D'emblée, je suis dans une disposition plutôt favorable à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, en tout cas à court terme, dans cette période charnière où nous nous trouvons, entre les déficits importants du passé et un avenir qui s'annonce un peu meilleur, sous réserve des hypothèses macro-économiques retenues. La Cour des comptes en doute, mais nous ne sommes pas assurés du pire. Sous réserve des appréciations de fond de la commission des affaires sociales, votre rapporteur pour avis est donc, je le répète, plutôt bien disposé.
Le Gouvernement a revu à la baisse ses ambitions en matière de redressement des comptes publics, celui-ci reposant désormais essentiellement sur la maîtrise des dépenses publiques. Or la sécurité sociale représente environ la moitié de ces dépenses. En retenant les hypothèses d'évolution tendancielle de la dépense publique de la Cour des comptes (1,6 % dont 1,7 % pour la sphère sociale), le respect de la trajectoire de dépense du Gouvernement implique la mise en oeuvre l'an prochain de près de 14 milliards d'euros d'économies, dont la moitié pour la sphère sociale.
La part des économies portées par les administrations de sécurité sociale serait donc en ligne avec leur poids dans la dépense publique. Dans le champ des organismes de sécurité sociale, l'année 2019 marquerait le retour à l'équilibre après 18 années de déficit. L'ensemble des régimes obligatoires de base et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) dégageraient un excédent de 0,4 milliard d'euros, à l'issue d'une consolidation de l'ordre d'un milliard d'euros par rapport à 2018.
Cette consolidation est de plus faible ampleur que les précédentes, puisque le déficit de la sécurité sociale a diminué de 2,2 milliards d'euros en 2017 et de 3,4 milliards d'euros en 2018.
Le régime général est excédentaire depuis 2018. En 2019, cet excédent doublerait pour atteindre 2,5 milliards d'euros. Ce n'est pas irréaliste, mais optimiste.
Je souligne deux points de vigilance. En premier lieu, l'amélioration des soldes ne doit masquer ni la dégradation de la branche vieillesse, qui voit son excédent diminuer, ni le déficit persistant de la branche maladie, qui ne se réduirait que de 400 millions d'euros entre 2018 et 2019.
En second lieu, la réduction des déficits ne repose pas sur une diminution des dépenses, puisqu'en 2018, celles-ci augmentent de 2,4 %, dépassant de 900 millions d'euros le plafond prévu en loi de financement. Le redressement des comptes résulte donc entièrement de la forte progression des recettes, de l'ordre de 3,5 % en 2018. La Cour des comptes le souligne, l'amélioration du solde de la sécurité sociale est avant tout conjoncturelle.
En effet, le recul de l'âge légal de la retraite mis en oeuvre par la réforme de 2010 ayant cessé de produire ses effets, les dépenses de la branche vieillesse devraient fortement augmenter dans les années à venir. De même, les dépenses de la branche maladie, notamment celles des soins de ville, demeurent extrêmement dynamiques.
En 2019, avant les mesures prévues par ce projet, cette hausse des dépenses entrainerait une dégradation de 3 milliards d'euros du solde des régimes de base et du FSV. Le solde tendanciel s'établirait donc à - 3,7 milliards d'euros. Pour ramener à l'équilibre les comptes de la sécurité sociale, le PLFSS prévoit 6,1 milliards d'économies, dont les deux tiers, soit 3,8 milliards d'euros, proviendraient de l'Ondam fixé à 2,5 %. La Cour des comptes a déjà souligné que cet objectif serait « difficile à tenir », puisque certaines mesures reconduisent ou majorent des économies prévues pour 2017 qui n'ont jamais été réalisées et qu'en parallèle les dépenses nouvelles seront très dynamiques, avec notamment la mise en oeuvre du reste à charge « zéro ».
Plus du tiers des économies restantes, soit 2,2 milliards d'euros, résulterait du quasi-gel des prestations sociales sur les deux prochaines années. La commission des affaires sociales devrait se saisir de ce sujet. Ce coup de rabot généralisé permettrait de maitriser artificiellement et temporairement la progression des dépenses d'assurance vieillesse au prix d'une diminution du pouvoir d'achat des familles et des retraités, dénoncée sur tous les bancs. Pour une personne seule percevant une pension de retraite mensuelle de 1 330 euros, la désindexation entraînerait une perte de 192 euros par an.
Cette mesure s'ajoute à la hausse du taux de CSG votée l'an dernier et à laquelle je m'étais vigoureusement opposée. Selon les dernières estimations, près de 7 millions de ménages, représentant un peu plus de 10 millions de retraités, seraient perdants du fait de la hausse de CSG sur les revenus issus de leur pension. Pour le même retraité percevant une pension mensuelle de 1 330 euros, la hausse de la CSG entraînerait une perte de 288 euros par an.
Le Gouvernement, conscient des effets délétères de cette mesure, prévoit, dans ce projet, de l'atténuer, en lissant les effets de la hausse du taux de CSG sur les retraités. Ainsi, seuls les retraités dont le revenu fiscal de référence dépasse le seuil d'assujettissement durant deux années consécutives seront assujettis à la CSG à taux normal. Si cette démarche va dans le bon sens, elle ne devrait concerner que 350 000 foyers, soit seulement 3 % des retraités touchés par la hausse de la CSG. Le redressement des comptes de la sécurité sociale est un objectif louable, qui doit être accompli par le biais de réformes d'envergure, non de coups de rabots ponctuels. Pour l'instant, ce n'est pas ce que nous voyons.
Telle que votée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en réduction de cotisations sociales employeur prévoyait, à compter du 1er janvier 2019, un allègement des cotisations d'assurance maladie et un renforcement des allègements généraux.
Alors que la réduction des cotisations patronales maladie entrera en vigueur au 1er janvier 2019, le Gouvernement a fait le choix de retarder au 1er octobre 2019 le renforcement des allègements généraux portant sur les contributions d'assurance chômage. Ce décalage entraînerait une économie de 2,3 milliards d'euros pour le budget de l'État.
L'entrée en vigueur des allègements généraux rend moins attractifs plusieurs dispositifs spécifiques d'exonérations. Le PLFSS supprime ou modifie un certain nombre de dispositifs, dont celui applicable aux travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE).
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale instaure une exonération totale de cotisations sociales salariales vieillesse sur les heures supplémentaires et complémentaires.
La mesure correspondrait à une exonération de 11,31 points de cotisations, représentant un gain moyen de pouvoir d'achat de 200 euros par an pour les salariés.
Je salue l'adoption de mesures destinées à rendre le travail plus rémunérateur. Je regrette que le dispositif retenu se limite à une désocialisation partielle des heures supplémentaires, alors que la défiscalisation totale des heures supplémentaires a fait la preuve de son efficacité. Attendons le projet de loi de finances (PLF) !
J'en viens à l'avenir des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Le projet tire les conséquences du rapport de MM. Charpy et Dubertret sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, et esquisse plusieurs pistes quant au devenir des excédents dégagés par la sécurité sociale.
Ces excédents futurs permettraient de résorber définitivement la dette sociale, somme de la dette portée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et des déficits cumulés du régime général, conservés par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Il y a un débat entre l'ancien directeur de l'Acoss et la Cour des comptes, qui divergent sur l'estimation de la dette résiduelle. En tout cas, l'arbitrage rendu est très clair : 15 milliards d'euros seront transférés.
Le résidu de dette non transféré à la Cades serait amorti par les excédents futurs de la sécurité sociale : c'est assez optimiste, mais il faut y croire ! Les nouvelles relations financières entre l'État et la sécurité sociale s'articuleraient autour du principe de solidarité financière entre les deux sphères. Cela aurait deux conséquences majeures.
En premier lieu, cette solidarité financière impliquerait un partage du coût des allègements de charges entre l'État et la sécurité sociale, du jamais vu ! Ainsi, les baisses de prélèvements obligatoires décidées en lois financières ne donneront pas lieu à compensation, ce qui représente une perte de 2 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2019.
En second lieu, conformément aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, les excédents de la sécurité sociale auraient vocation à être restitués à l'État. Cette restitution serait réalisée dans le cadre d'une réduction progressive de la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale. Ces excédents demeurent très hypothétiques. On entre dans une autre période de financement de la sécurité sociale. S'ils étaient inférieurs à 13,4 milliards d'euros en 2022, les transferts en faveur de l'État se traduiraient par de nouveaux déficits pour la sécurité sociale.
Selon toute vraisemblance, le Gouvernement devra renoncer à l'un de ses objectifs : le partage du coût des allègements généraux avec la sécurité sociale, le transfert d'une partie des excédents dégagés par les régimes obligatoires de base à l'État par la minoration de la fraction de TVA, l'amortissement concomitant de la dette portée par la Cades et de celle détenue par l'Acoss.
Si la courbe d'amortissement progressif de la dette se poursuit, la Cades se retrouvera en 2024 avec une « cagnotte ». Ne soyons pas naïfs, mais regardons la bouteille à moitié pleine ! Souvenons-nous des grands doutes qui ont accompagné la mise en place de la Cades. Nous voyons aujourd'hui que cela ne s'est pas si mal passé ! Que faire ensuite ? Structurer une autre opération d'amortissement de dette ? Une autre solution sera-t-elle trouvée ? La question se posera en 2024...
Sous réserve de l'adoption des amendements que je vais présenter dans un instant, et sous réserve des initiatives que prendra la commission des affaires sociales, je vous propose de donner un avis favorable aux articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 dont la commission des finances s'est saisie.