Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre commission spéciale a conduit un travail important, dans un délai très court, pour permettre au Sénat de se prononcer dans de bonnes conditions sur ce projet de loi d’habilitation. Je voudrais en remercier très sincèrement notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, et saluer la mobilisation de l’ensemble des membres de cette commission spéciale.
Nous sommes confrontés à une situation paradoxale. Le Brexit est un non-sens économique ; c’est aussi une aberration géostratégique, je le dis depuis deux ans. Après plus de quarante ans d’imbrication et de convergence, il nous faut travailler à la désimbrication et apprendre à gérer la divergence avec le moins de dégâts possible. Nous devons, par ailleurs, faire face à la forte incertitude qui pèse sur l’issue des négociations d’un accord de retrait.
Nous avons reçu l’ambassadeur de Grande-Bretagne en poste à Paris. Nous en avons conclu que la situation restait, à ce stade, encore très figée. La question irlandaise demeure le nœud gordien de la discussion. Le Sénat, au travers de son groupe de suivi commun aux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères, que je copréside avec Christian Cambon, avait, à juste titre, tiré le signal d’alarme en juillet dernier. Il avait, en particulier, insisté sur la question irlandaise. Malheureusement, ses craintes d’un risque d’absence d’accord de retrait se révèlent, à ce jour, fondées.
Je retiens également des propos de l’ambassadeur un message positif et rassurant sur la situation des Français et des autres citoyens européens installés au Royaume-Uni, ainsi que l’inquiétude perceptible des ressortissants britanniques établis en France.
Nous devons donc nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celle de l’absence d’un accord sur les modalités de retrait. C’est ce qu’entend faire le Gouvernement par le projet de loi d’habilitation qu’il a soumis au Sénat. Les mesures à prendre ne sont pas seulement d’ordre législatif : beaucoup d’entre elles relèveront de l’Union européenne ou seront d’ordre réglementaire. Parallèlement, un travail préalable doit être conduit par les acteurs publics ou privés concernés.
L’audition par la commission spéciale des représentants des activités portuaires, logistiques et de transport routier a bien montré les difficultés à surmonter. Un gros effort de préparation est nécessaire dans ces domaines, dans un délai très resserré. Nous sommes préoccupés par la fluidité des échanges transmanche et par l’attractivité des ports français par rapport à leurs voisins néerlandais et belges.
Nous souhaitons que les administrations apportent tout leur soutien aux acteurs économiques qui vont faire face au Brexit. Il s’agit, madame la ministre, d’un enjeu de compétitivité pour notre pays, tout particulièrement pour nos ports, qui doivent relever un défi majeur.
J’ai eu l’occasion, il y a déjà quelques années, de voir comment fonctionnaient, notamment, les Pays-Bas, s’agissant des politiques ayant trait à l’autorité de la concurrence. J’ai pu constater que les administrations sont, là-bas, aux côtés du secteur privé. Dans le contexte actuel, en particulier, Bercy devra changer quelque peu de logiciel et se porter au soutien des entreprises françaises.
Le Brexit pourrait aussi fondamentalement transformer la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en matière de services financiers. Les grandes institutions du secteur des deux côtés de la Manche sont liées par quarante ans de régulations complexes.
Dans ses deux rapports, le groupe de suivi avait signalé que, en quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni devrait renoncer au passeport financier, qui permet à ses entreprises de vendre leurs services dans ce domaine dans le reste de l’Europe. D’autres questions juridiques se posent. Souvenons-nous que l’incertitude peut créer des risques majeurs pour les marchés financiers.
Pour ce qui est du volet législatif, notre commission spéciale a veillé à ce que l’habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement soit précise. C’est une exigence constitutionnelle. Nous avons également fait attention à conforter les droits des personnes concernées par le Brexit.
Ce faisant, nous n’avons pas écarté le besoin de flexibilité, imposé par l’incertitude même qui plane sur l’issue des discussions avec le Royaume-Uni. Le contenu des ordonnances sera, par ailleurs, subordonné à la réciprocité des mesures prises par le Royaume-Uni et conditionné par les décisions homologues des autres États membres ; la France devra, en effet, rechercher une harmonisation avec les grands États membres voisins, en particulier avec l’Allemagne. Le rapport écrit expose les mesures prises par nos partenaires européens.
Bien évidemment, le Sénat restera très vigilant quant à la suite du processus. C’est pourquoi nous avons souhaité que le Parlement puisse être saisi rapidement des projets de loi de ratification, pour se prononcer sur le contenu des ordonnances.
Le groupe de suivi, que je copréside avec Christian Cambon, poursuivra ses travaux. Comme il l’a fait au cours des derniers mois, il rendra compte au Sénat des nouveaux développements concernant le retrait du Royaume-Uni. Il s’attachera aussi à évaluer les impacts du Brexit sur nos concitoyens installés dans ce pays et sur les secteurs économiques intéressés.
Madame la ministre, je voudrais conclure en insistant sur l’attitude très constructive du Sénat au travers de sa commission spéciale. Nous avons une divergence de vues, qui touche à la forme plus qu’au fond, mais je suis absolument convaincu que vous aurez votre projet de loi d’habilitation. Vous comprendrez néanmoins que si nous devons vous accorder de la flexibilité et de la réactivité – c’est nécessaire –, il nous faut aussi vous contraindre à faire preuve d’un peu plus de précision.
Le groupe de suivi du Brexit, que le président Larcher nous avait demandé de constituer dès juillet 2016, gardera la même position. Il restera à vos côtés, pour faire en sorte que les citoyens français sur le sol britannique et nos amis britanniques sur le territoire français soient rassurés sur le plan juridique et que les entreprises françaises obtiennent que la fluidité des accords commerciaux soit garantie tout au long des années qui viennent.