Madame la présidente, monsieur le président Bizet, monsieur le rapporteur Poniatowski, mesdames, messieurs les sénateurs, un temps suspendus par les échéances internes britanniques et notamment par le vote du budget, les contacts entre négociateurs en vue de la conclusion d’un accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ont repris.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la Haute Assemblée et devant les membres de votre commission spéciale chargée d’examiner ce projet de loi, le temps presse désormais, mais nous continuons à penser qu’un bon accord est possible avec le Royaume-Uni, ce qui serait l’intérêt bien compris des deux parties.
De nombreux progrès ont été réalisés depuis le début des négociations avec le Royaume-Uni sur les modalités de son retrait de l’Union européenne, qui doit intervenir le 30 mars 2019. Les négociateurs sont parvenus à se mettre d’accord sur près de 90 % du projet d’accord de retrait, y compris sur des chapitres essentiels de la négociation.
Cela concerne en particulier les droits des citoyens européens au Royaume-Uni, qui devraient pouvoir continuer de résider, de travailler et d’étudier au Royaume-Uni dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues par le droit européen actuellement. Cela concerne également le règlement financier, puisque le Royaume-Uni accepte de s’acquitter de ses obligations. De même, une période de transition serait mise en place, qui s’ouvrirait le 30 mars 2019 et s’achèverait le 31 décembre 2020, durant laquelle le Royaume-Uni devrait continuer à appliquer l’intégralité de l’acquis, sans participer au processus décisionnel.
Je tiens à cette occasion, une fois encore, à saluer la grande qualité du travail mené par Michel Barnier au nom des Vingt-Sept. Il a permis de maintenir notre unité et d’œuvrer dans notre intérêt commun. Je sais, à cet égard, que vous vous associez bien volontiers à cet hommage. De fait, c’est bien derrière notre négociateur que nous sommes unis, et non pas contre le Royaume-Uni, comme cela a pu parfois être dit : punir celui-ci n’est ni notre intention ni notre intérêt.
Vous le savez, rien n’est agréé tant que tout n’est pas agréé. Il reste des difficultés à régler, dont la principale concerne le traitement de la frontière entre les deux parties de l’Irlande.
Comme le Royaume-Uni, nous nous sommes engagés à respecter la volonté de tous les Irlandais en évitant de rétablir entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande une frontière dure, qui pourrait menacer la mise en œuvre des accords du Vendredi saint. Cette question se réglera peut-être dans la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, mais il faut en tout état de cause disposer d’un filet de sécurité, d’une solution de dernier recours, qui consiste en ce que l’Irlande du Nord reste pour l’essentiel dans le marché unique, avec un alignement réglementaire.
Cette hypothèse, le Royaume-Uni y a souscrit dès le mois de décembre dernier. Elle implique qu’il puisse y avoir des contrôles, même très allégés, en mer d’Irlande.
Sur l’initiative de Londres, les discussions se poursuivent sur la possibilité, pour éviter d’avoir recours à ce filet de sécurité, d’un maintien du Royaume-Uni tout entier dans l’union douanière. Elles sont difficiles, car cela supposerait que celui-ci renonce à passer des accords commerciaux autonomes avec des pays tiers, que nous maintenions le même niveau de concurrence entre les entreprises britanniques et européennes et que nous préservions, par exemple, la possibilité pour les pêcheurs européens de continuer à accéder aux eaux britanniques.
Contrairement aux bruits qui se sont multipliés ces derniers jours dans la presse, rien n’est encore acquis. Aussi, même si notre priorité est que l’Union et le Royaume-Uni aboutissent à un bon accord, nul ne peut totalement écarter l’hypothèse d’un échec des négociations, qui serait très coûteux pour l’Union européenne et pour le Royaume-Uni. Il est donc indispensable de nous préparer à tous les scénarios, y compris de façon à pouvoir limiter les conséquences d’un Brexit sans accord, donc sans période de transition. C’est ce que le Conseil européen a demandé aux États membres comme aux institutions, dès le mois de mars dernier.
Au niveau de l’Union, une équipe dédiée à ces travaux de préparation a été spécifiquement mise en place au sein du secrétariat général de la Commission. Distincte de l’équipe de Michel Barnier, qui, elle, œuvre à la conclusion d’un accord, elle identifie les mesures qui devraient être prises en cas de retrait sans accord dans les domaines qui relèvent de la compétence de l’Union.
À l’échelon national, il est aussi de notre responsabilité collective, à commencer par celle du Gouvernement, de nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celles d’un retrait sans accord, et d’être techniquement prêts si cette hypothèse se vérifiait à la fin de l’année ou, plus tard encore, en cas de refus par la Chambre des communes de ratification d’un accord de retrait.
À cette fin, le Premier ministre a demandé à l’ensemble des ministères d’identifier les conséquences d’une absence d’accord et les mesures à prendre, y compris dans le cas où nous aurions très peu de temps pour le faire avant le 30 mars 2019.
C’est l’objet du présent projet de loi, présenté le 3 octobre dernier en Conseil des ministres et soumis à l’examen de votre commission spéciale, par lequel le Gouvernement sollicite l’habilitation du Parlement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires, soit, pour certaines d’entre elles, en cas d’accord de retrait, soit – et ce sont les mesures les plus nombreuses – en cas d’absence d’accord, dans trois grands blocs de domaines : la situation des ressortissants français et, de manière générale, les intérêts français ; la situation des Britanniques en France ; la circulation des personnes et des marchandises.
Je souhaiterais en détailler certains aspects.
Sur le premier point, à savoir la situation des Français vivant au Royaume-Uni et qui reviendraient en France, ces mesures pourront chercher, en cas de retrait sans accord, et afin de protéger leurs intérêts, à prendre en compte certains bénéfices acquis par les ressortissants français durant une période effectuée au Royaume-Uni avant la date de son retrait de l’Union, par exemple pour faire valoir leur période d’activité outre-Manche dans le calcul de leur retraite en France ou continuer à se prévaloir en France de diplômes obtenus au Royaume-Uni.
S’agissant de la question des intérêts français, le projet de loi contient des mesures visant à permettre aux entreprises françaises la poursuite de transferts de produits et matériels de défense à destination du Royaume-Uni, aux entités françaises d’accéder aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison de pays tiers ou de continuer à utiliser des conventions-cadres en matière de services financiers et à sécuriser les contrats existants.
Ce sont des domaines techniques, mais j’insiste ici sur une réalité : les entités britanniques n’auront plus accès au passeport financier européen, mais nous voulons que les contrats en cours puissent aller à leur terme et que les entreprises françaises puissent, de leur côté, maintenir leur accès par exemple au marché des changes britanniques.
Concernant la situation des Britanniques en France après le retrait, les mesures proposées visent notamment à régir les droits d’entrée et de séjour, l’emploi des ressortissants britanniques exerçant à la date du retrait une activité professionnelle salariée en France, la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique française de nationalité britannique, ou encore l’application aux ressortissants britanniques résidant en France au moment du retrait de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales.
Enfin, s’agissant de la circulation des personnes et des marchandises, les mesures proposées doivent permettre d’assurer la continuité du transport par le tunnel sous la Manche ou de pratiquer les contrôles nécessaires à l’entrée de marchandises venant du Royaume-Uni sur notre territoire.
À cet égard, certaines mesures seront nécessaires, même en cas d’accord, en vue de la réalisation de travaux de construction ou d’aménagement de locaux, d’installations ou d’infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières qui seront requis d’ici au 31 décembre 2020 par le rétablissement des contrôles de marchandises et des passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni.
Même si le Gouvernement a pleinement conscience que le recours aux ordonnances est une pratique qui ne recueille pas, a priori, l’assentiment des parlementaires, le choix de l’habilitation, qui permet une plus grande flexibilité, est cependant ici indispensable au regard des enjeux comme de la possibilité de devoir mettre en œuvre des mesures dans des délais très rapides, à l’approche de l’échéance du 30 mars 2019.
Il faudra en particulier que nous puissions ajuster notre dispositif en fonction de l’évolution des négociations, mais aussi des mesures qui seront prises par la Commission pour ce qui relève des compétences communautaires et par les autres États membres.
Je tiens tout d’abord à remercier le rapporteur Ladislas Poniatowski et le président Jean Bizet d’avoir relevé cette nécessité et considéré que le Sénat pouvait, au vu du caractère exceptionnel de la situation, accepter l’habilitation sollicitée.
Dans ce cadre, le Gouvernement a également pleinement conscience du juste équilibre à trouver entre l’exigence constitutionnelle de précision de l’habilitation prévue par l’article 38 de notre Constitution, d’une part, et le besoin de flexibilité imposée par le contexte des négociations, d’autre part.
À cet égard, je renouvelle mes remerciements à votre rapporteur Ladislas Poniatowski de la qualité de son rapport et de sa volonté de préciser le texte. Le dialogue noué avec le rapporteur et votre commission spéciale a permis d’avancer sur la structure même du projet de loi, de façon à mieux faire ressortir la finalité des ordonnances, ou encore sur la reconnaissance de certains diplômes et qualifications professionnelles obtenus après le Brexit.
Si la négociation en cours oblige le Gouvernement à garder le champ des options largement ouvert, il a entendu la nécessité d’évoquer le maintien en France des ressortissants britanniques ou la poursuite sur notre territoire d’activités économiques liées au Royaume-Uni. Nous aurons ce débat tout à l’heure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les grandes lignes du projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui. Le nombre relativement limité de domaines concernés s’explique par la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres. Plusieurs questions essentielles, comme celles qui sont relatives au transport aérien ou encore à la pêche, seront traitées au niveau communautaire.
Je me réjouis que nous puissions maintenant engager le débat en séance publique sur ce texte d’une grande importance pour notre préparation, quelles que soient les hypothèses, au Brexit.