Madame la ministre, je tiens à saluer les rapports de confiance que vous avez noués avec le Sénat et plus particulièrement avec notre commission. Ce soir, nous vous entendons sur la première année d'application de la loi de programmation militaire (LPM). Notre mission consiste à nous assurer de sa plus parfaite exécution, de telle sorte de ne pas décevoir les espérances de nos armées et d'opérer sa remontée en puissance.
Le projet de loi de finances va dans le bon sens : les perspectives budgétaires pour 2019 sont conformes à la trajectoire de la LPM. Je vous remercie d'être venue présenter ce budget aux différents rapporteurs budgétaires et à moi-même.
Je souhaite vous interroger sur trois points : tout d'abord, comment sera financé le surcoût de 600 millions des opérations extérieures (OPEX) en 2018 ? À combien se montera la part prise par votre ministère ? Il ne faudrait pas que les OPEX de cette année grignotent les bénéfices de la LPM.
Dans le même ordre d'idée, pouvez-vous nous confirmer que les crédits mis en réserve seront bien dégelés au 1er décembre ? Nous savons que nous pouvons compter sur votre opiniâtreté et votre expérience acquise au sein du ministère du budget pour obtenir satisfaction.
En second lieu, nous aimerions vous entendre sur le financement du service national universel (SNU). Un nouveau ministre a rejoint le gouvernement ; il ne vous est pas rattaché puisqu'il est à l'éducation nationale. J'y vois un signe positif. Le Premier ministre a évoqué la mise en place du SNU à la Toussaint 2019 : le projet de loi de finances devrait donc prévoir des crédits budgétaires, ce qu'il ne fait pas. Les créations d'emplois en 2019 sont de 450 : il ne faudrait pas que le SNU avale ces crédits de recrutement. Le chef d'état-major des armées n'a pas semblé inquiet mais je préfère entendre votre engagement, madame la ministre. De plus, notre commission a dit à de nombreuses reprises son souhait de voir le SNU figurer dans une mission ad hoc, de telle sorte que les choses soient claires et que notre fameux amendement pour lequel nous avions beaucoup bataillé pour un financement distinct puisse être respecté.
Enfin, pourrez-vous nous dire un mot de la coopération franco- allemande ? J'ai eu l'occasion de vous rendre compte des conversations que nous avons eues avec nos collègues de la commission de la défense du Bundestag. Nos discussions ont été beaucoup plus faciles que par le passé, mais nous avons entendu quelques réserves sur la répartition des tâches pour le futur char ainsi que pour les exportations.
Lors des universités d'été, vous aviez invitée Mme von der Leyen qui avait tenu des propos assez positifs : est-ce toujours le cas ? Il est important que la commission soit informée des intentions du gouvernement en la matière.
Merci de vos aimables propos, monsieur le président. Il était utile que nous passions un peu de temps avec les principaux rapporteurs en amont de cette audition afin qu'elle soit la plus productive possible.
Je mesure le privilège que nous avons collectivement de pouvoir présenter un budget tel que celui-ci, privilège qui est évidemment le contrepoint d'une situation passée difficile : nos armées ont subi des coupes sombres durant des années.
Ce projet de budget correspond à la trajectoire que nous avions tracée lors de l'examen de la LPM. Cette loi, enrichie par les deux assemblées, a été adoptée à une très large majorité et promulguée par le président de la République dans un lieu hautement symbolique, l'hôtel de Brienne, à une date également hautement symbolique, le 13 juillet.
La LPM fixe le cap des 2 % du PIB en faveur de notre effort de défense : elle prévoit 295 milliards d'ici à 2025. Cette loi a défini quatre axes principaux : le premier d'entre eux est de remettre les soldats et les civils du ministère de la défense, ainsi que leurs familles, au centre de notre action.
Le second axe est consacré au renouvellement des équipements afin que nos forces soient désormais capables d'intervenir avec des matériels les plus modernes.
Le troisième axe porte sur la préparation des conflits du futur car, après avoir réparé, il faut nous préparer sur tous les terrains, nous engager résolument dans le cadre de l'Europe de la défense et investir dans des secteurs clés que sont le renseignement, la cyberdéfense et la politique spatiale.
Enfin, le dernier axe est celui de l'innovation car le ministère des armées doit être au coeur de toutes les initiatives et de tous les projets en ce domaine.
Cette loi de programmation est donc porteuse d'espoir et elle envoie des messages forts à nos alliés, à nos ennemis et à nos forces. S'agissant de ces dernières, les attentes sont nombreuses et importantes. Ne les décevons pas. Nous disposons de moyens exceptionnels, mais nous avons des responsabilités tout aussi exceptionnelles. Nous devrons inscrire dans le réel les engagements pris dans la LPM. L'objectif de ce projet de loi de finances est d'y répondre très exactement. Ensuite, nous devons faire en sorte que chaque euro investi soit un euro utile. Au moment où les Français vont consentir des moyens considérables en faveur de notre défense, il faut que nous nous montrions dignes de leur confiance. Le président de la République est extrêmement attentif à ce que le ministère des armées utilise de façon parfaitement justifiée les deniers qui lui sont confiés.
Le projet de loi de finances pour 2019 est en quelque sorte l'an I de la LPM. C'est un budget d'action et de reconquête qui doit nous permettre de faire face à l'ensemble des besoins exprimés, même si nous ne pourrons pas tout faire en un an.
Je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de ce budget. Mon ministère disposera de 35,9 milliards en 2019, soit 1,82 % du PIB. Par rapport à 2018, l'effort se monte à 1,7 milliard, soit 5 % de plus. Nous en sommes donc à l'an II du renouveau, parce qu'en 2018 nous avions budgété 1,8 milliard supplémentaire par rapport au budget 2017. Les armées disposeront donc de 4 milliards de plus qu'en 2016 : en peu d'années, un effort considérable a donc déjà été consenti et il va être poursuivi, conformément aux engagements de la LPM.
Ce budget est sincère, car il est exclusivement constitué de crédits budgétaires. Il ne fait donc pas de pari sur des recettes exceptionnelles ou aléatoires. Par ailleurs, les opérations extérieures seront couvertes par une provision qui continue de croître en 2019. Vous l'aviez portée à 650 millions en 2018 et elle est fixée à 850 millions en 2019. À cela s'ajoute une provision pour les missions intérieures de 100 millions, soit, au total, 950 millions de provisions. C'est nettement mieux que ce qui été fait auparavant.
Enfin, il est encore trop tôt pour vous dire comment l'exécution du budget 2018 pour les OPEX sera bouclée, mais nous y travaillons. Lorsque ce budget sera examiné en séance publique, je disposerai certainement de plus d'informations.
Enfin, ce budget permet de répondre rapidement à un certain nombre de besoins de nos armées. Nous devons agir vite parce que le contexte international reste extrêmement tendu, que la menace terroriste est toujours présente, que nos forces continuent au Levant comme au Sahel à combattre le mal à la racine, que nous sommes toujours en proie au déséquilibre de l'ordre international, à la course aux armements, aux stratégies de puissance des grandes nations. Il faut agir vite aussi parce que les modes d'action et de combat évoluent. J'ai déjà évoqué devant vous les menaces cyber, la facilité déconcertante avec laquelle un simple drone acheté dans le commerce peut être transformé en engin de mort. Les technologies se démocratisent, deviennent extrêmement accessibles à tous les budgets et elles peuvent se retourner contre nous.
Bien d'autres types d'actions pourront changer nos modes de pensée et de combat. Ainsi en est-il de la capacité à manipuler l'information. Au champ de bataille traditionnel s'ajoutent donc toutes sortes de menaces nouvelles. Enfin, l'espace est en train de devenir un lieu de confrontation stratégique dont l'importance n'est plus à démontrer. Nos forces ont besoin de satellites pour agir. Pour cette raison, le président de la République m'a demandé de travailler à l'élaboration d'une stratégie spatiale de défense dont nous rendrons les conclusions avant la fin de l'année.
J'en viens au poison du nationalisme qui est une menace très directe. Chez nos voisins, chaque scrutin est l'occasion d'assister à la montée en puissance de partis qui prônent le repli sur soi et le refus d'une défense commune. Pour ma part, je continuerai à défendre l'Europe de la défense, qui est une source d'opportunités exceptionnelles pour une meilleure protection. Cette politique a bien plus avancé ces deux dernières années qu'au cours des dix années précédentes. Le fonds européen de la défense monte en puissance : il financera l'innovation. La coopération structurée permanente affiche une liste impressionnante de projets capacitaires. L'initiative européenne d'intervention permettra de développer sur le long terme une culture stratégique commune et de favoriser les déploiements communs. Enfin, des coopérations industrielles, en particulier avec l'Allemagne, devraient nous permettre de concevoir ensemble des équipements majeurs tels que le char et l'avion de combat du futur.
Dans ce contexte, et face aux menaces toujours bien présentes, ce budget propose un certain nombre de solutions. D'abord, pour nos soldats et pour leurs familles qui étaient les premiers sacrifiés : cette situation ne pouvait perdurer. Je tiens à mettre l'humain au coeur de mon ministère et de mon action. C'est pourquoi j'ai souhaité que le plan famille entre le plus rapidement possible en vigueur. J'en ferai demain un bilan complet au régiment d'infanterie Chars de marine à Poitiers. Je suis extrêmement satisfaite de l'exécution de ce plan, qui résulte d'un travail collectif remarquable de nos armées : 80 % des mesures du plan ont été lancées et une grande partie a été réalisée pour ce qui concerne les objectifs 2018. Des mesures concrètes ont été prises, comme l'accès au Wifi ou la possibilité de voir son enfant lorsqu'on est jeune divorcé. Cela change la vie. Nous allons continuer dans cette voie avec l'accroissement de l'offre des gardes d'enfants, qui passe par une hausse de 20 % du nombre des réservations de berceau, l'amélioration de l'accueil des familles, des actions de cohésion pour améliorer la vie en garnison, la mise en oeuvre de la seconde version de la plateforme « e-social » des armées pour que les prestations d'action sociale soient plus simples d'accès et de fonctionnement, et la pérennisation du dispositif de soutien psychologique aux familles avec l'assistance téléphonique « écoute défense ».
Au-delà du plan famille, un certain nombre de mesures à hauteur d'homme figurent dans ce budget : il est prévu pour la protection du combattant 25 000 gilets pare- balles, des nouveaux treillis, des blindages pour hélicoptères, des moyens de lutte contre les IED (Improvised Explosive Devices). Le budget d'entretien du matériel augmente de près de 8 %, soit 4,2 milliards, afin d'améliorer la disponibilité du matériel. Nous allons également renforcer l'entretien des infrastructures.
Les crédits pour le plan famille sont portés de 23 millions en 2018 à 57 millions en 2019. Les crédits d'action sociale s'élèveront à 102 millions, soit près de 10 millions supplémentaires en particulier destinés aux mesures en faveur du handicap. Cette politique à hauteur d'homme n'est donc pas un slogan, mais une réalité.
Le second volet est aussi très attendu : c'est le renouvellement des équipements. Nos matériels sont vieillissants et usés par des engagements intenses. Il fallait donc rapidement des moyens nouveaux. Le projet de loi de finances prévoit 19,5 milliards d'euros de crédits d'équipement, dont 4,2 milliards d'euros pour la maintenance et l'entretien des matériels, c'est-à-dire le maintien en condition opérationnelle (MCO), soit une progression de 320 millions d'euros par rapport à 2018.
L'armée de terre bénéficiera des premières livraisons des matériels qui s'intègrent dans le programme Scorpion. Il s'agit des premiers blindés Griffon. Elle connaîtra aussi la livraison de 8 000 fusils d'assaut modernes HK416 et de 50 postes de tir de missiles moyenne portée, qui seront répartis dans quatorze régiments. Elle bénéficiera également de livraison d'hélicoptères NH90, de parachutes, de véhicules tactiques VT4...
Du côté de l'armée de l'air, des équipements indispensables seront livrés, à commencer par le deuxième Multi Role tanker transport (MRTT), c'est-à-dire l'avion de ravitaillement en vol, dont nous accueillerons avec pleine capacité opérationnelle le premier exemplaire vendredi 19 octobre. Il y aura aussi un A400M supplémentaire, portant le nombre total à quinze en 2019, deux C-130J adaptés à nos opérations spéciales, six drones MALE Reaper supplémentaires, très attendus par nos forces, un avion léger de surveillance et de reconnaissance.
La marine nationale bénéficiera de la livraison de deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers, d'une frégate multi-missions supplémentaire, d'un patrouilleur léger et d'un bâtiment multi-missions dans les Antilles, ainsi que d'un avion de patrouille maritime rénové Atlantique 2.
Ce budget laisse la place aux deux autres axes structurants de la loi de programmation militaire : la préparation aux conflits du futur et l'innovation. Les études amont seront dotées de 758 millions d'euros, c'est-à-dire une hausse de 5 %. Cette étape supplémentaire doit nous permettre d'atteindre le milliard d'euros annoncé en 2022. Les armées disposeront de crédits et d'emplois supplémentaires, dont les deux tiers seront dédiés aux capacités-clés du renseignement, du cyber et du numérique.
La force de ce projet de loi de finances est de n'oublier personne. Il n'y a que des gagnants dans cette remontée en puissance.
Le ministère des armées verra ses effectifs croître. C'est un effort exceptionnel, avec 450 équivalents temps plein en plus dans le budget 2019. Ce schéma d'emplois est destiné à répondre à des priorités : le renseignement, avec près de 200 créations de postes ; la cyberdéfense et l'action dans l'espace numérique, avec presque 130 créations de postes. Un effort particulier sera également réalisé en matière de soutien aux exportations, avec 45 créations de postes, ainsi que 65 autres besoins opérationnels. Cette manoeuvre se poursuivra sur les prochaines années, avec une hausse des effectifs programmés de 1 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sur la période 2019-2022.
Le ministère poursuit sa transformation. Elle va toucher en particulier les services de soutien, aux premiers rangs desquels le commissariat aux armées, le service d'infrastructure de la défense et le service de santé des armées. Nous devons réussir cette transformation cruciale, qui, contrairement à ce qui a pu être vécu dans les armées pendant de nombreuses années, est choisie, et non subie. Elle est destinée à simplifier les procédures et à éviter les doublons. Elle doit permettre d'avoir plus de numérique, plus de facilité. C'est essentiel pour l'attractivité de nos armées, pour la fidélisation de nos personnels, pour l'amélioration des conditions de travail. Nous le devons aux Français et à nos forces.
L'objectif en termes de recrutements sera très ambitieux. Le ministère des armées devra recruter en 2019 21 600 militaires, et au moins 3 700 personnels civils, un chiffre record, qui s'explique à la fois par le besoin de renouvellement lié à la pyramide des âges et par l'augmentation des effectifs permise par les créations de postes.
Nous avons lancé seize chantiers de modernisation du ministère. Ils seront en grande partie mis en oeuvre en 2019. Cette modernisation est tout à fait essentielle à la bonne utilisation des moyens qui nous sont confiés. Elle me tient particulièrement à coeur.
Le maintien en condition opérationnelle des équipements est un chantier. Le MCO aéronautique était le talon d'Achille de nos armées. La nouvelle direction de la maintenance aéronautique, créée au mois d'avril, continue sa montée en puissance. Elle met en oeuvre la réorganisation contractuelle, avec comme objectif de substituer à un très grand nombre de contrats un tout petit nombre de contrats globaux sur une longue durée, permettant de responsabiliser les industriels. Dès la fin de l'année 2018, nous disposerons de premiers contrats globaux par flotte pour les hélicoptères Fennec et Cougar. Nous recherchons une complémentarité et une responsabilité plus fortes des industriels. Je suis très attachée à une industrie d'État pour notre maintenance aéronautique.
Le plan que j'ai annoncé cet été sur le MCO terrestre se résume en trois mots : responsabiliser, rapprocher et anticiper. Il faut responsabiliser les industries, les utilisateurs, les maîtres d'oeuvre, afin que chacun puisse assumer son rôle et le faire pleinement, rapprocher le MCO terrestre des militaires qui sont en opération et les maintenanciers des concepteurs des programmes d'armement, et anticiper l'arrivée de Scorpion en prenant le tournant des nouvelles technologies.
Le MCO naval ne sera pas oublié. Un audit est en cours.
Le chantier de l'innovation avance, avec la création de l'Agence pour l'innovation de défense. La Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'informations (Dirisi), me présentera également très bientôt un plan de transformation pour répondre à deux défis : celui des effectifs et des compétences et celui de l'hébergement des données.
À propos du soutien interarmées, le service du commissariat sera modernisé et rapproché des besoins des usagers, notamment avec la création de groupements de soutien de base de défense rénovés et centrés sur le soutien de proximité. Des propositions me seront adressées en décembre. Le service de santé des armées continue sa transformation, qui devrait s'achever en 2023.
Pour le service national universel, l'année 2019 sera vraiment une année de démarrage d'une expérimentation à très petite échelle. Il faudra que le ministère des armées apporte une contribution en termes de formation et d'encadrement des jeunes. Nous détaillerons la manière de procéder dès que le périmètre de cette expérimentation et son calendrier seront définitivement arbitrés. M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse apportera certainement les détails que ces questions méritent.
Nous sommes évidemment au début des projets de coopération franco-allemande, aussi bien sur le char de combat que sur le système de combat aérien du futur. La répartition des tâches n'est pas encore déterminée. C'est l'objet même des travaux et des discussions en cours entre la DGA française et ses interlocuteurs allemands.
Les questions d'exportation sont un sujet important, mais politiquement très sensible en Allemagne. Nous entretenons un dialogue très nourri sur le sujet. Il faut que ces questions soient clarifiées le plus en amont possible. Ces grands projets ont besoin de pouvoir être définis de manière exportable dès l'origine. Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur ces questions. Le dialogue se poursuit. Vous avez récemment eu un dialogue très franc et direct avec des parlementaires allemands ; vous avez pu aussi percevoir les différences de sensibilité qui peuvent exister selon les partis. Avec mon homologue allemande, nous nous sommes accordées sur le fait que le char de combat et le système de combat aérien du futur devraient être exportables. Les questions liées à l'exportation des matériels que nous avons déjà conçus ensemble ou qui incluent des composants provenant d'Allemagne est encore devant nous.
La réunion que nous avons eue avec nos homologues allemands était très intéressante, mais aussi très directe. Vous oeuvrez pour faire en sorte qu'un certain nombre d'assurances soit prises. Nous avons fait un préalable absolu de la question de l'exportation.
Comment comptez-vous appliquer les clauses de sauvegarde que nous avons introduites dans le cadre de la LPM au Sénat, notamment l'usure des matériels en opérations extérieures, qui a été prise en compte au titre V dans le calcul du coût des OPEX ? Est-il bien prévu de l'intégrer ? Quelle estimation peut-on faire du coût prévisionnel ?
La clause carburant est également un sujet. Depuis le vote de la LPM, le pétrole a augmenté. Et comment prenez-vous en compte les tensions internationales ?
Enfin, ma collègue Hélène Conway-Mouret m'a chargé de vous poser la question suivante : « Sur les dix dernières années, l'Arabie Saoudite a été notre deuxième client en matière d'exportation d'armements, 11 milliards d'euros en dix ans. Après plus de trois ans l'intervention au Yémen, après la disparition du journaliste Jamal Kashoggi au début du mois, n'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'opportunité de ces ventes d'armes ? Si la France cessait, par fidélité à ses valeurs, d'exporter vers l'Arabie Saoudite, comment notre base industrielle et technologique de défense, ou BITD, y ferait-elle face ? »
Les réunions sur le franco-allemand se multiplient. En tant que vieux militant parlementaire du franco-allemand, notamment sur les questions de défense, je dois me départir d'un certain scepticisme. Je vois bien que quelque chose est en train de se passer. Les lignes bougent. Le Président de la République a pris des initiatives. Nos amis allemands se rendent compte qu'ils ne peuvent pas rester sur leur ligne traditionnelle très parlementaire, certes honorable, mais extrêmement prudente. Nous sommes sur une ligne de crête. On peut repartir pour vingt ans d'attentisme ou aller vers un travail en commun très fort. Vous avez un rôle important à jouer.
Avec une LPM permettant de préparer l'avenir, vous êtes en mesure de consolider ou de réparer le présent. C'était indispensable ; nous le demandions. Nous accueillons très favorablement la réforme des soutiens enfin annoncée, avec des soutenants qui s'adaptent aux soutenus, et non l'inverse.
Toutefois, cette réforme doit participer au plan gouvernemental Action publique 2022, dont l'ambition est d'accroître la performance des politiques publiques par le double effet de la déconcentration territoriale et de la numérisation croissante des services. Que l'on améliore des systèmes d'information, que l'on mette en place un livret médical numérique, que l'on aménage les groupements de soutien des bases de défense, c'est bien. Mais pouvez-vous nous garantir que les services de soutien ne seront pas dégraissés alors qu'ils se remettent à peine des chocs de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Tous les membres de la commission ont beaucoup de respect pour le service de santé des armées (SSA), qui fait un travail d'excellence. Je suis un peu déçue que vous lui ayez accordé si peu de place dans votre intervention, vous cantonnant à nous indiquer qu'il continuait sa transformation. Les effectifs bénéficient seulement d'un moratoire dans le mouvement de déflation. Est-ce raisonnable, alors que la part des réservistes dans les projections en OPEX du SSA a doublé en un an ? Mon sentiment est que le SSA est toujours sous tension. À mon sens, les moyens humains et financiers prévus dans le projet de loi de finances pour 2019 et dans la LPM ne permettront pas de résoudre les difficultés, par exemple celles qui sont liées à la pyramide des âges dans certaines spécialités, notamment pour des jeunes femmes entre 35 ans et 40 ans, ou à la concurrence avec les services privés.
Nous avons auditionné l'amiral Jean Casabianca, major général des armées, et nous avons ressenti une inquiétude concernant la retraite. Les militaires se demandent s'ils sont des fonctionnaires comme les autres. On peut concevoir qu'ils aient un statut particulier. Comment gérez-vous ce problème ?
À propos des effectifs, la LPM a fixé des soldes nettes pour chaque annuité de la programmation 2019-2025. Nous avons aujourd'hui une vision précise de cette répartition au niveau de nos armées. Nous souhaiterions avoir une vision bien au-delà, c'est-à-dire un horizon dépassant le cadre annuel.
La singularité militaire sera-t-elle acquise sur la question des retraites ?
Quels schémas seront retenus sur la réforme des soutiens ? Quelle sera leur articulation avec le fonctionnement des bases de défense ? Cette réforme s'accompagnera-t-elle d'emplois supplémentaires ?
Pouvez-vous nous préciser l'état d'avancement des cessions immobilières parisiennes ? Nous avions souhaité en LPM que le système de décote de la loi Duflot ne soit applicable qu'à condition qu'une partie substantielle des logements sociaux réalisés soient affectés à des militaires. Qu'en sera-t-il pour les parcelles qui restent à vendre ? Comment avancer sur la question du logement des militaires à Paris ?
Les manoeuvres suspectes autour de nos satellites soulèvent la question de la protection de la zone extra-atmosphérique. Les États qui développent des capacités sous-marines susceptibles d'agir sur les câbles de communication constituent des menaces nouvelles. Comment les anticipez-vous ? Quels engagements financiers pouvons-nous attendre pour y faire face ?
Il faut assurer la surveillance permanente de notre zone économique exclusive, la deuxième au monde, pour assurer notre souveraineté et lutter contre les trafics et, surtout, la pêche illégale.
Je souhaiterais plus de précisions sur la coopération avec l'Allemagne. Quelle est la convergence réelle des besoins et des attentes ? J'ai le sentiment que les Allemands souhaitent pouvoir produire et vendre, et laisser les Français tirer. Je ne suis pas très confiant sur l'aboutissement de cette coopération, mais je ne demande qu'à être convaincu.
Quelle augmentation des effectifs prévoyez-vous pour les services de renseignement placés sous votre autorité, comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ou sous celle de l'état-major, comme la direction du renseignement militaire (DRM) ?
Les services de renseignement sont confrontés à un enjeu de recrutement de personnels très spécialisés, notamment dans les domaines scientifiques, techniques, voire linguistiques, avec les langues rares. Il y a une forte concurrence non seulement entre les services, mais aussi de la part du privé. Quelles mesures d'incitation au recrutement et de fidélisation envisagez-vous ?
J'espère que le projet de loi de finances affichera prochainement un programme propre à la cyber défense... Je vous remercie, madame la ministre, pour vos propos volontaristes sur l'Europe de la défense, qui ne doit pas faire l'impasse sur la cyber défense. La LPM a consacré un effort important en faveur de la cyber défense, qui bénéficiera en 2019 de 73 % des 450 créations de postes destinées aux services de renseignement. Pouvez-vous nous indiquer précisément combien d'emplois seront créés dans chaque unité concernée ? L'un des enjeux en la matière concerne le recrutement d'agents de haut niveau dans un vivier limité, comme l'indiquait notre collègue Michel Boutant.
J'étais la semaine dernière à Kiev, où j'ai rencontré la vice-première ministre ukrainienne pour l'intégration européenne et euro-atlantique Ivana Klympush-Tsintsadze. Elle m'a confié que vous aviez été invitée, les 7 et 8 novembre, à participer à une conférence de l'OTAN sur la guerre hybride, à laquelle de nombreux ministres sont déjà annoncés. Lors d'une rencontre avec des responsables de l'OTAN sur le thème de la cyber défense, j'ai cru comprendre que la France était peu présente sur ce sujet dans les conférences internationales. En matière de cyber défense, disposons-nous de personnes dédiées à notre communication et à notre participation aux cercles d'influence ? Envisagez-vous, le cas échéant, de créer une cellule consacrée à cette action ?
Vous avez contribué à défendre les clauses de sauvegarde en adoptant, dans le cadre de la LPM, une disposition consistant à prendre en compte, dans le calcul du surcoût des OPEX, l'usure des matériels. Nous pourrons utiliser cette faculté nouvelle dès 2019 et échangeons avec Bercy pour en définir les modalités d'application : le périmètre des surcoûts OPEX évoluera conformément à la LPM. En revanche, la mesure n'est pas opératoire pour les surcoûts de l'année 2018. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit 458 millions d'euros de crédits pour le carburant opérationnel des armées sur le fondement d'une hypothèse d'un baril à 60 dollars et d'une parité à 1,10 euro pour un dollar. Néanmoins, le prix du baril peut fluctuer. En 2018 par exemple, il a franchi le seuil de 70 dollars, voire celui de 80 dollars. Afin de faire face à ces variations, nous comptabilisons le prix du carburant en coût moyen unitaire, ce qui permet de lisser le prix d'acquisition sur longue période. Nous pouvons également nous appuyer sur la trésorerie dont dispose le compte de commerce du service des essences des armées, ainsi que sur la clause de sauvegarde précitée de l'article 5 de la LPM.
Sur la période 2008-2017, le montant des contrats d'armements signés avec l'Arabie Saoudite s'est établi à 11 milliards d'euros, soit 13 % du total des commandes réalisées. Les ventes d'armes sont extrêmement encadrées : elles font l'objet d'une évaluation fort précise, qui prend en compte de nombreux critères comme la nature des matériels exportés, le respect des droits de l'homme, la préservation de la paix et de la stabilité régionale, et sont autorisées par une commission interministérielle placée sous l'autorité du Premier ministre. Cette activité d'exportation concourt à notre autonomie stratégique et nous ne pouvons faire abstraction de son impact sur nos industries de défense et nos emplois. S'agissant de l'affaire du journaliste saoudien qui, évidemment, nous inquiète, je puis vous dire qu'avec nos partenaires britanniques et allemands, nous avons demandé que toute la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles il a disparu et que des explications crédibles nous soient fournies.
M. Bockel a exprimé son sentiment sur la relation franco-allemande, entre scepticisme et volontarisme. J'insisterai davantage sur la seconde dimension, faute peut-être d'expérience... Vous avez toutefois raison de penser que nous nous trouvons sur une ligne de crête et qu'il faut agir énergiquement et collectivement pour que les Allemands basculent du bon côté. Nous savons d'où ils viennent, quelle est leur histoire et comprenons quelles peuvent être leurs préventions, mais ils sont également conscients que le monde change et que l'Europe est exposée à de nouvelles menaces. Les événements terribles auxquels ils ont été confrontés remontent à plus de soixante-dix ans et le travail sur leur propre histoire a été réalisé, il est donc temps de passer à une coopération résolue, concrète et volontariste. Je m'y emploie avec Mme von der Leyen, dont je salue l'engagement.
Il faut que les soutenants soient au service des soutenus et, à cet égard, nous n'avons pas l'intention de procéder à des réductions d'effectifs, comme cela fut le cas par le passé. Le service de santé des armées (SSA) s'est engagé depuis plusieurs mois dans le plan SSA 2020, qui vise notamment à assurer la cohérence de l'articulation du SSA avec le service public de santé qu'il intègre progressivement tout en conservant des spécificités militaires. Il est confronté, comme le service public de santé, à des difficultés liées à un nombre insuffisant de médecins. Le fait que des réservistes viennent appuyer le SSA en OPEX me semble extrêmement positif, d'autant qu'il s'agit d'un véritable effort de la part des médecins hospitaliers qui libèrent du temps à cet effet. Cela permet au SSA de bénéficier de spécialistes qui eux-mêmes se forment à d'autres techniques pendant leur temps de présence à nos côtés. Qu'il existe des tensions, nul ne le conteste, mais pas davantage que dans les hôpitaux civils. Le problème de la pyramide des âges n'est pas non plus spécifique au SSA. Il se mobilise en conséquence pour faciliter la rotation des médecins en OPEX. Je puis vous rassurer qu'en 2019, les effectifs du SSA seront stables. Sa directrice est, par ailleurs, mobilisée pour fidéliser le plus possible notre personnel.
En ce qui concerne les retraites, je reconnais que la perspective d'une réforme en profondeur du système crée nombre d'interrogations chez les militaires. Ils sont pour l'essentiel contractuels et n'effectuent pas la totalité de leur carrière au sein du ministère. Leur régime de retraite comprend diverses spécificités, notamment l'existence d'une pension à jouissance immédiate, qui participent à un modèle de gestion des effectifs : les flux de sortie sont importants, à un âge où les militaires peuvent entreprendre une seconde partie de carrière, à la différence d'un agent destiné à passer sa vie professionnelle dans la fonction publique. Le Président de la République lui-même a reconnu la légitimité de ces particularités et assuré de leur prise en considération par la réforme, lorsqu'il s'est adressé aux militaires le 13 juillet dernier. Toutefois, les modalités d'application de ladite réforme aux militaires ne sont pas encore connues. Nous en sommes encore aux balbutiements. Dans cette perspective, j'oeuvre à la sensibilisation du haut-commissaire en charge de la réforme des retraites.
Je vous indique, monsieur Cadic, que sur les 450 créations de postes prévus par le projet de loi de finances pour 2019, 199 concernent les services de renseignement. Sur ce total, 111 bénéficieront aux trois services du ministère - 55 postes pour la DGSE, 31 pour la DRSD et 25 pour la DRM - soit une augmentation d'1,2 % de leur l'effectif, et 88 créations de postes viendront renforcer la fonction renseignement dans les armées. Nous sommes également engagés dans un processus d'investissement à hauteur d'1,6 milliard d'euros sur la période de la LPM, afin de renforcer nos capacités techniques. Dans ce cadre seront lancés en 2019 des programmes d'achat d'avions de reconnaissance stratégique et de drones, ainsi que la rénovation de nos bâtiments Atlantique 2. Au total, les budgets des trois services de renseignement du ministère augmenteront, en 2019, de 15 %.
Monsieur Allizard, vous m'avez interrogée sur les menaces spatiales et sous-marines. La menace spatiale représente un enjeu essentiel. Nous allons définir une nouvelle doctrine en matière de gouvernance du spatial, actuellement trop disséminée, et renouveler l'ensemble de nos capacités, notamment en matière d'écoutes électromagnétiques, de satellites de télécommunications sécurisées Syracuse 4 et de satellites d'observation optique, dont le premier sera lancé à la fin de l'année 2018. Sur la durée de la LPM, 3,6 milliards d'euros seront consacrés à ces investissements. Comme je l'ai récemment annoncé, certains de ces satellites seront équipés de caméras de surveillance, afin de veiller sur nos capacités spatiales. Nous serons certainement amenés à prendre d'autres décisions dans ce domaine, qui seront annoncées dans les prochains mois. Pour ce qui concerne les menaces sous-marines, sera livré à l'été 2020 le premier sous-marin nucléaire d'attaque de génération Barracuda, qui sera suivi par cinq autres. Nous sommes également engagés dans un programme de systèmes de lutte anti-mines du futur qui devrait permettre d'assurer la sécurité de nos moyens navals.
Nous aurons également de nouveaux moyens pour la protection des ZEE, notamment au bénéfice des Antilles et de la Nouvelle-Calédonie.
La cyber défense européenne est évidemment nécessaire ; nous en discutons avec nos partenaires européens comme au sein de l'OTAN. Je suis donc quelque peu surprise d'entendre que la France ne s'y intéresserait pas, d'autant que nous avons accueilli la conférence de l'OTAN sur le sujet l'an passé à Paris. Je ne pourrai me rendre à Kiev les 7 et 8 novembre, retenue par les festivités du 11 novembre, mais suis disposée à évoquer cette question avec ma collègue ukrainienne.
Compte tenu des évolutions technologiques et scientifiques, quelle sera, selon vous, demain la place de l'homme dans la guerre et celle du soldat doté de l'intelligence artificielle ? Il apparait nécessaire d'imposer et de renforcer les principes éthiques fondamentaux pour ne pas transformer nos militaires en techniciens de la mort. Quels moyens seront consacrés à cette exigence ?
Nous vivons dans un environnement stratégique durablement instable. Pourriez-vous nous livrer quelques éléments de comparaison sur l'évolution de notre budget de défense et la part de ce dernier dans le budget national, au regard de ce qui est pratiqué par les autres membres du Conseil de sécurité de l'ONU ? Les efforts déployés par chacun en matière de cyber défense, comme de capacité et de stratégie spatiales sont-ils comparables ?
Ma question concerne nos partenariats industriels. Je ne reviendrai pas sur l'Allemagne, déjà évoquée par plusieurs collègues. Malgré le Brexit et la stagnation du budget britannique de la défense, l'avancement de nos projets avec le Royaume-Uni semble satisfaisant : notre partenariat en matière de renseignements a récemment été conforté, tandis que notre coopération au Sahel se déroule sans accroc. Je suis en revanche inquiet s'agissant de l'Italie. Où en est notamment le partenariat de nos industries navales entre Naval Group et Fincantieri ? Les relations politiques entre nos deux pays sont des plus mauvaises et le budget italien connait de graves difficultés : cela signifie-t-il que le projet Poséidon pourrait, sans mauvais jeu de mot, tomber à l'eau ?
La multiplication des engagements extérieurs conduit à en accroître le coût. Il apparaît, à cet égard, heureux que la dotation inscrite dans le présent projet de loi de finances vienne réévaluer les montants figurant dans la LPM. Quelles sont, madame la ministre, les perspectives d'évolution des opérations en cours ? L'opération Chammal est-elle notamment appelée à perdurer dans son format actuel ? Disposons-nous de marges de manoeuvre si de nouvelles zones d'instabilité apparaissaient ? Plus nos armées sont engagées, plus l'armement est évidemment sollicité, ce qui accélère l'usure du matériel. Avons-nous les moyens financiers d'y faire face ? Enfin, à la veille de la mise en place du dispositif de retenue à la source de l'impôt sur le revenu, le logiciel Louvois est-il désormais performant ?
Vous avez fait part de votre intérêt pour une défense européenne. Comment, à cet égard, concilier notre volonté d'autonomie stratégique et la nécessité de mutualiser les conceptions nationales de défense ? En cas de hard Brexit, quelles pourraient être les conséquences sur notre partenariat de défense avec le Royaume-Uni ?
Je vous remercie, madame la ministre, pour la qualité et la clarté de votre exposé. Ma question porte sur l'Europe de la défense. Le 25 juin, a été lancée l'initiative européenne d'intervention (IEI) visant à favoriser un déploiement commun aux neuf signataires, parmi lesquels figure l'Allemagne. Cette dernière semble favoriser néanmoins davantage la coopération structurée permanente (CSP) et la politique de sécurité et de défense commune. De fait, une doctrine commune d'intervention demeure encore inenvisageable pour l'opinion publique allemande. L'IEI se limitera-t-elle à un partenariat logistique compte tenu des réticences allemandes ? Comment s'articulera-t-elle avec la CSP et avec l'OTAN ? Enfin, quelle est, dans le projet de loi de finances pour 2019, la traduction de votre volonté en faveur d'une Europe de la défense ?
Je voudrais revenir sur un propos que vous avez tenu, madame la ministre, mentionnant « le poison du nationalisme, avec le retour des vieilles lunes ». Vous concluez qu'il faut accélérer la construction de l'Europe de la défense. Mais quel lien y a-t-il entre les deux ? Les peuples refusent de noyer leur identité dans le multiculturalisme, de voir leur système judiciaire placé presque sous tutelle de la Cour européenne des droits de l'homme ; ils n'acceptent plus la mondialisation avec la paupérisation de la classe moyenne qu'elle entraîne. Mais aucun ne demande la fin des coopérations militaires, ni la sortie de l'OTAN ! Pourquoi alors ce sous-entendu selon lequel le nationalisme conduirait à la guerre, quand il exprime un simple refus de perte d'identité et de déclassement social ? Les efforts de la construction de la défense européenne seront davantage contrariés par les intérêts divergents des industriels que par le vote populiste.
Nous nous félicitons de la remise à niveau de l'effort en faveur de nos armées. Mais selon vous, faut-il considérer la hausse des dépenses militaires dans le monde, y compris l'augmentation de 2% des dépenses militaires de l'OTAN, comme une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la sécurité future du monde ? Faut-il s'en inquiéter ou s'en réjouir ?
Ce budget, avez-vous dit, est un message fort adressé à nos armées, à nos alliés, à nos ennemis. Mais qui sont nos amis, qui sont nos ennemis ? Ces deux dernières catégories sont-elles stabilisées ? Dans laquelle se situent Donald Trump, l'Arabie Saoudite ou Viktor Orban ? La Chine, l'Irak sont-ils nos ennemis ? N'est-il pas temps de changer notre manière de considérer le monde, pour déminer les futures conflictualités ?
Un article dans Le Monde ce soir indique que la France est le premier exportateur d'armes vers l'Égypte, pays auquel nous avons livré pour 4 milliards d'euros d'armes et de technologies sécuritaires. Or nous avons pris des engagements européens en 2008, en 2013 ; nous avons ratifié un traité en 2014 interdisant les livraisons d'armes à des États qui les utilisent pour réprimer leur population civile. L'Égypte a exercé une répression violente contre sa population en 2013 notamment. La France a-t-elle cessé toute exportation d'armes et de technologies sécuritaires à ce pays ?
Sur la place de l'homme dans la guerre, oui, les nouvelles technologies ouvrent des champs nouveaux d'opportunités et de risques : l'homme doit rester au centre, mais pour approfondir la question, j'ai au sein de mon ministère demandé à un collège d'inspecteurs généraux de réfléchir à l'usage des armes du futur et à ses conséquences éthiques ; ils me feront des propositions, afin que nous adoptions une ligne de conduite claire. Des garde-fous sont indispensables.
On constate depuis trois ou quatre ans une hausse générale des budgets de la défense dans l'ensemble des pays membres de l'Alliance atlantique. En 2014, trois pays seulement y consacraient 2% ou plus de leur PIB. En 2017 ils étaient six. La France n'atteint pas encore ce niveau mais la programmation militaire prévoit d'y parvenir en 2025. Parmi ces six pays, les États-Unis se situent à 3,58 % du PIB, le Royaume-Uni à 2,14 % ; personne ne dispose de chiffres fiables pour la Russie ou la Chine, mais l'effort de ces pays est massif. En Chine, un grand bâtiment militaire sort chaque mois des chantiers navals ...
Bonne ou mauvaise nouvelle ? Comment l'apprécier dans l'absolu ? La croissance des budgets militaires répond en tout cas à une montée des menaces internationales. La France a signé les traités de limitation des armements. Cependant, si la progression des budgets de la défense s'était ralentie dans l'après-Guerre froide, la conjoncture actuelle n'autorise plus une telle décélération. Nos ennemis, ce sont les terroristes et le réarmement vise précisément à lutter contre le terrorisme à la racine, par projection sur les théâtres du Levant par exemple, ou par une présence forte au Sahel. Nous ne pouvons prendre le risque de mal protéger les Français. Pardon pour cette réponse lapidaire, le temps me manque pour préciser davantage mon propos.
Je vous fournirai dès que je les aurai réunis des éléments de réponse précis sur les dépenses spatiales des différents membres du Conseil de sécurité.
Oui, la coopération avec la Grande-Bretagne progresse bien. Le projet Poséidon avec l'Italie, visant à profiter des synergies potentielles entre Fincantieri et Naval Group sur les navires de surface, répond à la nécessité de mieux organiser les industries navales européennes face à des concurrents de plus en plus gros. Il faut rechercher une taille critique. Nous continuons à discuter avec le partenaire italien. Mon homologue italienne et moi avons décidé de ne pas rendre les relations entre nos deux pays encore plus compliquées qu'elles ne le sont actuellement. J'espère vous présenter bientôt des projets plus aboutis.
Vous m'interrogez également sur nos marges de manoeuvre opérationnelles. Nous sommes très engagés dans Chammal - nous serons amenés à prendre d'ici quelques mois des décisions pour adapter le dispositif - et Barkhane, que nous adaptons en permanence aux besoins.
Le fonctionnement de Louvois ne sera jamais stabilisé ni parfaitement satisfaisant, c'est pourquoi nous consacrons tous nos efforts à son successeur. Nous avons en outre énormément investi pour maîtriser et compenser les difficultés dramatiques engendrées par les failles du logiciel actuel. À présent, la paye des militaires est assurée à 99,9% dans des conditions normales, mais c'est au prix d'un investissement humain considérable et permanent pour corriger ces dysfonctionnements. La solution n'est pas pérenne, il faut pouvoir remplacer dès que possible le système actuel par un nouveau logiciel.
Les industriels de la défense suivent attentivement les négociations en cours au niveau européen, car un hard Brexit exigerait à l'évidence des réorganisations profondes, pour tenir compte de nouveaux droits de douane et de la non-compatibilité des autorisations, licences, certificats de service fait. Aujourd'hui la bonne utilisation des armements dans les différents pays clients est régie par la règlementation européenne ; s'il en allait autrement demain, cela se traduirait par des obstacles dirimants, les industriels devraient redéployer leurs activités au sein des pays de l'Europe.
L'IEI a pu irriter certains pays. L'Allemagne accepte la notion d'intervention ; mais le dispositif est modulable, et les pays adhérents peuvent ne participer qu'à certaines opérations. L'initiative est utile pour amener des pays plus éloignés que le nôtre des opérations dites haut du spectre à partager une culture commune, par une participation à des exercices répétés, une réflexion conjointe des états-majors. Ce sera un bien précieux pour les membres de l'IEI mais plus largement pour tous les pays européens.
Sur les nationalismes et l'Europe de la défense, ce que j'ai voulu dire, c'est qu'il serait bon, dans la perspective des élections européennes de 2019, de mettre en avant les réalisations concrètes dans le domaine de la défense, car elles répondent aux préoccupations des Européens concernant leur sécurité. Communiquer plus largement sur ces réalisations en cours, c'est une façon de combattre des populismes peu propices au bon fonctionnement des démocraties européennes. C'est un point de vue personnel !
L'article sur l'Égypte paru aujourd'hui dans un quotidien que nous connaissons tous mêle le vrai et le faux. Nous avons une relation de coopération avec l'Égypte et nous exportons vers ce pays un volume d'armes qui se monte effectivement à 4 milliards d'euros. Ces armes sont destinées aux forces armées, non aux forces de sécurité. Et j'ai été étonnée de lire que nos exportations seraient en contradiction avec les décisions européennes de 2013 - lorsque les ministres européens ont décidé de bannir la vente à l'Égypte d'armes qui pourraient être utilisées pour réprimer des populations civiles. Nous appliquons avec ce partenaire les mêmes critères qu'avec, par exemple, l'Arabie Saoudite. Nous respectons les engagements pris par la France. Et si l'Égypte utilise des matériels que notre pays lui a vendus il y a longtemps - des véhicules produits par Renault Trucks - contre ses populations civiles, ce n'était pas l'objectif initial. Je puis en tout cas vous indiquer que nous n'avons pas, depuis 2013, exporté d'armes destinées aux forces de sécurité intérieures égyptiennes.
Le rapport d'Amnesty International indique pourtant que l'armée égyptienne a utilisé ces armes contre la population civile... Le problème est là.
Il ne concerne pas uniquement l'Égypte. Une licence d'exportation vaut pour un objectif précis. Si le pays acquéreur fait du matériel un autre usage, il y a une vraie difficulté. Mais les informations contenues dans l'article sont incomplètes. Elles laissent penser que la France aurait exporté des matériels en contradiction avec ses engagements, ce qui n'est pas le cas.
Merci madame la ministre d'avoir éclairé nos travaux budgétaires. Je vous redis le soutien de notre commission aux forces armées françaises. Je serai à vos côtés après-demain à Istres, pour l'arrivée d'un avion très attendu ! Merci également à votre cabinet pour sa constante disponibilité à notre égard.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 55.