Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, chers collègues, les relations que la France entretient avec le Royaume-Uni sont anciennes, et elles sont bien plus fortes qu’avec beaucoup d’autres États européens.
La Grande-Bretagne est un allié historique. C’est aussi l’un de nos principaux partenaires économiques. Ces chiffres ont été rappelés : 30 000 entreprises françaises y exportent l’équivalent de 3 % de notre PIB.
Il s’agit également d’une histoire humaine : près de 200 000 Britanniques vivent en France, et plus de 300 000 Français se sont installés chez notre voisin.
Le 23 juin 2016, nos amis britanniques ont décidé de quitter l’Union européenne. On peut le regretter, mais nous devons respecter ce choix souverain, que le gouvernement de Mme May a légitimement traduit en activant l’article 50 du traité sur l’Union européenne. En conséquence, le 30 mars 2019, sauf si les vingt-sept États membres décident, à l’unanimité, de fixer une date ultérieure, ce qui paraît fort peu probable, la Grande-Bretagne deviendra un pays tiers.
En l’état, la plus grande incertitude demeure quant à un accord de retrait négocié, d’autant qu’il devra être approuvé tant par le Parlement européen que par le Parlement britannique, au sein duquel la Première ministre peine à trouver une majorité, quelle que soit l’option qu’elle proposerait.
Bien sûr, nous saluons l’action de Michel Barnier, qui conduit avec diplomatie et fermeté les discussions au nom de l’Union européenne. À ce jour, les négociateurs disent s’être mis d’accord sur 90 % à 95 % des sujets. Reste cependant un point de blocage : la frontière irlandaise. De nouvelles propositions ont été faites à la Grande-Bretagne pour dépasser cette difficulté.
M. Dominic Raab, secrétaire d’État à la sortie de l’Union européenne, se veut, quant à lui, optimiste. Comme M. Bocquet l’a relevé, il estime un accord possible avant le 21 novembre prochain.
Malheureusement, le compte à rebours est lancé, et l’hypothèse d’un no deal semble de plus en plus probable.
Je le dis à l’intention de Mme Kauffmann et, plus largement, à toutes celles et tous ceux qui n’envisagent pas cette perspective : le no deal, ce sont, du jour au lendemain, des trains, des bateaux, des avions qui ne circulent plus.
Ce sont des ressortissants britanniques et français à cheval sur les deux pays, qui se trouvent dans une situation juridique incertaine et qui voient leurs droits à circuler, séjourner et travailler remis en cause. Ce sont aussi des entreprises dont les exportations sont entravées, des embouteillages monstres à l’entrée du tunnel sous la Manche, notamment pour le 1, 6 million de camions qui l’empruntent chaque année. Ce sont des contraintes techniques considérables pour les ports qui voient transiter 3, 6 millions de camions par an. C’est la restauration des droits de douane et des contrôles phytosanitaires. C’est la délivrance de visas pour les 4 millions de Britanniques qui viennent en France chaque année. Bref, c’est le chaos !
Face à ces nombreuses menaces, face au risque qu’il n’y ait pas de période de transition, nous ne pouvons que souscrire à la demande d’habilitation émise par le Gouvernement. Il s’agit de préparer cette échéance par voie d’ordonnances, pour en atténuer les effets, dissiper les craintes des personnes concernées et fluidifier nos échanges autant que possible. Des mesures urgentes et temporaires doivent bel et bien être adoptées.
Madame la ministre, vous le savez, le Parlement n’apprécie guère les ordonnances, et il y en a déjà eu beaucoup depuis le début de ce quinquennat. De plus, en refusant de publier l’avis du Conseil d’État, vous avez alarmé les sénatrices et sénateurs membres de la commission spéciale. Y aurait-il quelque chose à cacher ?
Nous entendons vos arguments : vous ne souhaitez pas révéler trop précisément vos intentions. Au contraire, vous entendez conserver de la flexibilité, vous assurer de la réciprocité des mesures, voir comment réagissent les autres États membres.
Toutefois, comme on le dit chez moi – vous connaissez sans doute ce proverbe –, « quand c’est flou, il y a un loup »…