Intervention de Frédérique Espagnac

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 novembre 2018 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « économie » et ccf « prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » et article 85 - examen du rapport spécial, amendement 1

Photo de Frédérique EspagnacFrédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie » :

La mission « Économie » porte sur l'ensemble des dispositifs en faveur des entreprises, notamment des PME dans les secteurs de l'artisanat, du commerce et de l'industrie. Elle porte aussi sur les crédits des administrations, autorités administratives indépendantes et opérateurs chargés de la mise en oeuvre de ces politiques, ainsi que ceux de l'Insee et des services économiques du Trésor à l'étranger.

Le budget 2019 est en forte baisse. Les crédits diminuent de 5,2 %, soit 98 millions d'euros, pour s'établir à 1,8 milliard d'euros au total. Il faut distinguer ce qui relève des dispositifs de ce qui relève des acteurs. Les dépenses de fonctionnement baissent de 7 millions d'euros, ce qui est trop peu au regard des marges existant en matière d'immobilier et d'optimisation de la fonction achats.

La plus grande partie de l'effort repose sur les dispositifs qui prennent la forme de crédits d'intervention inscrits sur le programme 134, dont la baisse atteint 18 % en un an, soit 63 millions d'euros. Entre 2014 et 2019, le montant total des dispositifs d'intervention a été considérablement réduit, passant de 235 millions d'euros en 2014 à 65 millions d'euros en 2019, soit une baisse de 73 %.

Cette diminution est considérable. Elle correspond à un mouvement de rationalisation progressive des instruments de soutien de l'État aux TPE/PME, qui sont multiples : aides directes ou indirectes, prêts, garanties, actions collectives de formation, de promotion ou de mutualisation des moyens à l'échelle d'une filière. Ils portent sur des secteurs très divers, allant de la petite industrie aux métiers d'arts, en passant par les commerces de centre-ville, les services à la personne ou encore les jeunes PME innovantes. Le plus souvent, il s'agit d'aides indirectes versées à des intermédiaires.

Certes, il était nécessaire de mettre de l'ordre. L'accumulation progressive de ces dispositifs, leur sédimentation, leur hétérogénéité et leur gestion « en silo » avaient fini par les rendre illisibles et impropres à incarner les priorités politiques d'un Gouvernement, quel qu'il soit. Toutefois, le budget qui nous est soumis appelle quelques réserves.

Premièrement, la « rationalisation » affichée se résume trop souvent à une logique de « rabot » année après année. Or, par définition, un coup de rabot ne fait pas une politique. En fin de compte, les réductions proposées et le statu quo s'exposent aux mêmes critiques : ils ne permettent pas de distinguer entre les dispositifs utiles et les dispositifs qui pourraient être supprimés.

Deuxièmement, la logique sous-jacente, quoique non explicite, est celle d'un désengagement progressif de l'État en matière de soutien aux petites entreprises, aux commerçants, aux artisans. Le message est le suivant : c'est le rôle des collectivités locales, et singulièrement celui des régions depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe). Or, dans un contexte budgétaire contraint pour les collectivités, le maintien de dispositifs ponctuels, et au demeurant très modestes, constitue une forme de soutien complémentaire, et pour ainsi dire de « plan B » lorsqu'il n'existe pas de « plan A » à l'échelon local. Ce n'est pas grand-chose pour l'État, mais c'est beaucoup pour les territoires.

L'exemple le plus significatif est celui du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC : après avoir vu sa dotation passer de 78 millions d'euros en 2010 à seulement 16 millions d'euros en 2018, et le nombre d'opérations financées d'environ un millier à seulement 114, le FISAC sera placé en « gestion extinctive » à partir de 2019. En clair, il est supprimé, seuls 6,1 millions étant ouverts en crédits de paiement pour financer le stock d'opérations déjà décidées.

C'est d'abord surprenant : certes, le Gouvernement n'a jamais eu l'intention d'inverser la tendance, mais il présentait encore au début de l'année le FISAC comme un instrument appelé à jouer un rôle important pour la cohésion des territoires. C'est surtout regrettable et incompréhensible : nombre de petits commerces de proximité ont été sauvés grâce au FISAC. À cela, le Gouvernement répond par le programme « Action coeur de ville », lancé début 2018. Mais ce programme, dont les contours sont encore flous, est conçu pour des villes moyennes - 222 communes ont été sélectionnées -, alors que 64 % des subventions accordées par le FISAC le sont pour des opérations rurales. La cible n'est donc pas la même.

La situation est d'autant plus préoccupante que de nombreuses communes rurales ont vu leurs dotations baisser du fait de la recomposition de la carte intercommunale, ce qui limite leur capacité d'intervention. Les fusions ont malheureusement aussi sorti un certain nombre de communes des zones de revitalisation rurale (ZRR), privant ainsi les petites entreprises d'avantages fiscaux.

En outre, la fin du FISAC entraînerait ipso facto la fin de dispositif du soutien aux stations-service de proximité, pour lequel nous étions nombreux à nous être mobilisés l'année dernière. Après la suppression du Comité professionnel de distribution des carburants (CPDC), le Gouvernement s'était engagé à inclure les stations-service dans le droit commun du FISAC. Que signifie aujourd'hui cette promesse ? Voilà dix ans, il y avait encore 33 000 stations-service de proximité, contre 5 000 aujourd'hui.

Nous vous proposons donc un amendement n° 1 tendant à rétablir le FISAC, en doublant sa dotation par rapport à l'année dernière, à hauteur de 30 millions d'euros. Sur ce montant, 5 millions d'euros seraient réservés aux stations-service de proximité. Bien entendu, cela ne signifie nullement qu'il ne faille pas faire évoluer les critères du FISAC pour éviter les risques de saupoudrage. Il pourrait être ciblé, par exemple, sur les zones rurales.

J'en viens maintenant aux acteurs. Là aussi, l'effort est important, voire inédit : 264 postes seront supprimés en 2019 sur le périmètre de la mission, dans le cadre d'un « recentrage » sur certaines actions prioritaires. La direction générale des entreprises (DGE) se concentrera sur l'accompagnement des entreprises en difficulté, les filières stratégiques et l'innovation. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) préservera ses missions en matière de sécurité sanitaire. La direction générale du Trésor poursuivra la rationalisation de son réseau à l'étranger, dont les effectifs ont déjà été réduits d'un quart en dix ans.

En fait, il apparaît que le « recentrage » des missions est surtout un « resserrement » des réseaux, notamment dans les territoires avec une suppression importante d'effectifs dans les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). On ne peut que souscrire à la nécessité de mieux cibler les missions de l'État, de supprimer les doublons avec les collectivités et de réaliser des gains d'efficience. Mais, là encore, il semble que la contrainte budgétaire précède la vision stratégique.

La remarque vaut aussi pour les chambres de commerce et d'industrie (CCI). La taxe qui leur est affectée devrait connaître une nouvelle baisse de 100 millions d'euros cette année, après plusieurs diminutions successives, aboutissant à une division par deux de leur ressource fiscale depuis 2012. La « revue » de leurs missions est toujours en cours. Mais elles doivent déjà se préparer à supprimer 2 000 postes et à mettre fin à de nombreuses actions et investissements. À tout le moins pourrait-on reporter la baisse de 100 millions d'euros à l'année prochaine.

Je terminerai par quelques mots sur le plan France Très haut débit. Le programme 343 porte sur la participation de l'État, soit au total 3,3 milliards d'euros, afin d'assurer la couverture de 100 % du territoire d'ici à 2022. Sur le plan budgétaire, il n'y a rien à redire : les crédits sont là, l'échéancier suit son cours, et des crédits de paiement sont pour la première fois prévus en 2019. Sur le terrain, en revanche, les choses sont un peu différentes. Seuls 10 % des locaux situés dans la zone d'initiative publique sont, à ce jour, éligibles à la fibre optique, contre 56 % des locaux de la zone d'initiative privée, plus dense, donc plus rentable. Les causes de ces retards peuvent se trouver à toutes les phases d'un projet : constitution du dossier et sécurisation des financements, instruction par les services de l'État, phase d'études trop longue, pénurie de fibre optique. Surtout, il semble que les collectivités, disposant de moyens limités, ont dû faire face à d'importantes difficultés de pilotage.

Je me limiterai à trois remarques. D'abord, à court terme, la possibilité d'obtenir de la part des opérateurs des engagements contraignants, y compris dans la zone d'initiative publique, doit être saluée. Il faut maintenant surveiller si les promesses sont tenues, et nous avons constaté que les outils manquaient à ce stade.

Ensuite, et toujours à court terme, la priorité doit être accordée à la couverture d'un maximum de locaux, plutôt qu'au déploiement de la technologie la plus performante. Là encore, on peut se féliciter de la création d'un « guichet cohésion numérique » doté de 100 millions d'euros, pour financer des technologies alternatives dans les zones où la fibre optique ne peut pas être déployée. Il conviendra toutefois d'être très vigilant : la subvention de 150 euros par équipement, sous forme de préfinancement de l'abonnement, ne s'accompagne d'aucun engagement des opérateurs à maintenir un tarif attractif au-delà d'un certain délai.

Enfin, il faut dès aujourd'hui se poser la question de l'après-2022 : comment financer la couverture du territoire en 100 % fibre optique, et non pas seulement en 100 % très haut débit ? Il ressort des entretiens que nous avons menés que la date de 2025 est une échéance réaliste. Le regain de l'initiative privée devrait permettre de limiter la participation de l'État à environ un milliard d'euros. Mais selon quelles modalités ? Avec quels objectifs et quelle gouvernance ? Ces questions sont ouvertes, et il faudra très vite y répondre.

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