Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 3 décembre 2007 à 21h45
Loi de finances pour 2008 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons devant une situation particulière, voire paradoxale.

Le budget global de la défense s'élèvera en 2008 à 35, 9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 36, 8 milliards en crédits de paiement.

Par rapport à 2007, les crédits de la mission « Défense » ne progressent pas, ils stagnent.

Le ministère de la défense, qui n'échappe pas au dogme gouvernemental de non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, prévoit la suppression de 6 000 postes, soit 4 800 postes militaires et 1 200 civils, sur un total de 320 000 personnes, qui se décompose lui-même en 246 000 militaires et 74 000 civils.

C'est une situation particulière parce qu'il s'agit du premier budget du quinquennat Sarkozy, ... et ce n'est pas un bon budget.

C'est une situation paradoxale, car, en réalité, vous êtes, monsieur le ministre, prisonnier d'un héritage. Il faut en parler. C'est l'héritage de votre prédécesseur, aujourd'hui au ministère de l'intérieur.

Cet héritage devient une contrainte supplémentaire sur un budget très serré. À force de fermer les yeux pendant cinq ans, il est difficile pour la majorité sortante et reconduite de regarder la réalité en face. Là encore, on cherche la « rupture ».

Faisons un effort : une revue des programmes - engagés et à venir - est en cours, les résultats, dit-on, seraient déjà dans le tiroir du ministre. Pourquoi les résultats de cette revue de programmes ne sont-ils pas pris en compte par cette dernière annuité de la programmation militaire ?

J'ai une réponse à vous proposer : il s'agit de maintenir la fiction d'une exécution parfaite de cette programmation irréaliste et conservatrice. Dans le théâtre d'ombres qu'est devenu le budget de l'État - d'un État en faillite -, il faut sauver les apparences et maintenir le mythe de la bonne programmation bien exécutée.

Votre prédécesseur était devenu une spécialiste de ce jeu de cache vérité. Malgré nos avertissements et nos analyses, elle a fait semblant de ne pas voir grandir et se développer la « bosse financière » dont tout le monde parle aujourd'hui. Je vous invite d'ailleurs à relire l'excellent rapport sur la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 de notre collègue Serge Vinçon - pour lequel nous avons tous une pensée ce soir. Ce rapport est toujours extrêmement intéressant, même cinq ans après sa parution. Beaucoup des éléments qu'il comporte peuvent être pris en compte.

Si la programmation 2003-2008 a été si bien préparée, si bien respectée, si bien accomplie, pourquoi a-t-on dû procéder en catastrophe, dès le mois de décembre 2006, à une revue des programmes sur cette même loi de programmation militaire ?

Pourquoi alors une « opération vérité » - excusez du peu - demandée dès son arrivée par le nouveau ministre de la défense sur les comptes du ministère ?

La vérité dévoilée est apparue tout-à-coup, ex abrupto, aux yeux du nouveau ministre ? Ou alors, ce qui était vrai en 2006 est devenu faux en 2007, seulement parce que nous avons changé de gouvernement, même si on a gardé quelques ministres ?

Non, l'explication est plus prosaïque. D'une part, cette loi de programmation militaire basée sur un modèle d'armée caduc et sur un Livre blanc rédigé avant la professionnalisation de nos armées était déphasée et, d'autre part, la politique économique et sociale du gouvernement d'alors ne permettait pas d'atteindre les ambitieux objectifs fixés par la loi de programmation militaire.

Je n'aurai pas la cruauté de répéter les arguments que je vous ai exposés récemment - vous pouvez lire ou relire utilement le rapport Vinçon n° 370 et en particulier son annexe à laquelle j'avais contribué.

Cela ne met pas en cause la vaillance avec laquelle Mme Alliot-Marie a défendu bec et ongles ses budgets face aux offensives régulières de Bercy, dirigé un moment par un certain Nicolas Sarkozy. Sans cette défense, les crédits du ministère auraient connu un sort encore plus néfaste.

Ma critique était et reste une critique fondamentale sur l'essence même d'une loi de programmation mal préparée et inadaptée.

Aujourd'hui, cet héritage-là vous tombe sur la tête, accompagné en plus d'une autre mauvaise nouvelle : il faudra faire respecter, nous y veillerons, la promesse présidentielle d'un budget de défense atteignant 2 % du PIB.

Lors d'une conférence de presse sur son programme de politique internationale, le 28 février 2007, Nicolas Sarkozy avait estimé à 2 % du PIB le budget « minimum » en matière de défense. Il a même ajouté : « C'est le prix de notre indépendance nationale, de nos responsabilités internationales, et de notre sécurité. C'est là un devoir de l'État qu'il serait irresponsable d'opposer à d'autres politiques non moins essentielles à la nation comme l'éducation ou la recherche. ».

Nous sommes curieux de savoir comment vous allez vous y prendre pour tenir cet engagement présidentiel.

En tout cas, le budget 2008 ne prend pas le bon chemin. Le Gouvernement ne nous propose qu'un petit 1, 61 % du PIB, selon la référence OTAN, voire entre 1, 65 % et 1, 71 % selon d'autres sources.

Ainsi, le budget 2008 n'est pas très différent des budgets précédents. C'est aussi un budget de transition, car il est le dernier de la loi de programmation militaire en cours. Pour faire court, j'emprunterai les mots prononcés par le président de la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, Guy Teissier, qui a déploré, début octobre, des crédits en baisse sur « des points stratégiques » du budget 2008 de la défense, citant en particulier l'armée de terre et l'espace. II avait alors estimé dans un communiqué que la commission « ne peut souscrire » à « une diminution de crédits sur certains points stratégiques ». Nous non plus !

Pour le proche avenir, les sujets d'inquiétude et de réflexion ne manquent pas. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le Livre blanc sur les affaires étrangères, ce sont des exercices nécessaires qui ne trouveront leur véritable raison d'être que dans une sorte de consécration démocratique : avec présentation, débat et vote au Parlement. Les dangers et les menaces auxquels nous sommes confrontés exigent que les moyens et les doctrines de notre défense soient clairement exposés sur la place publique. On a beaucoup glosé sur le « consensus national » entourant les questions de défense... Il serait temps de lui redonner du tonus démocratique !

Depuis quelques mois, il y a une course à l'OTAN qui ne me semble pas opportune. Le rapprochement avec l'OTAN est une chimère qui varie, qui évolue au gré des déclarations des responsables gouvernementaux, un jour c'est oui et un autre peut-être ! On aimerait y voir plus clair. Je considère pour ma part, que la défense européenne doit être notre priorité, ce qui n'exclut pas le travail avec nos amis américains. Mais, à force de vouloir se rapprocher de Washington et de vouloir intégrer l'OTAN, on obère nos capacités d'action autonome et on nous place dans une situation plus fragile, moins indépendante. Voulons-nous que notre politique étrangère et de défense ressemble à celle de la Grande-Bretagne ?

Des informations font état d'un futur renforcement, encore un, de nos forces en Afghanistan. Ainsi, la France pourrait fournir l'essentiel de la réserve tactique prévue par l'OTAN pour renforcer, si nécessaire, les forces de l'OTAN sur les théâtres extérieurs, en particulier en Afghanistan. Est-ce la bonne politique ? Cette intervention durant depuis plusieurs années, est-ce qu'on va en voir la fin ? A-t-on une idée de la sortie du conflit ? Nous devrions avoir un débat de fond sur cette question et je souhaite que, pour commencer, M. le ministre puisse nous apporter un bilan complet - politique et militaire - de l'intervention de la France en Afghanistan.

Je voudrais aborder un autre sujet d'actualité, il s'agit de questions posées par le projet de bouclier antimissiles. II y a quelques jours, les 21 et 22 novembre, l'ambassadrice américaine auprès de l'OTAN, Mme Victoria Nuland, a réaffirmé la nécessité du bouclier antimissiles proposé par les États-Unis, qui serait composé d'un système de détection radar basé en République tchèque, et d'une dizaine de missiles antimissiles en Pologne. Pour justifier ce déploiement sur le sol européen, Mme Nuland avance que « la menace vient non seulement d'Iran mais aussi de la Corée du nord, du développement de missiles balistiques par des agents ?voyous?, cette menace est réelle et va croissant ». Elle a ajouté qu'il s'agissait d'offrir une protection aux pays européens contre une frappe éventuelle en provenance des pays susmentionnés, elle a aussi estimé que cette « frappe avec des missiles » pouvait intervenir d'ici à l'an 2015.

On sait déjà ce qu'ont coûté d'autres brillantes analyses stratégiques de nos alliés américains sur les théâtres moyen-orientaux, en particulier quand on a brandi la menace des armes de destruction massive, qui n'ont pas encore été retrouvées ! Donc, prudence et réflexion avant d'embarquer notre pays et l'Union européenne dans une nouvelle course aux armements, ... même s'il s'agit d'armements « défensifs ».

Nous n'avons pas la même perception de la menace iranienne et encore moins de son caractère « imminent ». Nous devons aussi évaluer le coût et la rentabilité de l'investissement exigé par ce bouclier, surtout dans la mesure où son degré d'efficacité est inconnu.

Nous devons, dans le même contexte, soulever la question de l'utilisation militaire de l'espace et last but not least, nous devrions évaluer l'impact d'une stratégie qui incorporerait le bouclier antimissiles sur la crédibilité, l'efficacité et la pérennité de notre politique de dissuasion nucléaire.

La question du bouclier antimissiles, telle qu'elle est posée par les États-Unis aujourd'hui, entraîne une autre inquiétude : celle de voir se dessiner à long terme une alliance bilatérale les Etats-Unis et la Russie, ceux-ci pourraient relier leurs futurs systèmes respectifs pour faire face aux menaces balistiques... avec, au milieu, l'Europe prise en otage des conceptions stratégiques dont elle n'aurait pas la maîtrise... Scénario hypothétique certes, mais prenons garde à ne pas perdre, d'alignement en ralliement, notre marge d'autonomie stratégique et tentons, au contraire, de faire accroître cette capacité au sein de l'Union européenne au bénéfice de tous les européens, de la paix et de la sécurité collective.

J'aurais voulu vous parler, monsieur le ministre, de l'accord trouvé autour du projet Galileo, qui va dans le sens de la préservation de l'autonomie stratégique de l'Europe et du développement de ses capacités propres, mais le temps s'écoule, et je ne peux que me réjouir de l'aboutissement de ce projet extrêmement important. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner les détails du contenu de l'accord annoncé vendredi dernier par la présidence portugaise ?

Je souhaite également vous interroger sur les discussions, les négociations devrais-je dire, qui ont lieu actuellement sur le « paquet Armement » que la Commission européenne devrait adopter le 5 décembre prochain. Ce paquet est constitué notamment d'une proposition de règlement sur les transferts intracommunautaires d'équipements de défense et d'une proposition de directive sur la coordination des marchés publics de la défense et de la sécurité.

Quelques mots enfin, avant de conclure, à propos du renseignement et de la recherche. Je me contenterai de reprendre mot pour mot l'excellente conclusion du rapporteur pour avis sur l'environnement et le soutien de la politique de défense : « en effet, bien que le projet de loi de finances pour 2008 couvre la dernière annuité de la loi de programmation militaire 2003-2008, il eût été sans doute possible, et à l'évidence responsable, de faire un effort budgétaire tout particulier dès maintenant dans le domaine du renseignement extérieur et celui de la recherche qui, à n'en pas douter, seront des axes majeurs des aptitudes de notre futur outil de défense. La future loi de programmation devra mettre résolument en oeuvre ces choix, sauf à obérer gravement l'avenir de notre sécurité. En n'anticipant pas ce qui est désormais une évidence pour tout le monde, notre pays fait une pause inutile et préjudiciable, qu'il devra obligatoirement combler par un effort supplémentaire dès l'année prochaine. De tels enjeux ne sauraient être ignorés et sacrifiés sur l'autel de je ne sais quelle orthodoxie budgétaire. ».

Pour finir, je voudrais dire un mot sur les personnels de la défense, civils et militaires. D'abord, pour souligner le travail remarquable fait par celles et ceux qui, en France ou à l'étranger, mettent tout leur dévouement et leur énergie au service de la défense et dans les tâches multiples de la sécurité. Je veux ici les saluer et leur faire parvenir un message de solidarité et d'encouragement.

Souvent, quand on parle de la défense, de la sécurité, on parle longuement des matériels, des équipements, des stratégies et on oublie les personnels qui les servent. Je vous invite, monsieur le ministre, à poursuivre l'effort d'amélioration de la condition militaire. Cela est bien sûr également valable pour la gendarmerie. Par ailleurs, le recrutement et la fidélisation sont des chantiers cruciaux sur lesquels notre vigilance doit être constante.

Je crains, hélas ! que votre projet de budget ne soit pas à la hauteur des exigences. Nous constatons d'ailleurs qu'il n'avance aucune proposition concrète susceptible de faire progresser l'Europe de la défense. En outre, il fait peser une lourde hypothèque sur les budgets à venir, qui devront assumer l'inadéquation entre les crédits disponibles et les commandes à honorer, ce qui ne sera pas facile.

Le groupe socialiste votera donc contre ce budget.

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