Vous m'interrogez, madame Brulin, sur le sens de notre politique. Dire que l'on porte 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac mais ne rien faire pour accueillir les étudiants issus du pic démographique, prévisible, de 2001, ou se réjouir d'un taux de réussite de 30 % en première année car il garantirait des amphithéâtres moins remplis en deuxième année, était-ce conduire une politique sensée ? Donner du sens à la politique d'enseignement supérieur, c'est travailler à la démocratisation réelle du système davantage que faire de grandes déclarations d'égalité ; je crois davantage à l'équité, au fait de donner à chacun ce dont il a besoin pour réussir, qu'à une égalité formelle qui ne fait que reproduire les plus grandes inégalités. Je crois avoir démontré que notre politique - que vous avez certes le droit de ne pas soutenir - visait ainsi l'émancipation des étudiants, qu'il faut considérer comme ils sont. C'était en tout cas l'objet de la loi Orientation et réussite des étudiants, qui a recueilli l'accord de l'immense majorité des enseignants du secondaire et du supérieur, excédés de voir tant de jeunes aller droit dans le mur sans que personne ne s'en soucie le moins du monde.
Nous avons déjà débloqué 483 millions d'euros à cette fin : 35 millions d'euros en 2018, auxquels s'ajoutent 123 millions prévus en 2019 et 325 millions d'euros consacrés aux nouveaux cursus : c'est la somme la plus importante jamais allouée au premier cycle universitaire. Avec 483 millions d'euros en à peine treize mois, je pense que nous tiendrons notre engagement de consacrer à cette politique un milliard d'euros sur le quinquennat.
Madame Billon, l'expérimentation régionale dont vous parlez vise à redonner de la noblesse à tous les métiers et à tous les niveaux de qualifications. Nous avons trop souvent tendance à survaloriser le conceptuel au détriment du professionnel. Les critères de choix des régions, certes discutables, procèdent des échanges que j'ai eus avec certains de leurs présidents. L'Occitanie souffre d'être partagée entre grandes métropoles attractives et villes moyennes dont les formations s'affaiblissent : nous travaillons avec sa présidente à identifier les villes d'équilibre dans lesquelles nous pourrions développer une offre de formation de qualité, en présentiel ou en numérique, pour permettre aux étudiants, à tout le moins, de démarrer un premier cycle - qu'ils poursuivront le cas échéant ailleurs. Le cas de la Bretagne et du Grand-Est est différent : la réussite au baccalauréat y est forte, mais le taux de poursuite d'études supérieures inférieur à la moyenne nationale. Nous regardons par conséquent les bassins d'emplois où nous pourrions créer des filières correspondant aux besoins. En Bretagne par exemple, les métiers de la mer, l'accastillage, peuvent justifier des formations pré- ou post-bac ou des filières d'apprentissage. En Île-de-France enfin, formidable aimant, bassin dans lequel les besoins d'emplois et la demande de formation restent considérables, nous cherchons à mettre en place les formations idoines.
S'agissant du statut de chercheur-entrepreneur, nous souhaitons aller plus loin que la loi Allègre, qui avait autorisé les chercheurs à consacrer 20 % de leur temps de travail à leur entreprise : nous souhaitons porter cette part à 50 %, car il est regrettable que ceux qui produisent de la connaissance et souhaitent en faire quelque chose doivent abandonner complètement, pour ce faire, la recherche académique.
Les médecins sont très formatés et la médecine est de plus en plus technique et technologique. Agnès Buzyn et moi-même sommes convaincues que nous avons par conséquent besoin d'équipes pluridisciplinaires. Or l'organisation des études de médecine consiste essentiellement, pour l'heure, à mettre de bons lycéens sous une pression considérable qui les conduit souvent à l'échec. On les oblige à supporter ce système pendant deux à trois ans avant d'obtenir leur première année, puis on forme ceux qui auront résisté dans les gros centres hospitaliers universitaires (CHU) des métropoles disposant de plateaux techniques de pointe, avant de leur demander de retourner faire de la médecine générale là où les besoins sont les plus criants ... Comment s'étonner ensuite qu'ils soient formatés et que le système ne fonctionne pas ?
Nous pensons qu'un système de majeures et de mineures serait intéressant, que l'entrée dans les études médicales et paramédicales ne doit pas être consécutive au baccalauréat mais à une première étape de formation qui peut être composée de sciences comme d'humanités. Nous pensons encore que la formation en CHU ne s'impose pas nécessairement avant l'entrée dans une phase déterminée d'apprentissage de la médecine moderne, et que les types d'exercice possibles de la médecine en cours de cursus gagneraient à être diversifiés. Nous savons qu'un jeune parti de chez lui plus de cinq ans n'y revient pas ; or les études de médecine durent quatorze ans ! Bref, nous devons recruter des profils de jeunes médecins plus diversifiés, les former à la technique - pour allier santé et intelligence artificielle, par exemple - tout en conservant à la médecine sa dimension humaniste.
La réforme du bac cherche à sortir de la logique de filière d'excellence dans laquelle sont poussés même ceux qui n'ont pas envie de la suivre. La difficulté essentielle est de changer l'état d'esprit des acteurs du système, c'est-à-dire de faire en sorte que les gens cessent de se demander ce qui, dans le nouveau bac, sera l'équivalent de la filière scientifique de naguère... Pourquoi ne pas imaginer que les étudiants qui étaient auparavant considérés comme les meilleurs parce que venant de la filière scientifique auront envie d'avoir une double culture puisant aux sciences et aux humanités ? Voilà un beau défi.