Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite saluer le président de l'assemblée parlementaire de l'UEO, l'Union de l'Europe occidentale, M. Jean-Pierre Masseret, puisqu'il se trouve présent parmi nous.
L'avenir de cette assemblée reste incertain, et peut-être vous intéresserez-vous à son sort, monsieur le ministre. En attendant, elle offre aux parlementaires nationaux qui représentent les vingt-huit États membres de l'UEO - et je ne suis pas la seule à être présente ce soir - non seulement un forum qui leur permet de discuter des questions de sécurité et de défense, ce qui constitue déjà un immense privilège, mais aussi la possibilité de se rendre sur le terrain pour réaliser des missions ou rédiger des rapports, et donc pour constater par eux-mêmes la réalité des problèmes qu'évoque la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il va de soi, d'ailleurs, que ces discussions ne seraient pas les mêmes sans l'assemblée de l'UEO.
Monsieur le ministère, il nous serait agréable que la France s'intéresse un peu plus à cette assemblée, ne serait-ce que par courtoisie vis-à-vis de nos collègues. L'assemblée plénière de l'UEO se tient ces jours-ci et nous recevons à Paris le ministre de la défense de la Turquie, celui du Portugal et la présidente du parlement géorgien. Autant vous dire que ces discussions sont d'un intérêt majeur. Nous espérons donc que, lorsque la France exercera la présidence de l'UEO, vous nous ferez l'honneur de venir assister à nos travaux, monsieur le ministre.
J'aborderai successivement les risques, les acteurs, les régions déstabilisées et les enjeux de la situation internationale, qui affectent naturellement notre défense et son budget.
Les risques sont, à l'évidence, nombreux et considérables. Parmi les acteurs, nous voyons tous monter la Chine, une puissance désormais présente partout.
Les régions déstabilisées ont déjà été évoquées. Il s'agit d'abord de l'Afghanistan, où se trouvent 2000 de nos hommes ; à mon tour, je salue les militaires que nous engageons sur les terrains extérieurs et rencontrons lors de nos visites. Il s'agit également de l'Irak et du Moyen Orient, où le conflit majeur est sans doute celui qui oppose Israël et la Palestine ; je le rappelle, 1650 soldats français servent au Liban, sous l'égide de la FINUL, la Force intérimaire des Nations unies au Liban.
Le Caucase et la Géorgie, l'Abkhazie, l'Ossétie et surtout les Balkans constituent d'autres régions troublées. La France a engagé 1850 hommes au Kosovo, qui forment la troisième composante de la KFOR, la Force pour le Kosovo. De même, notre pays est partie prenante des opérations Althea en Bosnie et Concordia en Macédoine.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues a affirmé que les budgets des OPEX, les opérations extérieures, étaient toujours sous-estimés. Ce sera le cas une fois encore, car les dépenses prévues initialement à 375 millions d'euros devraient atteindre environ 600 millions d'euros au final. Quoi qu'il en soit, la France se trouve présente sur tous ces terrains.
S'agissant des enjeux de la situation internationale, je voudrais évoquer la question de l'énergie, car je me suis rendue en Asie centrale, où j'ai pu sentir la force de la présence russe.
Mes chers collègues, la Russie a engagé la guerre de l'énergie, et je crois qu'elle en a gagné la première manche. En Asie centrale, où se trouvent d'importants gisements de gaz et de pétrole, la force de Gazprom est évidente. La Russie puise au Kazakhstan et au Turkménistan l'essentiel des hydrocarbures qu'elle revend ensuite à l'Europe, en maîtrisant à la fois les gisements, les réseaux et les prix.
La domination de cet espace et de cette énergie par la Russie est véritablement impressionnante. Les pays qui dépendent d'elles, à savoir l'Ukraine, la Moldavie, l'Allemagne et même l'Italie, doivent mesurer la faiblesse de l'Europe dans ce domaine. Il est évident que l'Union européenne, qui n'en finit pas d'élaborer son plan énergie, se trouve totalement absente de cet espace.
Monsieur le ministre, j'ai lu un certain nombre de vos déclarations sur la Russie. Celle-ci est effectivement un pays fier, arrogant et inquiétant, l'un des grands acteurs de la déstabilisation politique de l'Europe de l'Est. Elle fait sentir son influence dans le Caucase et en Géorgie, mais aussi, par l'intermédiaire de la Transnistrie, en Moldavie, un pays que je connais bien. Elle est présente dans tous ces conflits gelés, mais c'est surtout au Kosovo et dans les Balkans que son influence est aujourd'hui redoutable.
Le terme d'indépendance a été prononcé récemment à propos du Kosovo. C'est sans doute la solution vers laquelle nous nous acheminons, ou en tout cas celle que les Américains jugent préférable. Aussi, je crains vraiment que les Balkans ne se trouvent déstabilisés à brève échéance.
Les Russes se prononcent contre le bouclier antimissile, ce qui, après tout, est légitime, mais quand ils parlent de réarmement, c'est vers l'Europe de l'Ouest qu'ils orientent leurs missiles !
En Asie centrale, la Russie est un prédateur, ou en tout cas un acteur économique important. Au sein de l'Organisation de coopération de Shangai, la Russie et la Chine se partagent l'influence sur cet espace, où l'Europe est rigoureusement et redoutablement absente. Alors, oui, la Russie est inquiétante, et pas seulement Vladimir Poutine. À l'évidence, sa politique audacieuse et ambitieuse lui a permis de reconquérir un certain espace.
En face, les États-Unis sont en Irak un colosse aux pieds d'argile. Endetté, ce pays émet des titres en Chine pour financer sa dette. La politique du président des États-Unis est un fiasco dans tous les domaines, comme l'illustre le bouclier antimissile qu'il déploie en Europe.
Il semble que des radars et des intercepteurs soient - ou seront - installés au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Pologne, en République tchèque et, a-t-on appris récemment, en Espagne, en Italie et en France. Alors je vous pose la question, monsieur le ministre : qu'en est-il de la France ?
Finalement, la menace majeure est sûrement le conflit israélo-palestinien. J'étais en Israël et en Palestine la semaine dernière, où personne ne croit à la conférence internationale d'Annapolis. L'intérêt de cette conférence est peut-être la présence de l'Arabie saoudite et de la Syrie. Peut-être présente-t-elle également l'avantage d'isoler l'Iran ? Il n'en demeure pas moins que ce conflit majeur est probablement, une fois de plus, dans l'impasse. On n'espérait pas grand-chose. Mais la situation est tout de même redoutable.
Concernant l'Iran, George Bush est démangé par l'envie d'attaquer l'Iran et ses sites nucléaires depuis longtemps. C'est une obsession pour les Israéliens. Alors oui, tout est possible et le risque est majeur. Face à cette situation, le monde entier se réarme, sauf l'Europe.
Les chiffres dans ce domaine sont impressionnants, en tout cas, ils m'impressionnent. En dix ans, les dépenses militaires ont augmenté de 37 %. En 2006, le budget global consacré à l'armement dans le monde s'élevait à 1, 2 milliard de dollars. La Chine a augmenté ses dépenses de 15 %, la Russie de 155 % ! Concernant la Russie, ce sont non pas les chiffres qui sont inquiétants - elle partait de tellement de loin -, mais son attitude.
Les ventes d'armes des cent plus gros vendeurs ont augmenté et elles atteignent 290 milliards de dollars. La part de l'Europe ne représente que 31 milliards de dollars, soit quelque 10 % du total. La part de la Grande-Bretagne représente 10, 5 %, celle de la France un peu moins de 4 %. L'Europe est dépendante de l'OTAN.
La puissance américaine est sans limites. L'équipement d'un soldat américain coûte 85 000 euros, contre 25 000 euros en Europe. Les Américains peuvent s'appuyer sur une armée comptant 1, 5 million d'actifs et 1, 2 million de réservistes. Ils ont envoyé 160 000 hommes en Irak, quand notre armée ne compte que 124 000 hommes. Depuis 2001, ils ont engagé 800 milliards de dollars dans la lutte contre le terrorisme, soit deux fois le budget qu'ils avaient consacré à la guerre de Corée !
Aujourd'hui, les impératifs sont stratégiques, mais aussi financiers. En outre, monsieur le ministre, il est impératif d'être cohérent.
Ainsi, au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien doit être impérativement réglé. Or, lorsque l'on se rend dans cette région, on se dit que ce conflit ne le sera jamais ! Un règlement juste du conflit doit aboutir à deux états pour deux peuples. Or il faut avoir l'honnêteté aujourd'hui de dire que la Palestine n'existe plus. Et je ne parle pas seulement de Gaza et du Hamas. La Cisjordanie aujourd'hui, c'est 650 kilomètres de mur - 700 kilomètres supplémentaires sont en construction - et 80 zones colonisées. La Cisjordanie n'existe plus, pas plus que l'Autorité palestinienne et le gouvernement d'union nationale. Le Conseil palestinien ne se réunit plus, quarante-huit de ses parlementaires sont en prison.
Malgré tout, il faut aider la Palestine, ainsi que Mahmoud Abbas, même s'il ne représente plus rien. Il est toujours le président de l'OLP. C'est à ce titre qu'il a participé à la conférence d'Annapolis.
Les grands bailleurs de fonds de la Palestine sont essentiellement l'Europe, à hauteur de 500 millions d'euros, et les États-Unis, pour 300 millions d'euros. Il est assez cocasse de penser que des fonds sont attribués à l'Autorité palestinienne pour soutenir l'organisation d'élections.
J'étais en Palestine lorsque le Hamas a gagné les élections législatives. J'y étais également quand Mahmoud Abbas a été élu. La démocratie a un prix. Et elle comporte des risques. Or qu'a-t-on fait des principes démocratiques ? Si on ne voulait pas que le Hamas prenne le pouvoir, il aurait peut-être fallu décider au préalable quels mouvements n'avaient pas le droit de participer au processus démocratique, notamment les mouvements extrémistes politiques armés.
Il faudra un jour se pencher sur le problème du Hamas et du Hezbollah, car il est dommage pour le processus démocratique d'avoir à décréter que le résultat d'une élection n'est pas bon quand il ne convient pas.