Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 6 novembre 2018 à 14h30
Mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Discussion générale

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 23 juin 2016, le peuple britannique a fait le choix de quitter l’Union européenne. S’il ne nous appartient évidemment pas de remettre en question cette décision souveraine, permettez-moi de rappeler de nouveau à quel point nous la regretterons profondément.

Avec le départ de l’un de ses membres les plus éminents, c’est une part de l’âme et du génie de notre continent, comme de sa force collective, qui se dissocie de notre édifice commun.

Le Brexit, par sa radicalité, interpelle tous ceux qui sont sincèrement attachés à la construction européenne. Il oblige, si l’on veut mener à bien son indispensable refondation, à exercer un devoir d’inventaire lucide sur l’Europe que nous avons bâtie depuis soixante ans.

Au-delà des réflexions qu’il a suscitées sur l’avenir de l’Union, le Brexit doit également nous conduire à des considérations plus prosaïques. En effet, nous sommes aujourd’hui dans une situation inédite. Après avoir cherché à organiser la convergence entre ses États membres pendant plusieurs décennies, l’Union européenne doit désormais trouver la voie appropriée pour gérer la divergence à venir entre le Royaume-Uni et le continent.

Après quarante ans d’imbrication de plus en plus poussée de nos systèmes économiques respectifs dans le cadre du marché unique, de l’union douanière et de nos diverses politiques communes, nul ne peut en effet ignorer que ce processus emportera des conséquences négatives des deux côtés de la Manche et de la mer du Nord : les droits de douane seront vraisemblablement réintroduits à l’avenir, les échanges humains s’affaibliront et, surtout, la divergence réglementaire altérera nécessairement la fluidité des transactions commerciales de services comme de biens.

S’agissant des marchandises, la remise en place de contrôles douaniers, notamment phytosanitaires et vétérinaires, perturbera immanquablement les chaînes d’approvisionnement et de production dans de très nombreux secteurs.

La France, en raison de sa géographie et de ses liens économiques étroits avec le Royaume-Uni, comptera au nombre des États membres les plus touchés. Un simple coup d’œil au volume impressionnant du trafic transitant par le tunnel sous la Manche, qui représente un quart de la totalité des échanges entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept, permet d’en prendre la mesure.

L’activité de nos ports, particulièrement en Bretagne, en Normandie et bien sûr dans les Hauts-de-France, ma région, subira également de plein fouet l’impact du Brexit.

À ce titre, la proposition de la Commission concernant la reconfiguration du corridor maritime mer du Nord-Méditerranée me semble inacceptable, car elle accentue encore le risque, déjà existant, de déport des activités vers les ports belges et néerlandais, où les autorités semblent, selon les professionnels que nous avons auditionnés, plus souples, plus réactives et plus avancées aujourd’hui que la France dans la préparation conjointe du Brexit avec le secteur privé.

Les conséquences économiques et sociales seront réelles, quel que soit le dénouement des discussions en cours, mais elles seront encore amplifiées en cas de no deal, un scénario qui ne peut plus être écarté, au vu de la situation politique intérieure au Royaume-Uni, ainsi que de l’échec du sommet de Salzbourg et du dernier Conseil européen.

À cinq mois de la sortie effective du Royaume-Uni, le brouillard qui entoure l’issue des négociations concernant l’accord de retrait n’est pas levé et empêche toujours d’entrevoir les contours de nos relations futures avec Londres.

En conséquence, il apparaît indispensable d’anticiper le pire et de se préparer à un retrait sans accord, afin d’en minimiser autant que possible l’impact. Tel est l’objet du projet de loi qui nous est soumis par le Gouvernement, qui doit permettre de faire face, dans les domaines qui relèvent de la compétence nationale, aux conséquences du Brexit, que celui-ci soit négocié ou non.

En tant que parlementaire, je ne peux évidemment pas me réjouir du recours aux ordonnances, mais j’en comprends toutefois la nécessité, au regard du contexte particulier dans lequel nous nous trouvons. Les amendements apportés au texte par notre rapporteur Ladislas Poniatowski me paraissent cependant essentiels, dans la mesure où ils le rendent plus conforme aux exigences constitutionnelles en précisant ses finalités, tout en lui conservant la flexibilité nécessaire pour réagir aux événements.

Comme parlementaire, j’ai, en revanche, plus de mal à comprendre, malgré vos explications, madame la ministre, la volonté du Gouvernement de ne pas publier l’avis du Conseil d’État. En effet, je ne suis pas convaincu que ce texte soit susceptible d’être mis à profit par les Britanniques dans le cadre des négociations actuelles ou à venir et j’estime que le fait de ne pas le communiquer constitue un défaut d’information du Parlement mal venu, a fortiori à l’occasion de l’examen d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances.

Il en va de même en ce qui concerne les amendements déposés par le Gouvernement, qui vont à l’encontre des objectifs de sécurisation du texte visés par la commission spéciale.

Sous réserve de ces observations, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, qui ne suffira toutefois pas, à lui seul, à garantir une bonne gestion du Brexit. Celle-ci dépendra avant tout des moyens concrets que le Gouvernement lui allouera et de la rapidité d’action de l’État, pour apporter une réponse appropriée aux problèmes d’ores et déjà identifiés sur le terrain.

Tout retard pris aujourd’hui sera en effet très difficile à combler d’ici au 29 mars 2019, date à laquelle nous devons être prêts en cas de no deal. L’urgence est réelle. Elle concerne les nombreux investissements et les procédures nécessaires à la mise en place de contrôles douaniers efficaces et aux ressources humaines qui devront être mobilisées en conséquence.

Au vu de l’ampleur des échanges avec le Royaume-Uni et de l’absence de structures capables de gérer de nouvelles contraintes, la tâche semble considérable, et l’État doit se montrer à la hauteur de ce défi. Or il n’est pas entièrement clair que cela soit le cas à ce stade.

Il doit également être présent pour accompagner nos territoires, particulièrement ceux du littoral atlantique, et nos entreprises, notamment les PME, face aux turbulences qu’ils auront à traverser. D’autres États membres ont d’ores et déjà engagé cette démarche ; la France doit le faire sans plus attendre et amorcer une véritable logique de partenariat avec les acteurs de terrain, au niveau tant administratif que technique.

Ce projet de loi n’est que la première étape d’un processus que notre pays devra engager pour s’adapter à la nouvelle réalité que façonnera progressivement le Brexit. Nous y serons particulièrement attentifs, madame la ministre, soyez-en assurée.

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