Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 3 décembre 2007 à 21h45
Loi de finances pour 2008 — Défense

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle est la politique de défense et de sécurité de la France ?

À l'écoute des interventions des principaux responsables politiques de notre pays ou à la lecture des analyses des principaux chefs militaires, bien malin qui pourrait se faire une opinion.

Prédomine l'impression que l'on affiche tour à tour, et au fil de l'eau, un certain nombre d'options. Un jour, l'accent est mis sur l'Europe de la défense, présentée comme une des priorités de la présidence française de l'Union européenne, avec des objectifs néanmoins encore flous. Le lendemain, il est mis sur le rapprochement avec l'OTAN, sans que le débat ait lieu, ne serait-ce qu'aux marges, avec la société, et sans que les implications concrètes, en termes de priorités stratégiques et de choix d'équipements, en soient précisées.

Plus généralement, des évolutions lourdes ont été décidées au cours des dernières années, sans que les Français en soient réellement conscients, faute d'un débat démocratique digne de ce nom. D'une armée de conscription, conçue comme un outil de cohésion nationale, nous sommes passés à une armée professionnelle. D'une armée de protection du territoire national, nous sommes passés à une armée d'interventions extérieures. D'une volonté d'autonomie stratégique, nous sommes passés à une démarche d'intégration, dont on ne sait pas très bien si elle donne priorité à la construction de l'Europe ou au dialogue transatlantique. Et n'oublions pas l'effet de ces évolutions, amplifié par la réalité budgétaire, sur l'industrie de défense, hier nationale, demain sans doute plus intégrée.

Quelles sont les menaces ? Quels sont les outils de notre sécurité ? Comment construire une paix durable ? Le comportement réel de la France est-il respectueux des principes que nous prétendons défendre ? Voilà les questions.

La commission chargée d'élaborer le Livre blanc, sous la présidence de Jean-Claude Mallet, apportera-t-elle des éléments de réponse ? Sans faire de procès d'intention, on peut se poser des questions au regard de sa composition largement « endogamique », qui se caractérise par une surreprésentation du ministère de la défense. Il n'y a qu'un seul représentant du ministère des affaires étrangères et européennes et aucune personnalité qualifiée issue de mouvements plus sensibles à la prévention des conflits, à la médiation, à la culture de paix !

Dans un autre registre, après la multiplication des « Grenelle », sur l'environnement, l'insertion ou la fiscalité locale, nous assistons à l'avalanche des « livres blancs », par exemple sur la défense, sur les institutions ou sur la politique étrangère. Quelle cohérence ? Quels arbitrages ? Quel rôle pour le Parlement ? Mystère...

On nous dit que le Livre blanc traduira une nouvelle approche, qu'il permettra de mieux prendre en compte le terrorisme ou la prolifération nucléaire, chimique, ou bactériologique. J'en accepte l'augure. Traitera-t-il des menaces nouvelles ? De la raréfaction des matières premières, et notamment des énergies fossiles ? De la multiplication des événements climatiques extrêmes, sur fond de changement climatique, d'une ampleur hier encore sous-estimée ? Du retour des tensions sur le marché des céréales ? Du risque de terrorisme informatique, ou de destruction de satellites, provoquant la désorganisation de pans entiers du fonctionnement de nos sociétés ? Nous verrons bien.

Je veux comprendre, et je vous pose deux questions.

Premièrement, à quelques encablures de la livraison du Livre blanc, et alors que l'on nous renvoie à son imminente publication à chaque questionnement, pourquoi avons-nous le sentiment que les décisions importantes ont déjà été prises ? Car, si rien n'est décidé, pourquoi les catapultes nécessaires à un second porte-avions ont-elles été commandées ? Pourquoi 3 milliards d'euros ont-ils été provisionnés au budget ? Et ce contre votre avis, monsieur le ministre, si j'ai bien suivi...

Deuxièmement, pourquoi ne pas admettre que la réponse aux nouvelles menaces n'est largement pas militaire ? Qui peut une seconde imaginer qu'agiter le chiffon rouge d'une défense antimissiles positionnée sur le sol européen sous le nez de Vladimir Poutine permette de renforcer la sécurité de notre continent ? Comment ne pas considérer la décision de la Russie, annoncée vendredi dernier en marge de la conférence annuelle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, de suspendre sa participation au traité de réduction des forces conventionnelles en Europe comme une réponse à ce qui apparaît comme une inutile et dangereuse provocation ? Comment lutter contre le terrorisme ? Qui espère qu'une victoire militaire contre la ou les têtes d'Al-Qaida - au demeurant, la plupart des observateurs jugent cette perspective improbable - suffirait à assurer la sécurité de notre population, de nos villes, de nos équipements et de nos approvisionnements en matières premières ?

Monsieur le ministre, je voudrais vous faire part de quelques préoccupations, à commencer par la dissuasion nucléaire. C'est un sujet dont il reste difficile de débattre. J'en veux pour preuve le message adressé par le Président de la République à Jean-Claude Mallet, dans lequel il déclarait que la dissuasion restait « un impératif absolu ».

Pourtant, comme nous l'avons vu précédemment, le nucléaire ne nous protège d'aucune des menaces actuelles. Aujourd'hui, une vingtaine de pays sont au seuil et on considère qu'il y en aura deux fois plus dans une quinzaine d'années. Quel sera l'effet sur la sécurité du monde et sur la nôtre ? Poser la question, c'est hélas y répondre ! Qu'attend notre pays, qui présente volontiers le renoncement à la composante terrestre de sa dissuasion comme une mesure de désarmement, et ce en tordant un peu le cou à la réalité, pour prendre une initiative diplomatique forte ? Le moment n'est-il pas venu d'élaborer une convention sur le désarmement nucléaire sur le modèle de la Convention sur les armes chimiques, au lieu de finaliser le missile M51, de contourner de fait, par le développement de Mégajoule, les engagements pris par notre pays dans le cadre du traité d'interdiction complète des essais nucléaires et de préparer les esprits à une guerre contre l'Iran ?

Qu'en pensent nos principaux partenaires européens ? Si l'on en croit Der Spiegel, l'hebdomadaire de référence outre-Rhin, Nicolas Sarkozy a tenté de convaincre la chancelière allemande de l'intérêt qu'elle pourrait trouver à placer son pays sous la protection nucléaire française. Ce faisant, il a démontré une profonde méconnaissance de la situation politique et de l'opinion allemandes et il a irrité Angela Merkel. Aucun de nos partenaires européens ne se place dans la perspective hâtivement tracée par le président français. C'est là une réalité dont nous ferions bien de tenir compte. En revanche, tous s'interrogent. Que veut la France ? Réintégrer l'OTAN ou construire l'Europe de la défense ? Cette dernière perspective me semble, à tous égards, bien plus crédible et bien moins hasardeuse.

Je fais partie de ceux qui s'inquiètent de la perspective d'une réintégration complète de la France dans l'OTAN si elle ne s'accompagne pas de la reconnaissance de l'autonomie du pilier européen, de la restauration du débat stratégique entre alliés et de la redéfinition du champ d'action et de la doctrine d'intervention de l'organisation. D'abord, parce que le statut actuel de la France n'empêche pas la coopération. Ensuite, parce que, comme le souligne Hubert Védrine, dans le rapport qu'il a remis au Président de la République, le prix à payer pour un tel geste politique en direction des États-Unis serait élevé. Il donnerait à penser que la France n'a plus les moyens de son autonomie stratégique et opérationnelle. Il éroderait la capacité de notre pays à se faire entendre en Afrique ou au Proche-Orient, en donnant le sentiment que la France se rallie à l'idée d'un choc des civilisations.

Sur l'OTAN toujours, on trouve dans le projet de loi de finances la mention de la contribution française au budget de l'organisation. La France verse 106 millions d'euros à cette organisation, ce qui en fait le cinquième contributeur. Pas mal pour un pays qui, officiellement, n'est pas membre de cette structure ! En revanche, on ne trouve pas le montant total des dépenses, incluant les personnels et les matériels, liées à la participation française aux opérations de l'OTAN. Merci de nous renseigner sur ce point, monsieur le ministre.

Autre sujet de préoccupation : la politique française d'exportation d'armes

Monsieur le ministre, dans le rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France que vous venez de nous faire parvenir, vous prétendez, « dans un contexte où la concurrence internationale ne cesse de croître », faire du soutien aux exportations d'équipements de défense et de sécurité l'une des priorités de votre action pour les prochaines années. Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas à vous de rassembler les industriels pour discuter des moyens d'accroître leur réactivité sur le marché mondial. C'est à M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur, de le faire, dans l'hypothèse, que je conteste par ailleurs, où l'on considérerait que les entreprises de la défense sont des entreprises comme les autres. Ce n'est pas votre mission non plus d'alléger le contrôle sur les exportations d'armes. Écoutez votre directeur des affaires stratégiques, qui déclarait ceci : « On ne peut s'en remettre à la seule responsabilité des industriels », compte tenu des tentations toujours présentes. Il ajoutait également : « Le dispositif a au moins eu le mérite jusqu'à présent de ne pas exposer la France aux reproches que l'on peut faire à certains membres de l'Union européenne pour la diffusion de technologies sensibles dans des États proliférants. »

L'agrément préalable unique ou la délivrance d'autorisations globales pour les matériels les moins sensibles, mis en place selon les recommandations d'Yves Fromion, devront être sérieusement évalués et, si nécessaire, remis en cause, si l'objectif n'est pas seulement, ce que j'espère, de doper, quel qu'en soit le prix, les exportations d'armes.

En outre, la France continue à produire, à utiliser à et exporter des bombes à sous-munitions. Cette année encore, je me fais donc le relais du plaidoyer d'Handicap international en faveur de leur interdiction pure et simple.

Je souhaite également évoquer les conséquences écologiques des activités de défense. Pour mémoire, je mentionnerai simplement la question non seulement environnementale, mais également économique, du prix des carburants, dont tout indique qu'il sera demain beaucoup plus élevé encore qu'il ne l'est aujourd'hui. On peut espérer que le renouvellement des matériels permettra de progresser.

En revanche, je veux insister sur le démantèlement des navires de guerre - je pense au Clemenceau et au Colbert - et des sous-marins, qui pose des problèmes considérables s'agissant de la santé des travailleurs ou de l'environnement. En matière d'équipements militaires, pourquoi ne pas respecter la règle mise en place dans le domaine civil, c'est-à-dire la responsabilité des industriels du berceau à la tombe ?

Bien d'autres sujets mériteraient d'être évoqués. Je pense à la sous-évaluation du coût des OPEX, préoccupante alors que la France entend jouer un rôle important à l'est du Tchad et au Darfour, ou au retard pris par l'avion de transport militaire A400 M. Ces questions sont toutes importantes, mais elles ne doivent pas occulter une préoccupation toute politique. Comment le Parlement, qui sait consacrer des heures et des heures de débat à la sécurité des manèges forains ou à la réglementation des espèces canines, peut-il continuer à accepter chaque année des dépenses à hauteur de 48 milliards d'euros pour assurer la sécurité de notre pays, sans qu'on soit seulement en capacité d'en démontrer l'efficacité au regard du seul objectif valable, c'est-à-dire protéger la paix ?

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