Madame la présidente, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour examiner les propositions de loi, ordinaire et organique, censées empêcher la diffusion de fausses informations sur les réseaux que nous offre la révolution numérique.
En première lecture, il nous a semblé que ces textes étaient loin de pouvoir atteindre leur but. Ils présentent, au contraire, de sérieux risques pour la liberté de communication et d’expression. Nous les avons donc rejetés au travers de l’adoption, à la quasi-unanimité du Sénat, d’une motion tendant à opposer la question préalable, en nous appuyant sur l’excellent travail des rapporteurs de la commission de la culture et de la commission des lois.
En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a effectué quelques modifications, mais sans corriger l’orientation initiale. C’est pourquoi notre groupe votera les motions tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi et la proposition de loi organique déposées par nos rapporteurs, estimant qu’il n’y a pas lieu d’examiner ces textes. Sans étude d’impact préalable, ce texte comporte, je le répète, des risques graves pour la liberté d’expression.
Comme cela a été dit par les orateurs qui m’ont précédé, de nombreuses procédures existent déjà, qui sont tout à fait mobilisables, telles que le référé de droit commun ou les procédures d’injure ou de diffamation entre autres.
La réforme envisagée se traduit principalement par deux types de mesures : d’une part, une nouvelle action en référé, qui met en danger la liberté d’expression dans les campagnes électorales, et, d’autre part, une régulation franco-française des plateformes, alors que celle-ci devrait s’élaborer au niveau européen.
Notre position est bien claire : nous sommes pleinement conscients de la nécessité de lutter contre les fausses informations, mais nous ne cautionnons ni l’orientation ni les choix que porte ce texte adopté par l’Assemblée nationale, appuyé par le Gouvernement.
La difficulté de caractériser la « fausse information » est apparue dès le départ à l’Assemblée nationale, qui, contrainte d’honorer la promesse du Président de la République, a beaucoup souffert pour en donner une définition. Les rédactions successives ont bien montré l’impréparation de ce texte et les hésitations liées aux risques d’atteinte à la liberté d’expression.
Finalement, aucune intention malveillante n’est exigée, ce qui ouvre un large champ d’application. Même les actes de satire ou de parodie, voire de caricature, inhérents à l’expression de notre pays, pourraient être concernés. N’importe quel courant de pensée pourra tenter d’empêcher la publication d’informations dérangeantes, alors même qu’il est légitime pour le citoyen d’être informé, surtout, précisément en période électorale.
Une vraie information pourra être arrêtée par manque de preuves ou impossibilité de citer ses sources. Les exemples de scandales politiques qui auraient pu être traités comme des fake news à leur origine ne manquent pas.
Par ailleurs, l’absence de condamnation du juge, faute de preuves ou de moyens d’investigation, pourra donner une force imprévue aux allégations en cause, qui pourront continuer à être diffusées. De quels moyens le juge disposera-t-il pour rendre son verdict en quarante-huit heures ? Comment pourra-t-il affirmer l’influence d’informations sur un scrutin qui n’aura pas encore eu lieu, et son intervention ne risque-t-elle pas d’être remise en cause par la suite ?
Le remède risque d’être pire que le mal. On aboutira finalement, quelle que soit l’issue de la procédure judiciaire, à une publicité supplémentaire, ce qui n’est pas le but et ne satisfait personne.
Les autres instruments prévus ne sont guère plus solides. L’extension des pouvoirs du CSA et la régulation du numérique sont décidées sans aucune concertation préalable. Finalement, le Gouvernement demande aux juges, au CSA et aux plateformes d’être les gardiens de la vérité.
Hormis l’Allemagne, où un texte récent, très critiqué, est en vigueur, tous les pays européens ont renoncé à mettre en œuvre une législation sur les fake news, au nom de la liberté d’expression. Le sujet est actuellement étudié au niveau européen, comme cela a été dit. La Commission européenne vient de publier un code de bonne conduite, qui donnera lieu à une évaluation en décembre prochain. La dimension transfrontalière de la désinformation en ligne est évidente et rend nécessaire cette approche.
Notre groupe regrette donc la précipitation du Gouvernement, qui place notre pays dans une logique de contrôle de l’information, que nous refusons d’entériner. C’est pourquoi nous voterons les motions tendant à opposer la question préalable.