Voilà quinze jours, madame la ministre, nous vous avons entendue au sujet de la rentrée étudiante et du bilan de la première année de fonctionnement de la plateforme Parcoursup - merci pour cette audition extrêmement riche. C'est un autre sujet qui vous amène aujourd'hui : le prochain examen par le Sénat des crédits consacrés, dans le projet de loi de finances pour 2019, à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Nous reviendrons probablement avec vous sur le financement du plan Étudiants annoncé l'an dernier, mais nous serons aussi très attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur les projets du Gouvernement en matière de recherche et de financement de la recherche. Le sujet Parcoursup, certes très médiatique, ne doit pas nous faire oublier les enjeux, tout aussi déterminants pour l'avenir de notre pays, de la recherche !
Je vous proposerai, dans un propos liminaire, de présenter les grandes lignes de votre budget. Puis je céderai la parole à nos rapporteurs pour avis des crédits de votre ministère, Stéphane Piednoir pour l'enseignement supérieur et Laure Darcos pour la recherche, puis à tous nos collègues qui souhaiteront vous interroger.
Un point essentiel, pour débuter : la France est une grande nation en matière de recherche et d'enseignement supérieur. Tenir notre rang dans la compétition internationale, jouer un rôle déterminant dans l'élucidation des grandes questions scientifiques, favoriser l'innovation, améliorer nos performances économiques, mieux former et mieux diplômer nos étudiants sont les éléments fondamentaux de mon engagement. Le budget de la mission « recherche et enseignement supérieur » est le vecteur de cette ambition, que nous partageons tous.
Hors remboursement des intérêts de la dette, la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, la MIRES, est l'un des trois postes de dépense et d'investissement les plus importants du budget général.
Composée de neuf programmes, elle constitue un périmètre interministériel dont mon ministère est le principal maître d'oeuvre. Elle finance plus de la moitié des opérateurs de l'État : derrière le terme « organismes divers d'administration centrale », on trouve ainsi les 73 universités, les centaines d'écoles structurant et animant notre territoire, ainsi que nos organismes de recherche, reconnus à l'échelle européenne et mondiale.
La MIRES, au travers du financement de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, est fondamentalement tournée vers la préparation de notre avenir commun. Considéré comme une priorité stratégique par le Gouvernement, ce budget a vu ses crédits augmenter de 5,3 % en deux ans, dans un contexte financier que chacun connaît.
En 2019, avec l'accord du Parlement, le budget du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation atteindra près de 25,1 milliards d'euros, soit une progression de 549 millions d'euros par rapport au budget de 2018. Sur le périmètre global de la mission, la hausse - 500 millions d'euros au total - est également significative.
Chaque programme directement piloté par mon ministère bénéficiera de l'effort collectif consenti par la nation en vue de la préparation de son avenir.
Le programme Enseignement supérieur, doté de 13,6 milliards d'euros, enregistrera une hausse de 166 millions d'euros. Le programme Vie étudiante, intégrant les aides directes ou indirectes à destination des étudiants qui en ont le plus besoin, sera stabilisé à 2,7 milliards d'euros, soit une hausse de 7 millions d'euros, et ce sans tenir compte de la suppression de la cotisation au régime de sécurité sociale des étudiants et de la création de la contribution vie étudiante et de campus, la CVEC.
Pour la recherche, le programme 172 progressera de 171 millions d'euros pour s'établir à 6,9 milliards d'euros et le programme 193 atteindra 1,8 milliard d'euros, en augmentation de 205 millions d'euros.
L'objectif affiché dans la loi de programmation des finances publiques d'une MIRES dépassant les 28 milliards d'euros à l'horizon de 2020 est pour l'heure respecté. Si l'on y ajoute le programme d'investissements d'avenir, le PIA, et les investissements importants de nos collectivités territoriales et du monde socio-économique en faveur de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, on n'a jamais autant investi dans notre avenir qu'en ce moment !
Derrière ces masses financières considérables se trouvent des enjeux et des chantiers qui occuperont mon ministère au cours des prochains mois.
S'agissement du financement de la recherche, l'effort consenti - progression du budget de 2,5 % cette année et de 8 % en deux ans - souligne le caractère stratégique de la recherche pour notre pays.
La France demeure une grande nation scientifique, comme en témoignent la récente attribution du prix Nobel de physique à Gérard Mourou et la réussite, en septembre dernier, du centième tir d'une Ariane 5. Toutefois, nous faisons face à une concurrence accrue, liée aussi bien aux performances des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne qu'à l'émergence de nouveaux acteurs de la recherche, dont l'Inde et la Chine.
Dans ce contexte, il faut continuer à soutenir la recherche fondamentale, mobiliser les forces scientifiques pour répondre aux grands défis sociétaux, consolider le partenariat entre universités et organismes de recherche. Pour cela, j'entends renforcer les écosystèmes territoriaux organisés autour des universités développant leur signature en matière de recherche et d'innovation, mais aussi les missions nationales des organismes de recherche, en leur confiant des programmes prioritaires de recherche à cette échelle. Cela devra se faire en encourageant l'excellence scientifique de demain, notamment grâce au recrutement de 300 nouveaux doctorants par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) d'ici à 2020.
Dans cette compétition mondiale, où la recherche devient plus que jamais un enjeu de souveraineté, il ne faut pas opposer le financement sur projet au financement dit « de base ». Il faut faire les deux, et il faut le faire au bon niveau, indépendamment du vecteur.
Afin de faciliter le travail des chercheurs au quotidien, j'ai donc décidé de reconduire le financement direct « de base » supplémentaire aux laboratoires de 25 millions d'euros. La rémunération des personnels des organismes sera revalorisée à hauteur de 28 millions d'euros, dans le cadre du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR).
Le redressement du financement de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, se poursuit, avec près de 33 millions d'euros supplémentaires inscrits pour 2019 en autorisations d'engagement et des crédits de paiement s'établissant à 86 millions d'euros. Au-delà de ce vaisseau amiral du financement de la recherche sur projet, nous continuerons de soutenir les initiatives vertueuses permettant d'associer le meilleur de l'initiative privée et de la recherche publique. Ainsi, nous maintiendrons l'abondement de 5 millions d'euros au profit des instituts Carnot.
Après avoir régularisé la situation de la France auprès des organisations scientifiques internationales à hauteur de 300 millions d'euros en 2018, dont plus de 170 millions d'euros hors secteur spatial, mon ministère restera pleinement engagé dans le financement des très grandes infrastructures de recherche, avec des crédits en hausse de 23 millions d'euros. Ces choix, lourds, exigeants, sont néanmoins fondamentaux pour repousser la frontière des connaissances.
À cet égard, le Gouvernement a à coeur de relever certains grands défis scientifiques et technologiques particulièrement structurants : près de 29 millions d'euros, issus de la MIRES et du PIA, financeront le volet recherche du plan intelligence artificielle et, dans le secteur spatial, dans un contexte d'émulation liée à l'arrivée de nouveaux acteurs comme l'américain SpaceX et de finalisation du programme Ariane 6, le budget du programme 193 progressera de 13 % pour atteindre 1,8 milliard d'euros.
Enfin, dans le but de répondre aux enjeux sanitaires, cliniques et épidémiologiques des pathologies frappant nos concitoyens, nous renforcerons le financement des plans santé, principalement pilotés par l'INSERM, par un effort de 17 millions d'euros en gestion.
La recherche étant une entreprise fondamentalement humaine, j'ai travaillé à consolider le statut des chercheurs, en obtenant, en mars dernier, l'inscription du doctorat au répertoire national des certifications professionnelles et en oeuvrant, avec Bruno Le Maire, à la rénovation du statut de chercheur-entrepreneur dans le cadre de la loi PACTE (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises).
S'agissant de l'enseignement supérieur, l'année 2019 sera celle de la montée en puissance du plan Étudiants, évoqué lors de mon audition du 23 octobre dernier.
Un budget légèrement supérieur à 123 millions d'euros sera consacré au financement des parcours personnalisés de réussite et aux mesures indemnitaires permettant de soutenir et valoriser l'engagement des équipes pédagogiques.
Le PIA continuera à soutenir la rénovation des cursus universitaires. Les nouvelles dispositions organisant les enseignements du premier cycle selon des principes de modularité et de capitalisation seront pleinement mises en oeuvre. La réforme des études de santé s'inscrira, bien évidemment, dans cette démarche d'ensemble, avec la disparition de la première année commune aux études de santé, la PACES, dans son format actuel et la suppression, à l'horizon de 2020, du numerus clausus. Agnès Buzyn et moi-même travaillons de concert pour pouvoir proposer au Parlement un train de mesures législatives au cours du premier semestre 2019.
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
L'année 2019 nous permettra également de renouveler notre approche territoriale de la question de la répartition de l'offre de formation. Les expériences de la mise en oeuvre de Parcoursup et de la réforme du master ont mis en évidence des disparités, parfois importantes, entre régions ou académies, voire à l'échelle intra-territoriale. Pour y remédier, nous expérimentons plusieurs dispositifs avec les régions Île-de-France, Bretagne, Occitanie et Grand-Est.
Parcoursup a montré que certaines filières, saturées à l'échelle nationale, disposent toujours de places vacantes dans certains territoires. Le fonds d'aide à la mobilité étudiante qui sera instauré en application de l'article 78 du PLF pour 2019 aura pour objectif premier de les valoriser. Au vu de la très forte demande de formations courtes et professionnalisantes, la licence professionnalisante à l'université sera progressivement déployée, l'enjeu étant dans l'immédiat de rapprocher l'offre locale de formation des bassins régionaux d'emplois et des priorités stratégiques définies par les collectivités territoriales.
L'année 2019 sera déterminante en matière de vie étudiante. Pour la première fois, nous avons réduit significativement le coût de la rentrée universitaire, par la suppression de la cotisation de 217 euros au régime de la sécurité sociale des étudiants et la mise en place du paiement à date des bourses. Pour la première fois, aussi, la CVEC a été collectée : à cette date, nous ne connaissons pas le montant du produit consolidé de la campagne 2018/2019, mais cette contribution, je le confirme, n'a pas vocation à financer le désendettement de l'État. L'argent de la vie étudiante restera bien à la vie étudiante !
Nous profiterons également de l'année 2019 pour pousser plus loin l'autonomie des universités. Avant la fin de l'année, nous publierons l'ordonnance sur les regroupements expérimentaux en application de la loi pour un Etat au service d'une société de confiance (ESSOC), afin que chaque université qui le souhaite puisse développer son projet et sa signature personnelle ; c'est un outil indispensable pour permettre aux différents sites de réussir dans un environnement de plus en plus concurrentiel, notamment au plan international, mais aussi de rayonner dans leur environnement local et de contribuer à l'attractivité du territoire. Dans ce cadre, j'expérimente depuis la rentrée un dialogue stratégique de gestion avec neuf universités, dialogue ayant vocation à être élargi dans les meilleurs délais à toutes les universités.
Autre outil incontournable pour ancrer les universités dans leur environnement immédiat, le patrimoine immobilier. À l'occasion de la loi de finances pour 2018, nous avons élargi le principe de spécialité, afin de permettre aux universités de mieux valoriser leur patrimoine. Nous irons plus loin cette année, en finalisant une deuxième vague de dévolution qui concerne les universités de Bordeaux, Marseille, Caen et Tours. Parce qu'il s'agit d'une forme d'aboutissement du principe d'autonomie, je souhaite lancer dès 2019 une vague continue de dévolution, afin que chaque établissement puisse se saisir des opportunités liées à la valorisation de son patrimoine avant la fin de l'année 2022.
Enfin, l'Europe joue un rôle fondamental dans le rayonnement international de notre système d'enseignement supérieur. Imaginer l'université de demain à l'échelle de l'Europe, c'est travailler à l'attractivité de nos universités, mais aussi à l'excellence scientifique. Pour cela, nous devons projeter nos politiques et nos pratiques à cette échelle, dans le cadre de la préparation du programme Horizon Europe, plus important programme mondial en matière de recherche. J'ai engagé un travail sur ce sujet car les acteurs français ne s'investissent pas suffisamment dans ces programmes européens.
Imaginer l'université de demain à l'échelle de l'Europe, c'est aussi renforcer l'identité européenne de la jeunesse par une université inclusive, en donnant à chaque jeune l'opportunité de construire son avenir à l'échelle du continent. Je me félicite du lancement de l'appel à propositions « Universités européennes » - 30 millions d'euros pour 6 projets pilotes -, qui permettra à des consortiums d'établissements issus d'au moins trois pays européens de bâtir les premiers projets pilotes de ces universités européennes. J'appelle tous les établissements français qui le souhaitent à s'engager dans ce nouveau projet. La France apportera son soutien à la construction de ces projets, à hauteur de 100 millions d'euros au moins sur dix ans.
Le PIA 3 a vocation à soutenir les progrès de l'enseignement et de la recherche, valoriser la recherche et accélérer la modernisation des entreprises. Le Grand plan d'investissement a été conçu pour soutenir l'excellence scientifique et renforcer la compétitivité dans un certain nombre de secteurs. Le fonds pour l'innovation et l'industrie est aussi destiné à soutenir les start-up à forte intensité technologique et à financer des grands défis, dont l'intelligence artificielle. Comment ces trois plans s'articulent-ils ? Le Gouvernement réfléchit-il à un nouveau PIA ? Si cette idée n'était pas retenue, une loi de programmation de la recherche pourrait-elle être envisagée ?
Du fait de la part réduite des primes dans leurs émoluments, les chercheurs touchent des salaires indignes au regard de leurs qualifications et de leur charge de travail. Une réflexion est-elle engagée sur ce sujet ? Peut-on espérer remédier à cette situation au cours du quinquennat ?
Pouvez-vous vous exprimer sur l'amendement, adopté à l'Assemblée nationale, visant à augmenter les crédits de l'Institut national du cancer, l'INCa, de 18 millions d'euros pour renforcer la recherche sur les cancers des enfants ? Les attentes, notamment des familles, sont fortes sur le sujet.
L'objectif du PIA 3 était de faire émerger l'organisation de la recherche ; le Grand plan d'investissement, qui inclut le PIA 3, concerne la mise en place de programmes prioritaires de recherche ; quant au fonds pour l'innovation et l'industrie, il s'agit d'aller chercher, au coeur des laboratoires, les solutions aux verrous technologiques existants. La diversité des sources de financement n'est pas un problème si on ne l'associe pas à une diversité des structures bénéficiant de ces financements ou les pilotant. Or les trois plans cités ne concernent que des établissements existants. Ils n'impliquent aucune création de structures nouvelles.
Le niveau des primes dans la rémunération des cadres A de la fonction publique de la recherche et de l'enseignement supérieur est un sujet identifié, qui prendra une importance particulière à mesure que le Gouvernement avancera dans la réflexion sur la réforme des retraites. Nous allons nous y attaquer.
J'en viens à l'amendement visant à renforcer le financement des cancers de l'enfant. Il faut dissocier deux choses. Même si, quand il touche un enfant, la dimension émotionnelle est extrêmement forte, un cancer est un cancer. Il existe certes des cancers spécifiques à l'enfant mais, pour ceux-là, l'essentiel des mécanismes de base qui nous permettront de comprendre la maladie interviennent pendant l'embryogénèse, avec une part très importante des facteurs environnementaux. Autrement dit, en tant que scientifique, je ne sais distinguer ni un cancer pédiatrique d'un autre cancer, ni, parmi les cancers pédiatriques, ceux qui seront liés à des impacts environnementaux pendant le développement et ceux qui ne le seront pas.
Il me semble donc compliqué de flécher 18 millions d'euros sur des maladies que l'on qualifierait de « cancers pédiatriques » : soit le cancer entre dans la catégorie générale et l'on obtient chez les enfants 80 % de rémission, soit il s'agit d'un cancer spécifique et l'on est si loin d'en comprendre les causes qu'il faut mettre l'accent sur la recherche fondamentale. À ce titre, il me semble essentiel de soutenir la recherche en biologie du développement, en embryologie ou sur les impacts environnementaux au cours du développement.
Dans le cadre du programme Horizon Europe, nous avons décidé de mettre en avant certains objectifs, appelés « missions » de l'Europe parmi lesquels figurent la prise en charge et la réduction des cancers pédiatriques de l'enfant. Mais il s'agit bien d'allouer des financements à la recherche dans les domaines que je viens de citer, et non pas, stricto sensu, à la réduction de ces cancers.
Voilà pourquoi Agnès Buzyn et moi-même avons un peu de mal à comprendre la demande formulée.
C'est une question importante, il était nécessaire que vous répondiez en détail.
Je me félicite de vos annonces budgétaires, globalement positives. Je souhaite cependant apporter des nuances. Vous annoncez 206 millions d'euros de moyens nouveaux pour les établissements en 2019. Or des dépenses contraintes vont peser sur ces 206 millions d'euros : 50 millions d'euros seront absorbés par le glissement vieillesse technicité (GVT) de l'État, autant par la compensation de la CSG, et 30 millions d'euros par la mise en place du protocole PPCR. Ce ne sont donc que 76 millions d'euros qui pourront financer des actions d'amélioration de la qualité de l'enseignement dispensé aux étudiants. Pensez-vous que ce sera suffisant pour monter en puissance ?
Le montant total des crédits supplémentaires consacré aux universités est de 226 millions d'euros, dont 166 millions d'euros de dotations budgétaires inscrites à la MIRES, 40 millions d'euros de dégel et 20 millions d'euros de redéploiements vers les établissements d'enseignement supérieur sur l'ensemble du programme 150. Sur ces 226 millions d'euros, 123 millions correspondent au déploiement du Plan étudiants, ce qui laisse 103 millions d'euros aux établissements pour compenser au maximum le GVT, le PPCR et la CSG. Ce chiffrage, y compris les quelque 30 millions d'euros ajoutés au budget cette année pour lancer la première phase du plan Étudiants, correspond théoriquement à la création de 350 emplois mais les établissements, autonomes, décident seuls de l'emploi des fonds reçus. Nous sommes partis du principe que la totalité de l'argent avait été utilisée pour la masse salariale et que ce serait la même chose l'an prochain mais, dans la réalité, ce n'est pas le cas. Je sais que la compensation du GVT, de la CSG et du PPCR n'est pas absolue, mais c'est mieux que zéro.
Le meilleur accueil des étudiants et le paiement de tuteurs étudiants peuvent aussi être financés par la contribution vie étudiante et de campus (CVEC). Ce calcul a été fait en discutant notamment avec la Conférence des présidents d'université. Les moyens alloués sont suffisants pour poursuivre l'effort cette année et accueillir la vague supplémentaire d'étudiants l'an prochain. En outre, sur un budget de 23 milliards d'euros, il est possible de redéployer dix, quinze ou vingt millions d'euros en cours d'année pour soutenir des actions particulières.
Le montant de la CVEC avait été initialement estimé à 95 millions d'euros. Vous vous êtes engagée à en affecter chaque euro à la vie étudiante. Selon les dernières estimations, la collecte serait plutôt de l'ordre de 130 millions d'euros. Le Gouvernement peut-il s'engager à déposer au Sénat un amendement réévaluant le plafond à cette hauteur ?
La collecte a eu lieu mais nous n'en connaissons pas le montant global - c'est la raison pour laquelle il est prévu un versement en deux temps, la deuxième tranche étant versée en avril aux établissements. En effet, il faut prendre en compte les demandes de remboursement en cours de la part d'étudiants qui ont payé indûment. La somme finale devrait plutôt avoisiner les 110 millions d'euros.
M. Gérald Darmanin a pris un engagement très clair : nous dresserons le bilan de la collecte de la CVEC et l'inscrirons exactement dans un projet de loi de finances rectificative.
Dans le projet de loi de finances pour 2019, nous inscrivons ce que nous attendons des paiements effectués à la rentrée 2019, mais nous ne parviendrons jamais à être justes a priori.
Lors de son discours de la Sorbonne, le président de la République a déclaré : « En 2024, la moitié d'une classe d'âge doit avoir passé, avant ses 25 ans, au moins six mois dans un autre pays. » Or les étudiants boursiers des établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG) sont exclus de l'aide à la mobilité internationale alors que les boursiers du public y ont droit. Comment justifier cette discrimination ?
Les 30 millions d'euros que vous prévoyez pour le fonds mobilité ne seront vraisemblablement pas intégralement consommés en 2019. Pour mémoire, en 2018, alors que 7 millions d'euros étaient prévus, treize aides, en tout et pour tout, ont été attribuées, pour un montant global probablement inférieur à 10 000 euros. Ne pourrait-on pas envisager de transférer une partie de ces crédits au profit des aides à la mobilité internationale pour tous les boursiers, du public et du privé ?
Nous travaillons sur la question de l'attractivité et de la mobilité internationales, à l'échelon européen et plus largement. Nous commençons à déployer une offre de formation par des établissements français dans des pays tiers, afin d'offrir à des étudiants étrangers la qualité de notre enseignement tout en limitant les flux, et d'offrir à nos étudiants une expérience internationale et une vie culturelle différente tout en conservant la qualité des formations dispensées en France.
Je me pencherai sur le point que vous soulevez concernant la différence de traitement entre les boursiers inscrits dans les EESPIG et les autres. Ils sont néanmoins éligibles aux aides Erasmus, que nous sommes en train d'augmenter considérablement à l'échelon européen. En outre, les EESPIG peuvent aider leurs étudiants en interne.
Il est très important de ne pas préempter les aides à la mobilité pour un autre objet. Elles ont en effet mal fonctionné cette année car personne ne s'en est saisi, même si j'avais indiqué que l'on pouvait compter sur 7 millions d'euros. Chacun a attendu de voir au mois de septembre la somme sonnante et trébuchante, or il était trop tard. Cette année, elles seront mises en avant dès l'inscription sur la plate-forme Parcoursup, comme les internats. Ce sera beaucoup plus efficace.
Une politique de communication intensive sera menée en parallèle sur la qualité de l'offre de formation des établissements hors des métropoles. Les jeunes pensent que l'on ne peut étudier correctement qu'au sein des métropoles. Or, étant donnée la qualité de formation et de vie dans des villes moins grandes, on a tout intérêt à inciter les jeunes à les rejoindre. Ils y seront très bien formés, ils y trouveront un logement, ils auront une qualité de vie très différente de celle que l'on peut malheureusement parfois observer dans les métropoles. L'aide à la mobilité doit être accompagnée par cette mise en valeur.
Madame la ministre, j'ai du mal à comprendre la logique budgétaire qui vous oblige à plafonner une recette fiscale affectée, mais nous en reparlerons en séance.
Entre 2005 et aujourd'hui, le CNRS - que je connais bien - a perdu 540 postes de chercheurs. C'est l'organisme qui en a perdu le plus en France, alors qu'en même temps, il reste le premier organisme mondial en matière de publications scientifiques, derrière la Chine qui connaît un effet de rattrapage, et le 8e mondial en matière d'innovation. On ne peut pas dire qu'il n'ait pas bien fait son travail, au contraire. Les chercheurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent de nouveau subir une baisse aussi dramatique de l'encadrement. Le nombre de recrutements annoncé va mettre en difficulté les commissions de recrutement des sections du CNRS. Lorsque l'on pourvoit seulement deux postes à partir de 130 dossiers, on réalise une forme de tirage au sort à laquelle je sais, madame la ministre, vous êtes très opposée...
Je voudrais également aborder votre acceptation du recul de la production scientifique des opérateurs. Je suis surpris de constater que l'objectif final pour 2020 est inférieur à la production scientifique atteinte par les établissements en 2015. Vous n'avez pas d'autre but que d'accompagner une baisse. On peut avoir une autre ambition scientifique pour la France. Je tiens à rappeler un point de vue général qui se vérifie dans tous les pays : il existe une relation linéaire entre l'investissement public dans la recherche et les résultats d'un État en la matière. La baisse de la recherche publique affecte la totalité de la recherche, y compris privée. J'ai bien compris que votre ambition était une augmentation de la part de la recherche privée, mais vous ne l'obtiendrez pas en diminuant la part de la recherche publique, au contraire.
Enfin, un grain de sel pour mes collègues : le général de Gaulle avait octroyé aux chercheurs une prime de 28 000 anciens francs qui n'a jamais été revalorisée ; aujourd'hui, elle correspond à 2,19 euros.
Je me pencherai sur vos propos avec attention car nous ne disposons pas d'une bonne visibilité sur la ventilation des crédits nouveaux du programme 150. Pourquoi avoir supprimé l'aide à la recherche du premier emploi, l'ARPE ? La baisse importante du montant des bourses est-elle un réajustement ?
Enfin, le budget d'Universcience diminue une nouvelle fois de 1,8 %. Notre commission s'est beaucoup penchée sur la culture scientifique et technique. Je regrette cette nouvelle diminution, en espérant qu'elle ne mette pas à mal l'ensemble des missions de ce grand établissement.
Le président de la République a annoncé, en avril, qu'il souhaitait doubler le nombre d'étudiants formés à l'intelligence artificielle, particulièrement en licence et au sein des formations professionnelles courtes. Il avait précisé que les financements seraient inscrits dans le projet de loi de finances. Où en est-on ? Il a également annoncé une revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs en intelligence artificielle, leur salaire étant doublé dès le début de leur carrière. Est-ce toujours d'actualité ?
Le ministère a fixé l'objectif de plus de 80 000 logements supplémentaires pour les jeunes d'ici 2022, dont 60 000 pour les étudiants et 22 000 pour les jeunes actifs. Madame la ministre, vous aviez annoncé la création d'un observatoire national du logement étudiant d'ici la rentrée 2018. Il ne me semble pas qu'il ait été créé. Sera-ce une réalité dans le projet de loi de finances pour 2019 ?
Je me félicite de la suppression de l'Arpe par l'article 78 du projet de loi de finances pour 2019. Cette aide, accordée par le Gouvernement dans le cadre de sa négociation avec les organisations syndicales étudiantes sur la loi El Khomri, était proprement scandaleuse : il s'agissait d'une allocation versée aux jeunes sans accompagnement ni évaluation.
Les frais d'inscription diminuent cette année ; je comprends bien que vous avez pris en compte l'inflation et que la suppression de la cotisation du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) cette année est seule responsable de cette baisse. Après trois années de gel, voici que les frais d'inscription diminuent. Je propose que nous allions dans une autre direction. Il faut s'interroger sur le bon niveau de ces frais, pour donner plus de moyens à nos universités. Elles sont en difficulté par rapport à leurs homologues étrangères. J'ai parfois le sentiment qu'elles se paupérisent. La hausse des frais d'inscription, avec une hausse des bourses adaptée, était une piste intéressante.
Enfin, les droits d'inscription pour les étudiants étrangers sont un sujet très important.
Veuillez excuser M. Rapin, également rapporteur spécial de la mission, qui ne pouvait pas être présent.
Le niveau de financement des EESPIG est descendu extrêmement bas. Comment, madame la ministre, pensez-vous relever ce défi ? Ces établissements participent très largement à la résolution du problème de la formation dans l'enseignement supérieur.
Je regrette que les dépenses obligatoires, tel le GVT, ne soient pas intégrées d'entrée de jeu dans le budget.
Enfin, on susurre que 200 millions d'euros de crédits seraient annulés dans votre budget par la prochaine loi de finances rectificative. Quels sont les secteurs concernés ?
Le budget du CNRS augmente de 21 millions d'euros, soit une hausse de 0,8 %, le plafond d'emplois restant inchangé et une politique volontariste étant menée sur les doctorants.
Ce ministère est un ministère d'opérateurs. Les décisions relèvent ensuite du CNRS, en l'espèce. Je peux donner une somme qui correspond à tant d'emplois, chaque opérateur fera ce qu'il estime le plus judicieux - et ce n'est pas un problème selon moi. Il peut juger qu'il n'est pas nécessaire de recruter pour 42 années un spécialiste de telle ou telle discipline.
Un rapport de M. Adnot, justement, a démontré que l'Arpe, sans aucun accompagnement prévu, entraînait surtout des effets d'aubaine. Nous avons proposé aux associations étudiantes que les étudiants bénéficient de la Garantie jeunes, ce qui maintient une forme de financement de jeunes diplômés effectivement accompagnés et en recherche d'emploi. Les associations étudiantes ont validé le fait qu'un volet soit réservé aux étudiants tout juste diplômés afin qu'ils soient vraiment accompagnés dans la recherche d'emploi et qu'ils ne bénéficient pas simplement du maintien de leur bourse.
La question de la culture scientifique, technologique et industrielle revient de façon récurrente. Cette compétence a été transférée majoritairement aux régions par la loi NOTRe ; le reste dépend majoritairement du ministère de la culture. La part assumée par le ministère de l'enseignement supérieur n'est pas détaillée dans le PLF puisqu'elle dépend des budgets des organismes de recherche. Sur le programme 172, pour les 16 organismes de recherche qui contribuent à la culture scientifique, technologique et industrielle, le montant est en hausse de 2,5 millions d'euros. En outre, 125 millions d'euros sont financés sur l'action 13 du programme 150, « diffusion des savoirs et musées ». Dans le cadre de la loi NOTRe, ce financement doit être abondé par les budgets des régions. Je partage la conviction qu'il faut financer mais aussi structurer et valoriser ce qui existe déjà. Je surveillerai le déroulement des choses, car c'est un sujet de société, au-delà du budget.
J'en viens à l'intelligence artificielle. Le vrai problème est le très faible nombre de jeunes attirés par les carrières scientifiques. Aujourd'hui, plus de la moitié des bacheliers scientifiques ne poursuivent pas d'études supérieures scientifiques. Comment intéresser les jeunes à ces disciplines ? On s'imagine, les jeunes filles notamment, qu'un informaticien est un geek à lunettes toujours derrière son ordinateur, qui ne parle à personne. Il faut déconstruire ce cliché.
Ensuite, on voit des jeunes en école d'ingénieurs, en master ou en doctorat en informatique qui n'achèvent pas leurs études car ils sont recrutés avant. En autorisant des carrières mixtes, pour que chacun conserve l'intérêt pour la recherche académique tout en la valorisant par la création de start-ups par exemple, on aurait une chance de garder des compétences académiques suffisantes pour continuer à former les jeunes. C'est un grand enjeu car la situation est inquiétante. Une autre option consiste à aller chercher des compétences dans les pays émergents, qui forment des jeunes excellents, en augmentant l'attractivité internationale des formations et des laboratoires français. Il s'agit de penser à la façon et aux moyens de les accueillir. Ce doit faire l'objet d'un plan global.
Le chantier extrêmement important des droits d'inscription et des bourses ne doit pas être abordé par une hausse massive des frais. Dans notre modèle français d'éducation, les contribuables paient des impôts pour que leurs enfants puissent être éduqués. Nous y sommes attachés.
Nous devons plutôt réfléchir à une aide globale à l'autonomie pour les étudiants. Ce ne pourra probablement pas se faire avant 2020 car nous avons besoin de temps pour élaborer un système qui aide vraiment les étudiants qui le méritent, afin qu'ils ne soient plus obligés de travailler pour payer leurs études. On constate, petit à petit, un décrochage des classes moyennes, dont les enfants n'ont ni bourses ni aides mais qui pourtant n'ont pas assez de moyens pour cela. Si l'on place les aides directes et indirectes en ordonnée et le salaire médian des parents en abscisse, on obtient une courbe en U, or c'est dans le creux du U que se situent le plus grand nombre de familles.
Le budget des EESPIG a augmenté l'an dernier mais il avait diminué dramatiquement avant. Cinq millions d'euros avaient été ajoutés l'an dernier en gestion et nous y avons encore ajouté deux millions d'euros cette année. En outre, les EESPIG font partie des établissements qui bénéficient de la CVEC, ce qui devrait correspondre à environ trois millions d'euros de reversement direct. Cela fait une augmentation supplémentaire totale de cinq millions d'euros : nous avançons.
Julien Denormandie et moi-même, lors d'un déplacement à Aix-en-Provence fin septembre, avons mis en place l'Observatoire national du logement étudiant, qui a pour mission de construire une plateforme sur laquelle figurera, sous forme de carte interactive, l'offre de logements à destination des étudiants dans toute la France. L'idée est, en recensant les logements des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), des bailleurs sociaux et un maximum de logements privés, d'utiliser les financements des 60 000 logements là où c'est vraiment nécessaire, là où la tension sur le marché est générale.
Monsieur Adnot, j'ai tenu mes engagements budgétaires sur 2018 et il ne me paraît pas choquant, voire au contraire de bonne gestion, qu'une partie des crédits non utilisés par le MESRI soient « remis au pot » pour financer par exemple les besoins du ministère de l'intérieur pour la lutte antiterroriste. Nous sommes heureusement sortis de l'époque où, parce que les budgets étaient reconduits automatiquement d'année en année et qu'il s'agissait pour chaque ministère d'obtenir des crédits supplémentaires, on laissait tourner les moteurs pour consommer le budget essence du parc automobile ... Estimer au plus juste les besoins, agir en responsabilité et tenir les budgets, c'est ce que nous avons fait cette année, notamment en mettant des moyens supplémentaires - inédits ! - pour faire face à l'accroissement de la démographie étudiante et c'est ce que l'on continuera à faire l'année prochaine. Aussi n'ai-je pas de crainte particulière sur la capacité du ministère à respecter à nouveau ses engagements en 2019. Je n'ai pas connaissance du chiffre de 200 millions d'euros que vous citez ; je ne doute pas qu'il suscitera des discussions, voire des polémiques, mais l'essentiel me semble que le ministère tienne ses engagements à l'égard de tous ses opérateurs, que leurs missions de service public soient remplies, que leur gestion financière soit saine, et que le budget de l'État soit aussi sincère que possible et respecté en exécution.
Permettez-moi de prolonger la question de Laurent Lafon sur la formation à l'heure du numérique et la formation en intelligence artificielle à l'heure du big data. Votre constat rejoint celui que j'avais pu faire dans mon rapport sur le sujet : la situation est alarmante pour les filles - Mme Billon, présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ne me contredira pas. M. Brisson, qui a travaillé sur le métier d'enseignant, me rejoindra sur un autre point : la formation des formateurs est essentielle, c'est ce par quoi il faut commencer car, si notre corps enseignant n'est pas lui-même sensibilisé à ces questions, il lui sera difficile d'accompagner les jeunes sur les nouvelles compétences requises. Vous y travaillez, je suppose, avec Jean-Michel Blanquer.
Merci, madame la ministre, pour ces explications. Certaines études montrent que les filles s'intéressaient à l'informatique lorsque ce n'était pas encore tendance, et s'y intéressent moins depuis que ce sont des métiers très en pointe ...
Une donnée concrète pour l'illustrer. J'ai visité récemment les locaux de Qwant, dans mon agglomération : il n'y a que des jeunes hommes !
Vous avez parlé, madame la ministre, de l'expérimentation qui sera lancée en Île-de-France, dans le Grand-Est, en Bretagne et en Occitanie : combien de temps durera-t-elle ? Sera-t-elle dupliquée ? Selon quels critères ces quatre régions ont-elles été choisies ?
Je me réjouis de l'augmentation des crédits des programmes 231 et 150 mais, comme Laurent Lafon, je m'inquiète de la prolifération, dans des zones qui ne sont pas forcément tendues, de programmes privés, alimentés bien souvent par l'investissement défiscalisé, proposant des logements dans des résidences services à des prix très élevés mais à proximité des facultés de médecine ou des classes préparatoires, ce qui qui laisse peu de choix aux étudiants qui souhaitent passer le moins de temps possible dans les transports ...
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la rénovation du statut du chercheur-entrepreneur ?
Vous avez dit ne pas vouloir opposer le financement de base au financement sur projet, mais l'écosystème actuel ne facilite-t-il pas celui-ci au détriment de celui-là ?
Vous avez également parlé du numerus clausus et de la diversification du recrutement des futurs médecins. Que comptez-vous faire afin d'y parvenir ? La réforme mettra-t-elle un coup d'arrêt aux prépas privées dans lesquelles les étudiants de première année sont contraints de s'inscrire ?
En dépit de vos propos, madame la ministre, les moyens budgétaires de l'enseignement supérieur nous inquiètent par leur insuffisance. Ils nous inquiètent aussi au regard du flou de certaines lignes budgétaires, des positions prises par la conférence des présidents d'université, mais aussi au regard de vos engagements puisque vous aviez vous-même annoncé un milliard d'euros sur le quinquennat. Or nous n'y sommes pas du tout, alors que nous devons accueillir un grand nombre de nouveaux étudiants - ce qui est bien sûr en soi une excellente nouvelle pour notre pays.
Vous avez dit que ce budget pourrait créer 350 emplois, mais que la décision en revenait aux établissements désormais autonomes - et tenu à peu près les mêmes propos à l'égard du CNRS. Or ces établissements subissent des contraintes, ce dont leurs moyens doivent tenir compte ... De plus, je crains la perte de sens qu'emporte une telle logique : l'État n'est pas qu'un pourvoyeur de crédits - au demeurant insuffisants, je le redis -, il doit aussi porter une stratégie, une volonté, une vision, et une vision que l'on ne partage pas est toujours préférable à une absence de vision ! Bref, il ne s'agit pas seulement d'accorder des crédits à des opérateurs qui en feront ce qu'ils voudront : la France, la République, l'État, a un rôle de stratège à jouer !
Vous avez dit, madame la ministre, que les effectifs des étudiants des formations scientifiques techniques s'effondraient, et lié ce constat au baccalauréat scientifique. J'ai moi-même souffert de constater la forte présence de bacheliers scientifiques dans des classes où ils n'avaient pas grand-chose à faire, en hypokhâgne et en khâgne - où on ne trouve pratiquement que des filles, par ailleurs. C'est une vraie cause nationale, madame la ministre. Or on ne voit pas dans la réforme du baccalauréat de modularité de nature à empêcher que se reconstitue une filière scientifique, dont tout le monde pense qu'elle doit disparaître. Dans les petits lycées, la limitation des choix de spécialités et la pesanteur de notre société contribueront à recréer un bac scientifique. La pression sociale sur ce sujet est très forte : le président de la République doit faire preuve de courage également en s'attaquant à ce monument national pour redresser nos formations scientifiques et techniques.
La part des filles dans ces formations est une autre cause nationale. L'éducation nationale a beaucoup fait pour rééquilibrer la part des garçons et des filles en section scientifique au lycée : comment expliquer alors qu'elles soient si peu nombreuses dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur et comment y remédier ?
Vous m'interrogez, madame Brulin, sur le sens de notre politique. Dire que l'on porte 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac mais ne rien faire pour accueillir les étudiants issus du pic démographique, prévisible, de 2001, ou se réjouir d'un taux de réussite de 30 % en première année car il garantirait des amphithéâtres moins remplis en deuxième année, était-ce conduire une politique sensée ? Donner du sens à la politique d'enseignement supérieur, c'est travailler à la démocratisation réelle du système davantage que faire de grandes déclarations d'égalité ; je crois davantage à l'équité, au fait de donner à chacun ce dont il a besoin pour réussir, qu'à une égalité formelle qui ne fait que reproduire les plus grandes inégalités. Je crois avoir démontré que notre politique - que vous avez certes le droit de ne pas soutenir - visait ainsi l'émancipation des étudiants, qu'il faut considérer comme ils sont. C'était en tout cas l'objet de la loi Orientation et réussite des étudiants, qui a recueilli l'accord de l'immense majorité des enseignants du secondaire et du supérieur, excédés de voir tant de jeunes aller droit dans le mur sans que personne ne s'en soucie le moins du monde.
Nous avons déjà débloqué 483 millions d'euros à cette fin : 35 millions d'euros en 2018, auxquels s'ajoutent 123 millions prévus en 2019 et 325 millions d'euros consacrés aux nouveaux cursus : c'est la somme la plus importante jamais allouée au premier cycle universitaire. Avec 483 millions d'euros en à peine treize mois, je pense que nous tiendrons notre engagement de consacrer à cette politique un milliard d'euros sur le quinquennat.
Madame Billon, l'expérimentation régionale dont vous parlez vise à redonner de la noblesse à tous les métiers et à tous les niveaux de qualifications. Nous avons trop souvent tendance à survaloriser le conceptuel au détriment du professionnel. Les critères de choix des régions, certes discutables, procèdent des échanges que j'ai eus avec certains de leurs présidents. L'Occitanie souffre d'être partagée entre grandes métropoles attractives et villes moyennes dont les formations s'affaiblissent : nous travaillons avec sa présidente à identifier les villes d'équilibre dans lesquelles nous pourrions développer une offre de formation de qualité, en présentiel ou en numérique, pour permettre aux étudiants, à tout le moins, de démarrer un premier cycle - qu'ils poursuivront le cas échéant ailleurs. Le cas de la Bretagne et du Grand-Est est différent : la réussite au baccalauréat y est forte, mais le taux de poursuite d'études supérieures inférieur à la moyenne nationale. Nous regardons par conséquent les bassins d'emplois où nous pourrions créer des filières correspondant aux besoins. En Bretagne par exemple, les métiers de la mer, l'accastillage, peuvent justifier des formations pré- ou post-bac ou des filières d'apprentissage. En Île-de-France enfin, formidable aimant, bassin dans lequel les besoins d'emplois et la demande de formation restent considérables, nous cherchons à mettre en place les formations idoines.
S'agissant du statut de chercheur-entrepreneur, nous souhaitons aller plus loin que la loi Allègre, qui avait autorisé les chercheurs à consacrer 20 % de leur temps de travail à leur entreprise : nous souhaitons porter cette part à 50 %, car il est regrettable que ceux qui produisent de la connaissance et souhaitent en faire quelque chose doivent abandonner complètement, pour ce faire, la recherche académique.
Les médecins sont très formatés et la médecine est de plus en plus technique et technologique. Agnès Buzyn et moi-même sommes convaincues que nous avons par conséquent besoin d'équipes pluridisciplinaires. Or l'organisation des études de médecine consiste essentiellement, pour l'heure, à mettre de bons lycéens sous une pression considérable qui les conduit souvent à l'échec. On les oblige à supporter ce système pendant deux à trois ans avant d'obtenir leur première année, puis on forme ceux qui auront résisté dans les gros centres hospitaliers universitaires (CHU) des métropoles disposant de plateaux techniques de pointe, avant de leur demander de retourner faire de la médecine générale là où les besoins sont les plus criants ... Comment s'étonner ensuite qu'ils soient formatés et que le système ne fonctionne pas ?
Nous pensons qu'un système de majeures et de mineures serait intéressant, que l'entrée dans les études médicales et paramédicales ne doit pas être consécutive au baccalauréat mais à une première étape de formation qui peut être composée de sciences comme d'humanités. Nous pensons encore que la formation en CHU ne s'impose pas nécessairement avant l'entrée dans une phase déterminée d'apprentissage de la médecine moderne, et que les types d'exercice possibles de la médecine en cours de cursus gagneraient à être diversifiés. Nous savons qu'un jeune parti de chez lui plus de cinq ans n'y revient pas ; or les études de médecine durent quatorze ans ! Bref, nous devons recruter des profils de jeunes médecins plus diversifiés, les former à la technique - pour allier santé et intelligence artificielle, par exemple - tout en conservant à la médecine sa dimension humaniste.
La réforme du bac cherche à sortir de la logique de filière d'excellence dans laquelle sont poussés même ceux qui n'ont pas envie de la suivre. La difficulté essentielle est de changer l'état d'esprit des acteurs du système, c'est-à-dire de faire en sorte que les gens cessent de se demander ce qui, dans le nouveau bac, sera l'équivalent de la filière scientifique de naguère... Pourquoi ne pas imaginer que les étudiants qui étaient auparavant considérés comme les meilleurs parce que venant de la filière scientifique auront envie d'avoir une double culture puisant aux sciences et aux humanités ? Voilà un beau défi.
Le programme « vie étudiante » bénéficie de plus de 7 millions d'euros supplémentaires : il n'y a donc pas de diminution. De plus, ces crédits correspondent aux besoins constatés.
Merci, madame la ministre. Nous nous reverrons prochainement dans l'hémicycle pour débattre de ce budget.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.