Ce qui frappe, à l’issue des différentes auditions menées par la commission spéciale, c’est que les Britanniques semblent bien mieux préparés à la sortie que ne le sont les autres États membres.
M. Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, l’a souligné lors de son audition : aujourd’hui encore, peu de gens croient au Brexit. À ce titre, les auteurs du rapport regrettent une préparation tardive « des administrations et de la mise en adéquation des moyens budgétaires [qui] doivent aller de pair avec des actions de sensibilisation des acteurs intéressés aux conséquences du Brexit ».
En effet, alors que les problématiques sont énormes et diverses, il semble que l’Union européenne et les États membres ont préféré jouer la carte d’une remise en cause du Brexit, plutôt que celle de la négociation d’une sortie ordonnée du Royaume-Uni. À cet égard, la question irlandaise est tout à fait frappante.
Il ne s’agit pas de minimiser les enjeux liés aux nouvelles frontières extérieures de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la cohérence générale ou de protection du marché unique. Toutefois, l’impression que les deux parties, Royaume-Uni et Union européenne, ont quelque peu instrumentalisé l’Ulster, afin de faire pression sur les négociations, ne peut être balayée d’un revers de la main. Or cette question irlandaise est essentielle, historiquement, politiquement et économiquement.
Le retour à une frontière physique « dure » est impossible. Les Irlandais ne reviendront pas sur les accords du Vendredi saint, qui, en 1998, ont mis fin à des décennies de conflits et de violences. Pour eux, il n’y aura pas d’accord de retrait sans statu quo quant aux relations entre l’Ulster et la République d’Irlande, aujourd’hui normalisées.
L’idée d’une frontière au milieu de la mer d’Irlande, pour maintenir artificiellement l’Ulster dans la zone Europe, est tout à fait inacceptable pour la Grande-Bretagne et l’Irlande, toute forme d’annexion de l’Ulster constituant un grave danger pour l’intégrité du Royaume-Uni.
Nous devons veiller à ce que ni notre diplomatie ni la diplomatie européenne ne jouent la division en donnant la priorité à l’Irlande contre le Royaume-Uni. Comme l’a relevé le groupe de suivi dans son rapport de juillet dernier, l’Union européenne ne doit pas spéculer sur les dissensions internes au Royaume-Uni.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Alors que, la semaine dernière, les négociations semblaient être dans l’impasse, alors que l’hypothèse d’un Brexit sans accord était de plus en plus plausible, le secrétaire d’État britannique chargé du Brexit a estimé, dans une lettre adressée aux parlementaires, qu’un accord sur la sortie de l’Union européenne pouvait être scellé d’ici au 21 novembre prochain. Il a même affirmé que l’accord de retrait était désormais réglé à 95 %.
Comme l’a souligné le Conseil européen de juillet 2018, un retrait du Royaume-Uni sans accord nécessiterait l’adoption, par l’Union comme par les États membres, dans leur champ de compétences, de mesures de contingence.
C’est dans ce contexte mouvant et incertain que nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur la demande d’habilitation formulée par le Gouvernement en vue de combler le vide juridique que provoquerait un Brexit sans accord.
Ce projet de loi d’habilitation, au champ d’application extrêmement large et au contenu particulièrement flou – plusieurs orateurs l’ont rappelé, comme l’avait souligné le Conseil d’État dans son avis –, a pour objet la situation des Français installés au Royaume-Uni et des Britanniques installés chez nous, la gestion des flux de personnes et de marchandises et l’aménagement, en urgence, des lignes ferroviaires, des ports et des aéroports français.
Nous approuvons les conclusions de M. le rapporteur. La législation par voie d’ordonnances n’est pas une bonne méthode, et, dans ce cas précis, le Gouvernement demande quasiment un blanc-seing au Parlement. C’est pourquoi nous saluons les modifications, visant à clarifier et à encadrer le champ de l’habilitation, qui ont été tentées ou opérées par la commission spéciale.
En effet, ce qui importe aujourd’hui, dans les délais extrêmement restreints avec lesquels nous devons composer, c’est que notre pays soit en mesure de répondre rapidement, non seulement aux conséquences d’un no deal – c’est l’objet des deux premiers articles du projet de loi –, mais aussi aux conséquences concrètes du Brexit, pour ce qui concerne les infrastructures et, plus largement, les questions logistiques. Il s’agit, tout particulièrement, du rétablissement des contrôles douaniers : c’est l’objet de l’article 3 du projet de loi.
Certes, nous comprenons l’exigence de flexibilité qu’exprime le Gouvernement face à une situation exceptionnelle, mais les sénateurs du groupe CRCE resteront extrêmement vigilants, en particulier au sujet des mesures prises sur le fondement de l’article 3, qui permet au Gouvernement de déroger au droit commun en matière d’aménagements de travaux et d’aménagements rendus nécessaires par le Brexit.
Pour ce qui nous concerne, nous opterons pour l’abstention.