Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 26 juillet dernier, je précisais à cette même place, au nom du groupe Union Centriste, précisant qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la discussion en séance publique de cette proposition de loi, tant celle-ci apparaissait à la fois inutile et dangereuse, une position d’ailleurs partagée par la très grande majorité des professionnels auditionnés à l’occasion de l’analyse de ce texte.
Aujourd’hui, force est de constater que rien n’a changé… ou si peu. La commission mixte paritaire n’a proposé aucune avancée significative.
Permettez-moi, dans un premier temps, de citer un récent rapport établi par le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie et l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, qui souligne notamment : « Les manipulations de l’information ne sont pas un phénomène nouveau. Leur actualité récente est liée à la combinaison de deux facteurs : d’une part, les capacités inédites de diffusion rapide et de viralité offertes par internet et les réseaux sociaux, couplées, d’autre part, à la crise de confiance que vivent nos démocraties et qui dévalue la parole publique, allant jusqu’à relativiser la notion même de vérité. »
Comme précisé en juillet dernier, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, la question de la manipulation de l’information est, certes, un sujet majeur, mais les dispositions du présent texte ne sont pas de nature à y répondre de manière satisfaisante.
Ce rapport précise en outre : « Les élections américaines de 2016 et françaises de 2017 ont jeté une lumière crue sur ce phénomène, ses ressorts et ses conséquences. » Il pose la question suivante : « Ne sommes-nous pas dans le cadre du débat démocratique, dont les excès peuvent être corrigés par la législation en vigueur ? » C’est pourquoi je ne puis donc que confirmer, monsieur le ministre, ce que j’avais déjà dit devant votre prédécesseur.
Ce texte est inutile, car notre arsenal juridique contient déjà des dispositions de nature à répondre au problème. Le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse porte expressément sur « les crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». La création d’un nouveau dispositif ne se justifie donc pas.
De plus, la viralité des réseaux sociaux rendra inopérantes les sanctions prévues par le texte. En effet, que vaut le retrait d’un contenu par une plateforme s’il a pu être dupliqué à des milliers ou des millions d’exemplaires par les utilisateurs en quelques secondes ?
Par ailleurs, le juge et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, sont investis de missions qu’ils ne pourront pas remplir. La notion de « manipulation de l’information » est très vague, et le texte ne parvient pas à l’expliciter de manière satisfaisante. Le juge aura du mal à disposer des éléments qui lui permettront de se prononcer sous quarante-huit heures. Il se déclarera sans doute souvent incompétent.
Comment affirmer qu’un juge des référés pourra établir a priori qu’une « fausse information » est de nature à altérer la sincérité d’un scrutin, qui, par définition, n’a pas encore eu lieu ? De même, qu’est-ce qu’une chaîne « contrôlée » ou « sous l’influence » d’un État étranger ? Le CSA se retrouvera, donc, dans la même situation que le juge des référés.
Par certains aspects, le texte peut même apparaître dangereux.
Dangereux, pour la liberté d’expression. Sous couvert de lutte contre la manipulation de l’information, le dispositif ne permettra-t-il pas d’étouffer certaines affaires ?
Dangereux, parce qu’il est générateur de discriminations : oui, le texte crée une discrimination entre le monde politique et le reste de la société. En effet, la question de la manipulation de l’information se pose à tous les citoyens. Or ce texte peut apparaître comme une réponse corporatiste, destinée simplement à protéger le monde politique. Il aurait vocation à ne s’appliquer qu’à l’occasion des campagnes électorales pour protéger les candidats. Il s’agit donc d’un texte de protection des élus, voté par des élus.
Quid de la manipulation de l’information dont peuvent être victimes quotidiennement nos concitoyens ? De plus, le texte semble créer une discrimination entre les journalistes dont les médias ont une édition « print » et les journalistes dont les médias sont dits « pure player ». Seuls ces derniers, alors qu’ils sont des journalistes à part entière, seraient soumis au dispositif prévu par le texte.
Pour toutes ces raisons, la présente proposition de loi apparaît comme un texte épidermique, de circonstance, dont le contenu ne répond pas au problème réel posé par l’émergence des réseaux sociaux et, plus généralement, des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon. Sur ce sujet en particulier, tout le monde a bien conscience que nous n’avançons pas assez, ou, tout du moins, que nous avançons à très petits pas. Ce n’est pas à notre niveau que cette question doit être traitée ; il faut l’appréhender au niveau européen.
C’est pour cette raison que la proposition de résolution européenne déposée par la présidente de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, sur la responsabilisation partielle des hébergeurs va dans le bon sens, celui d’un cadre européen unifié.
Monsieur le ministre, je le rappelle une nouvelle fois, la meilleure des choses pour lutter contre les fausses informations serait de permettre la diffusion de la véritable information. Pour ce faire, il est temps d’assurer, enfin, une parfaite distribution de nos journaux et magazines de presse écrite sur l’ensemble du territoire, en faisant évoluer la loi Bichet, mais j’ai entendu que vous y étiez tout à fait sensible.
Pour conclure, je ne comprends toujours pas cet entêtement à vanter les mérites d’un texte fait à la hâte, qui ne répond à aucune priorité étatique et qui, je le réaffirme, est inégalitaire, injuste, discriminatoire et dangereux. C’est pourquoi nous voterons bien sûr les deux motions.