Merci de vos aimables propos, monsieur le président. Il était utile que nous passions un peu de temps avec les principaux rapporteurs en amont de cette audition afin qu'elle soit la plus productive possible.
Je mesure le privilège que nous avons collectivement de pouvoir présenter un budget tel que celui-ci, privilège qui est évidemment le contrepoint d'une situation passée difficile : nos armées ont subi des coupes sombres durant des années.
Ce projet de budget correspond à la trajectoire que nous avions tracée lors de l'examen de la LPM. Cette loi, enrichie par les deux assemblées, a été adoptée à une très large majorité et promulguée par le président de la République dans un lieu hautement symbolique, l'hôtel de Brienne, à une date également hautement symbolique, le 13 juillet.
La LPM fixe le cap des 2 % du PIB en faveur de notre effort de défense : elle prévoit 295 milliards d'ici à 2025. Cette loi a défini quatre axes principaux : le premier d'entre eux est de remettre les soldats et les civils du ministère de la défense, ainsi que leurs familles, au centre de notre action.
Le second axe est consacré au renouvellement des équipements afin que nos forces soient désormais capables d'intervenir avec des matériels les plus modernes.
Le troisième axe porte sur la préparation des conflits du futur car, après avoir réparé, il faut nous préparer sur tous les terrains, nous engager résolument dans le cadre de l'Europe de la défense et investir dans des secteurs clés que sont le renseignement, la cyberdéfense et la politique spatiale.
Enfin, le dernier axe est celui de l'innovation car le ministère des armées doit être au coeur de toutes les initiatives et de tous les projets en ce domaine.
Cette loi de programmation est donc porteuse d'espoir et elle envoie des messages forts à nos alliés, à nos ennemis et à nos forces. S'agissant de ces dernières, les attentes sont nombreuses et importantes. Ne les décevons pas. Nous disposons de moyens exceptionnels, mais nous avons des responsabilités tout aussi exceptionnelles. Nous devrons inscrire dans le réel les engagements pris dans la LPM. L'objectif de ce projet de loi de finances est d'y répondre très exactement. Ensuite, nous devons faire en sorte que chaque euro investi soit un euro utile. Au moment où les Français vont consentir des moyens considérables en faveur de notre défense, il faut que nous nous montrions dignes de leur confiance. Le président de la République est extrêmement attentif à ce que le ministère des armées utilise de façon parfaitement justifiée les deniers qui lui sont confiés.
Le projet de loi de finances pour 2019 est en quelque sorte l'an I de la LPM. C'est un budget d'action et de reconquête qui doit nous permettre de faire face à l'ensemble des besoins exprimés, même si nous ne pourrons pas tout faire en un an.
Je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de ce budget. Mon ministère disposera de 35,9 milliards en 2019, soit 1,82 % du PIB. Par rapport à 2018, l'effort se monte à 1,7 milliard, soit 5 % de plus. Nous en sommes donc à l'an II du renouveau, parce qu'en 2018 nous avions budgété 1,8 milliard supplémentaire par rapport au budget 2017. Les armées disposeront donc de 4 milliards de plus qu'en 2016 : en peu d'années, un effort considérable a donc déjà été consenti et il va être poursuivi, conformément aux engagements de la LPM.
Ce budget est sincère, car il est exclusivement constitué de crédits budgétaires. Il ne fait donc pas de pari sur des recettes exceptionnelles ou aléatoires. Par ailleurs, les opérations extérieures seront couvertes par une provision qui continue de croître en 2019. Vous l'aviez portée à 650 millions en 2018 et elle est fixée à 850 millions en 2019. À cela s'ajoute une provision pour les missions intérieures de 100 millions, soit, au total, 950 millions de provisions. C'est nettement mieux que ce qui été fait auparavant.
Enfin, il est encore trop tôt pour vous dire comment l'exécution du budget 2018 pour les OPEX sera bouclée, mais nous y travaillons. Lorsque ce budget sera examiné en séance publique, je disposerai certainement de plus d'informations.
Enfin, ce budget permet de répondre rapidement à un certain nombre de besoins de nos armées. Nous devons agir vite parce que le contexte international reste extrêmement tendu, que la menace terroriste est toujours présente, que nos forces continuent au Levant comme au Sahel à combattre le mal à la racine, que nous sommes toujours en proie au déséquilibre de l'ordre international, à la course aux armements, aux stratégies de puissance des grandes nations. Il faut agir vite aussi parce que les modes d'action et de combat évoluent. J'ai déjà évoqué devant vous les menaces cyber, la facilité déconcertante avec laquelle un simple drone acheté dans le commerce peut être transformé en engin de mort. Les technologies se démocratisent, deviennent extrêmement accessibles à tous les budgets et elles peuvent se retourner contre nous.
Bien d'autres types d'actions pourront changer nos modes de pensée et de combat. Ainsi en est-il de la capacité à manipuler l'information. Au champ de bataille traditionnel s'ajoutent donc toutes sortes de menaces nouvelles. Enfin, l'espace est en train de devenir un lieu de confrontation stratégique dont l'importance n'est plus à démontrer. Nos forces ont besoin de satellites pour agir. Pour cette raison, le président de la République m'a demandé de travailler à l'élaboration d'une stratégie spatiale de défense dont nous rendrons les conclusions avant la fin de l'année.
J'en viens au poison du nationalisme qui est une menace très directe. Chez nos voisins, chaque scrutin est l'occasion d'assister à la montée en puissance de partis qui prônent le repli sur soi et le refus d'une défense commune. Pour ma part, je continuerai à défendre l'Europe de la défense, qui est une source d'opportunités exceptionnelles pour une meilleure protection. Cette politique a bien plus avancé ces deux dernières années qu'au cours des dix années précédentes. Le fonds européen de la défense monte en puissance : il financera l'innovation. La coopération structurée permanente affiche une liste impressionnante de projets capacitaires. L'initiative européenne d'intervention permettra de développer sur le long terme une culture stratégique commune et de favoriser les déploiements communs. Enfin, des coopérations industrielles, en particulier avec l'Allemagne, devraient nous permettre de concevoir ensemble des équipements majeurs tels que le char et l'avion de combat du futur.
Dans ce contexte, et face aux menaces toujours bien présentes, ce budget propose un certain nombre de solutions. D'abord, pour nos soldats et pour leurs familles qui étaient les premiers sacrifiés : cette situation ne pouvait perdurer. Je tiens à mettre l'humain au coeur de mon ministère et de mon action. C'est pourquoi j'ai souhaité que le plan famille entre le plus rapidement possible en vigueur. J'en ferai demain un bilan complet au régiment d'infanterie Chars de marine à Poitiers. Je suis extrêmement satisfaite de l'exécution de ce plan, qui résulte d'un travail collectif remarquable de nos armées : 80 % des mesures du plan ont été lancées et une grande partie a été réalisée pour ce qui concerne les objectifs 2018. Des mesures concrètes ont été prises, comme l'accès au Wifi ou la possibilité de voir son enfant lorsqu'on est jeune divorcé. Cela change la vie. Nous allons continuer dans cette voie avec l'accroissement de l'offre des gardes d'enfants, qui passe par une hausse de 20 % du nombre des réservations de berceau, l'amélioration de l'accueil des familles, des actions de cohésion pour améliorer la vie en garnison, la mise en oeuvre de la seconde version de la plateforme « e-social » des armées pour que les prestations d'action sociale soient plus simples d'accès et de fonctionnement, et la pérennisation du dispositif de soutien psychologique aux familles avec l'assistance téléphonique « écoute défense ».
Au-delà du plan famille, un certain nombre de mesures à hauteur d'homme figurent dans ce budget : il est prévu pour la protection du combattant 25 000 gilets pare- balles, des nouveaux treillis, des blindages pour hélicoptères, des moyens de lutte contre les IED (Improvised Explosive Devices). Le budget d'entretien du matériel augmente de près de 8 %, soit 4,2 milliards, afin d'améliorer la disponibilité du matériel. Nous allons également renforcer l'entretien des infrastructures.
Les crédits pour le plan famille sont portés de 23 millions en 2018 à 57 millions en 2019. Les crédits d'action sociale s'élèveront à 102 millions, soit près de 10 millions supplémentaires en particulier destinés aux mesures en faveur du handicap. Cette politique à hauteur d'homme n'est donc pas un slogan, mais une réalité.
Le second volet est aussi très attendu : c'est le renouvellement des équipements. Nos matériels sont vieillissants et usés par des engagements intenses. Il fallait donc rapidement des moyens nouveaux. Le projet de loi de finances prévoit 19,5 milliards d'euros de crédits d'équipement, dont 4,2 milliards d'euros pour la maintenance et l'entretien des matériels, c'est-à-dire le maintien en condition opérationnelle (MCO), soit une progression de 320 millions d'euros par rapport à 2018.
L'armée de terre bénéficiera des premières livraisons des matériels qui s'intègrent dans le programme Scorpion. Il s'agit des premiers blindés Griffon. Elle connaîtra aussi la livraison de 8 000 fusils d'assaut modernes HK416 et de 50 postes de tir de missiles moyenne portée, qui seront répartis dans quatorze régiments. Elle bénéficiera également de livraison d'hélicoptères NH90, de parachutes, de véhicules tactiques VT4...
Du côté de l'armée de l'air, des équipements indispensables seront livrés, à commencer par le deuxième Multi Role tanker transport (MRTT), c'est-à-dire l'avion de ravitaillement en vol, dont nous accueillerons avec pleine capacité opérationnelle le premier exemplaire vendredi 19 octobre. Il y aura aussi un A400M supplémentaire, portant le nombre total à quinze en 2019, deux C-130J adaptés à nos opérations spéciales, six drones MALE Reaper supplémentaires, très attendus par nos forces, un avion léger de surveillance et de reconnaissance.
La marine nationale bénéficiera de la livraison de deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers, d'une frégate multi-missions supplémentaire, d'un patrouilleur léger et d'un bâtiment multi-missions dans les Antilles, ainsi que d'un avion de patrouille maritime rénové Atlantique 2.
Ce budget laisse la place aux deux autres axes structurants de la loi de programmation militaire : la préparation aux conflits du futur et l'innovation. Les études amont seront dotées de 758 millions d'euros, c'est-à-dire une hausse de 5 %. Cette étape supplémentaire doit nous permettre d'atteindre le milliard d'euros annoncé en 2022. Les armées disposeront de crédits et d'emplois supplémentaires, dont les deux tiers seront dédiés aux capacités-clés du renseignement, du cyber et du numérique.
La force de ce projet de loi de finances est de n'oublier personne. Il n'y a que des gagnants dans cette remontée en puissance.
Le ministère des armées verra ses effectifs croître. C'est un effort exceptionnel, avec 450 équivalents temps plein en plus dans le budget 2019. Ce schéma d'emplois est destiné à répondre à des priorités : le renseignement, avec près de 200 créations de postes ; la cyberdéfense et l'action dans l'espace numérique, avec presque 130 créations de postes. Un effort particulier sera également réalisé en matière de soutien aux exportations, avec 45 créations de postes, ainsi que 65 autres besoins opérationnels. Cette manoeuvre se poursuivra sur les prochaines années, avec une hausse des effectifs programmés de 1 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sur la période 2019-2022.
Le ministère poursuit sa transformation. Elle va toucher en particulier les services de soutien, aux premiers rangs desquels le commissariat aux armées, le service d'infrastructure de la défense et le service de santé des armées. Nous devons réussir cette transformation cruciale, qui, contrairement à ce qui a pu être vécu dans les armées pendant de nombreuses années, est choisie, et non subie. Elle est destinée à simplifier les procédures et à éviter les doublons. Elle doit permettre d'avoir plus de numérique, plus de facilité. C'est essentiel pour l'attractivité de nos armées, pour la fidélisation de nos personnels, pour l'amélioration des conditions de travail. Nous le devons aux Français et à nos forces.
L'objectif en termes de recrutements sera très ambitieux. Le ministère des armées devra recruter en 2019 21 600 militaires, et au moins 3 700 personnels civils, un chiffre record, qui s'explique à la fois par le besoin de renouvellement lié à la pyramide des âges et par l'augmentation des effectifs permise par les créations de postes.
Nous avons lancé seize chantiers de modernisation du ministère. Ils seront en grande partie mis en oeuvre en 2019. Cette modernisation est tout à fait essentielle à la bonne utilisation des moyens qui nous sont confiés. Elle me tient particulièrement à coeur.
Le maintien en condition opérationnelle des équipements est un chantier. Le MCO aéronautique était le talon d'Achille de nos armées. La nouvelle direction de la maintenance aéronautique, créée au mois d'avril, continue sa montée en puissance. Elle met en oeuvre la réorganisation contractuelle, avec comme objectif de substituer à un très grand nombre de contrats un tout petit nombre de contrats globaux sur une longue durée, permettant de responsabiliser les industriels. Dès la fin de l'année 2018, nous disposerons de premiers contrats globaux par flotte pour les hélicoptères Fennec et Cougar. Nous recherchons une complémentarité et une responsabilité plus fortes des industriels. Je suis très attachée à une industrie d'État pour notre maintenance aéronautique.
Le plan que j'ai annoncé cet été sur le MCO terrestre se résume en trois mots : responsabiliser, rapprocher et anticiper. Il faut responsabiliser les industries, les utilisateurs, les maîtres d'oeuvre, afin que chacun puisse assumer son rôle et le faire pleinement, rapprocher le MCO terrestre des militaires qui sont en opération et les maintenanciers des concepteurs des programmes d'armement, et anticiper l'arrivée de Scorpion en prenant le tournant des nouvelles technologies.
Le MCO naval ne sera pas oublié. Un audit est en cours.
Le chantier de l'innovation avance, avec la création de l'Agence pour l'innovation de défense. La Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'informations (Dirisi), me présentera également très bientôt un plan de transformation pour répondre à deux défis : celui des effectifs et des compétences et celui de l'hébergement des données.
À propos du soutien interarmées, le service du commissariat sera modernisé et rapproché des besoins des usagers, notamment avec la création de groupements de soutien de base de défense rénovés et centrés sur le soutien de proximité. Des propositions me seront adressées en décembre. Le service de santé des armées continue sa transformation, qui devrait s'achever en 2023.
Pour le service national universel, l'année 2019 sera vraiment une année de démarrage d'une expérimentation à très petite échelle. Il faudra que le ministère des armées apporte une contribution en termes de formation et d'encadrement des jeunes. Nous détaillerons la manière de procéder dès que le périmètre de cette expérimentation et son calendrier seront définitivement arbitrés. M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse apportera certainement les détails que ces questions méritent.
Nous sommes évidemment au début des projets de coopération franco-allemande, aussi bien sur le char de combat que sur le système de combat aérien du futur. La répartition des tâches n'est pas encore déterminée. C'est l'objet même des travaux et des discussions en cours entre la DGA française et ses interlocuteurs allemands.
Les questions d'exportation sont un sujet important, mais politiquement très sensible en Allemagne. Nous entretenons un dialogue très nourri sur le sujet. Il faut que ces questions soient clarifiées le plus en amont possible. Ces grands projets ont besoin de pouvoir être définis de manière exportable dès l'origine. Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur ces questions. Le dialogue se poursuit. Vous avez récemment eu un dialogue très franc et direct avec des parlementaires allemands ; vous avez pu aussi percevoir les différences de sensibilité qui peuvent exister selon les partis. Avec mon homologue allemande, nous nous sommes accordées sur le fait que le char de combat et le système de combat aérien du futur devraient être exportables. Les questions liées à l'exportation des matériels que nous avons déjà conçus ensemble ou qui incluent des composants provenant d'Allemagne est encore devant nous.