivantes : d'une part, seuls deux pays, la France et la Grande-Bretagne, financent véritablement la PESD ; d'autre part, tous nos partenaires européens, surtout ceux de l'Est et l'Allemagne, s'en remettent à l'OTAN pour la défense ultime depuis la création de cette institution en 1949 et ils ne sont donc pas disposés à l'abandonner au profit du système de défense collective européenne en gestation, qui va leur coûter beaucoup plus cher.

Certains de nos partenaires sont très méfiants vis-à-vis de la PESD. Ainsi, la création récente d'un état-major européen de planification a été jugée par certains comme redondante au regard des structures déjà existantes dans l'OTAN.

D'où le blocage de la PESD. D'où peut-être aussi le rapprochement que l'on peut observer avec bonheur de la France avec l'OTAN.

Pour sortir de l'impasse, certains ont récemment évoqué l'idée qu'une sorte de marché pourrait être conclu avec nos partenaires. D'un côté, la France se rapprocherait des structures atlantiques, voire les réintégrerait pleinement, même si je sais que ce n'est pas à l'ordre du jour. De l'autre, en contrepartie, nous obtiendrions un engagement plus résolu de nos partenaires dans le développement de la politique européenne de défense. Tout cela fait évidemment progresser l'idée de capacité de défense.

La crise des euromissiles américains de Pologne est emblématique du blocage et de l'aberration de la situation. Elle souligne aussi une fois de plus, s'il en était encore besoin, la nécessité de développer la PESD. Il est tout de même fou que, officiellement, la question du bouclier antimissile américain ne soit véritablement discutée dans aucune enceinte multilatérale.

Les consultations que nous avons menées dans le cadre du rapport que nous avons rendu à la délégation pour l'Union européenne sur les relations Union européenne-Russie ont fait apparaître un refus ou une crainte d'aborder cette question tant au sein de l'Union de l'Europe occidentale que de l'OTAN. Cette dernière a d'ailleurs en fait rédiger un énorme rapport sur la défense antimissiles européenne, sans aborder le véritable problème du système des missiles antimissiles que les Américains mettent en place dans le monde entier.

Tout le monde nous dit que cette question ne concerne que la Pologne, la Tchéquie et les États-Unis. Or c'est une question éminemment européenne. Pour faire face à cette crise, une réponse européenne commune est nécessaire ! La Russie attend une telle réponse : elle souhaite trouver une voie d'entente avec l'Union européenne en matière de défense antimissiles. Son retrait du traité des forces conventionnelles en Europe est tout de même un signe. Il faut s'interroger. On ne peut continuer à ne pas aborder ce problème. J'imagine qu'il est évoqué au niveau des chefs d'État. C'est un problème que la représentation nationale doit connaître.

En conclusion, si ce budget est un budget de transition, ce vers quoi nous allons, il implique des choix qui ne sont pas encore faits. En revanche, ce qui paraît clair, c'est ce vers quoi nous devrions tendre. Nous devons profiter de cette période charnière pour développer substantiellement la politique européenne de défense.

Monsieur le ministre, sachez qu'à titre personnel je voterai votre budget et que mon groupe - UDF, Nouveau Centre et MODEM, le votera également.

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