Intervention de André Gattolin

Réunion du 6 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

bis repetita : nous voici de nouveau réunis pour examiner la proposition de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information, cette fois en nouvelle lecture. C’est le cours normal de la procédure législative dans notre pays, et c’est une très bonne chose.

Après l’échec de la commission mixte paritaire, ce débat devrait être l’occasion pour le Sénat d’étudier une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, améliorée par plusieurs amendements. Ainsi, le texte soumis à notre examen cet après-midi comporte des ajouts bienvenus, en particulier la création d’une procédure d’appel pour les décisions prises par le juge des référés.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez récemment confirmé la mise en place prochaine, en complément de cette proposition de loi, d’un Conseil de la déontologie de l’information, où journalistes et éditeurs seront largement représentés.

Cette instance, que nous avons maintes fois appelée de nos vœux et qui existe déjà dans dix-huit pays de l’Union européenne, sera très utile. Il ne s’agira nullement d’un tribunal de la pensée ou d’une instance de censure, ainsi que certains se plaisent déjà à la décrire. Elle émettra a posteriori des avis documentés et largement débattus par ses membres sur des cas ou des processus litigieux en matière d’information diffusée.

La création de ce conseil est l’un des compléments essentiels à cette proposition de loi. Ses avis permettront notamment d’éclairer et de légitimer les décisions que le juge des référés sera amené à prendre.

Seulement voilà : bis repetita… La majorité sénatoriale a choisi, une fois encore, de déposer deux motions de rejet, dont l’éventuelle adoption clôturerait définitivement le débat parlementaire, sans que le Sénat ait pu apporter sa touche à ces textes. Vous comprendrez, mes chers collègues, que bis repetita non placent : cette procédure dilatoire ne nous séduit pas plus la seconde que la première fois.

L’opposition au Gouvernement parle d’un texte bâclé, d’une proposition mal ficelée et même d’une législation qui serait dangereuse pour nos libertés, en particulier pour la liberté d’expression. Passons sur les commentaires délirants propagés à ce propos sur certains réseaux sociaux.

À l’appui de sa motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique, le rapporteur de la commission des lois affirme : « Le dispositif proposé manque sa cible ». C’est son point de vue, et, disons-le, ce n’est que cela. En effet, dans son argumentation en faveur du rejet sine die de ce texte, l’argutie est souvent plus insidieuse que véritablement démonstrative.

Ainsi, sont évoquées de « vraies manipulations de l’information », de « vraies entreprises de manipulation » et, par deux fois, de « vraies menaces ». Sous-entendu : le Gouvernement ne viserait que de véritables fausses « fausses nouvelles », avec l’intention inavouée de réduire le champ des libertés dans notre pays.

Je pense pouvoir entendre tous les arguments, mais je me méfie toujours de celles et de ceux qui, en guise d’argument définitif, prétendent détenir la vérité, la seule vérité.

Mes chers collègues, j’ai bien peur que nous soyons au cœur de ce que Guy Debord résumait par cet aphorisme : « Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». Notre monde réel n’est heureusement pas encore totalement renversé, mais l’actualité récente, qu’il s’agisse de l’élection présidentielle au Brésil ou de la campagne de mi-mandat aux États-Unis, nous montre que, d’ores et déjà, le faux est devenu un moment du vrai.

Une autre raison avancée à l’appui des motions tendant à opposer la question préalable me chagrine beaucoup en tant que législateur, et plus encore en tant que sénateur : celle qui consiste à dire que ce texte serait inabouti et qu’il aurait été élaboré dans l’urgence, alors que, à aucun moment, la majorité sénatoriale n’a tenté de l’amender, voire de le réécrire à sa guise.

L’argument de la prétendue précipitation, déjà invoqué en première lecture, voilà plus de deux mois, commence à avoir bon dos. La proposition de loi et la proposition de loi organique ont été déposées à la mi-mars de cette année, et aucune procédure d’urgence n’a été déclarée pour leur examen : où sont passés les législateurs que nous sommes pendant tout ce temps ?

Renvoyer la solution au problème de la prolifération inquiétante des fausses nouvelles à un renforcement de l’éducation aux médias relève de l’esquive, pour ne pas dire de l’escamotage. D’autant que celles et ceux qui le prônent ici ne se sont pas toujours mobilisés quand les moyens publics alloués à cette entreprise ont décliné durant la décennie écoulée.

De même, prôner l’autorégulation, rien que l’autorégulation, par les médias eux-mêmes est une manière assez sournoise de laisser la situation se dégrader encore et encore. En effet, nous avons plus affaire non plus à des médias déclarés responsables de la qualité et de la crédibilité des informations qu’ils délivrent, mais à une myriade de plateformes sans frontières, qui propagent massivement des flux d’informations dont elles ne sont ni les productrices ni les garantes de la valeur informative.

La réalité grandissante d’aujourd’hui, c’est que l’on s’informe de moins en moins, mais que l’on est de plus en plus informé, c’est-à-dire soumis à des flux d’informations que l’on ne choisit pas, mais que d’autres, par des biais technologiques, choisissent pour nous.

Parce que nous vivons ce changement profond de paradigme dans la manière d’être informé et que les dispositions en vigueur ne sont plus adaptées pour garantir la qualité du débat public, le groupe La République En Marche votera contre les motions tendant à opposer la question préalable !

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