Intervention de Colette Mélot

Réunion du 6 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente et rapporteur de la commission de la culture, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, lors des dernières élections présidentielles au Brésil, 100 000 comptes WhatsApp ont inondé la plateforme de centaines de millions de messages de soutien à la campagne de Jair Bolsonaro. Cette pratique, pour être tout à fait illégale, n’en est pas moins efficace.

La propagande politique est vieille comme le monde. Toutefois, les ingérences répétées qui se sont produites à partir de 2014, lors des élections en Ukraine, au Bundestag, du référendum néerlandais, du référendum sur le Brexit et des élections américaines, ont prouvé que les démocraties occidentales, même les plus grandes, n’étaient pas intouchables. Ensuite, la tentative d’ingérence dans l’élection présidentielle française de 2017 nous a fait prendre conscience plus concrètement de notre vulnérabilité.

La manipulation de l’information, entendue comme la diffusion intentionnelle et massive de nouvelles fausses ou biaisées à des fins politiques hostiles, est liée à la combinaison de deux facteurs : d’une part, les capacités de diffusion rapide offertes par internet et les réseaux sociaux ; d’autre part, la crise de confiance qui dévalue la parole publique dans nos démocraties.

« Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe », disait Alexis de Tocqueville, à l’époque où les fausses informations circulaient encore à la vitesse des machines à vapeur. La généralisation des réseaux sociaux et des pratiques de sponsoring change la donne : un quart de seconde suffit désormais pour qu’une théorie complotiste franchisse l’Atlantique, et en quelques heures seulement, avec quelques milliers d’euros, une campagne de désinformation politique peut devenir virale.

Pour contrer ce phénomène, l’Assemblée nationale nous transmet une seconde fois une proposition de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information en période électorale.

Nous savons tous qu’il est nécessaire d’agir pour protéger nos démocraties.

Une première fois, le 26 juillet dernier, le Sénat a fait le choix de ne pas examiner ce texte, au lieu de l’amender et d’en proposer une réécriture en vue d’une conciliation en commission mixte paritaire. Notre groupe s’était opposé à cette décision, jugeant que la Haute Assemblée devait exercer sa responsabilité législative. Nous maintenons notre position.

Si les lois actuelles étaient suffisantes pour résoudre le problème de la désinformation en période électorale, les interférences que nous avons connues lors des dernières élections présidentielles ne se seraient pas produites.

À la vérité, le droit actuel est impuissant pour une raison évidente : la loi sur la liberté d’expression date de 1881. Les modes de diffusion étaient alors radicalement différents, sans audiovisuel, sans réseaux sociaux ni plateformes numériques.

La régulation des plateformes est un volet essentiel du texte. Il ne s’agit pas de confier aux géants du web la privatisation de nos libertés, mais de retirer le plus rapidement possible des contenus illégaux qui risqueraient de déstabiliser un candidat et de changer le cours d’une élection, voire de l’Histoire. Les GAFA ont leur part de responsabilité dans la diffusion de tels contenus : nous devons les inviter à coopérer, et c’est précisément ce que prévoit la proposition de loi.

À l’heure où 83 % des jeunes s’informent sur internet, notamment sur les réseaux sociaux, je ne pense pas qu’il soit judicieux de se cacher derrière le droit européen, qui a sa propre force d’inertie, et d’attendre qu’il évolue.

Pour autant, nous reconnaissons la modestie de cette proposition de loi, qui ne permettra pas la disparition complète des fausses informations ; c’est d’ailleurs plutôt une bonne nouvelle, car un dispositif d’une telle efficacité serait dangereux pour les libertés individuelles.

L’information est un enjeu et un instrument de pouvoir. Sa manipulation est un venin pour notre démocratie : elle mine de l’intérieur la confiance des citoyens envers leurs représentants. Ne laissons pas des États étrangers et des groupuscules s’immiscer dans le fonctionnement de nos institutions !

Mes chers collègues, quel signal enverrait le Sénat en refusant, pour la seconde fois, d’examiner ce texte ? Il nous semble que la contribution de la chambre haute du Parlement est d’autant plus importante que le sujet est éminemment politique et sensible !

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