Le budget 2019 constitue la première année de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025, adoptée il y a quelques mois. Force est de constater que le montant des crédits de paiement, hors pensions, inscrits dans ce budget, 37,9 milliards d'euros, en hausse de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2018, est conforme à la trajectoire fixée dans la LPM, dont je ne détaillerai pas ici les limites. Souvenons-nous simplement que l'effort prévu entre 2019 et 2023, qui est réel, est inégalement réparti, la marche la plus importante ne devant être gravie qu'en 2023, soit au début du prochain quinquennat et de la prochaine mandature !
Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir, l'effort prévu pour 2019 est bel et bien au rendez-vous et l'augmentation des crédits est importante. Dès lors, ce budget est-il réellement « à hauteur d'homme », selon l'expression utilisée par la ministre ?
S'agissant des effectifs, les engagements sont tenus, avec la création de 450 emplois. La répartition de ces postes est également conforme aux dispositions de la LPM, la majorité d'entre eux étant consacrée au renseignement et à la cyberdéfense.
Face à l'enjeu de fidélisation du personnel et d'attractivité des métiers de la défense, plusieurs réponses sont apportées dans ce budget.
Des mesures de revalorisation salariale seront prises avec notamment la création d'une prime de lien au service, destinée à renforcer l'attractivité de certains métiers tels que celui de praticien du service de santé des armées, ou encore la reprise du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations.
Si la question salariale est évidemment clé - 53 % des militaires estiment que leur engagement n'est pas suffisamment rémunéré -, elle ne constitue cependant pas l'unique réponse aux enjeux que je viens d'évoquer.
À cet égard, je ne peux que me féliciter de la montée en puissance du plan famille, lancé en octobre 2017 et qui sera doté de 57 millions d'euros en 2019 contre 22,5 millions d'euros en 2018. Ce plan, qui comporte 46 actions dans les domaines de l'hébergement, de la mobilité ou encore dans le champ du social, a suscité une véritable attente auprès des militaires. Il convient par conséquent que ses crédits soient effectivement sanctuarisés et que toutes les mesures puissent être menées à leur terme.
J'ajoute qu'alors que le plan famille fait de la question de l'amélioration des conditions de vie de nos militaires une priorité, il me semblerait paradoxal de poursuivre le projet de cession du Val-de-Grâce, dernière emprise parisienne à accueillir des militaires, qui contraindrait le ministère à héberger ses soldats hors de Paris, ce qui pose un enjeu majeur en termes de sécurité et de transport.
Les mesures que je viens de vous présenter, qui sont évidemment bienvenues, sont-elles suffisantes ? Probablement pas, si j'en crois l'incapacité du ministère à consommer l'intégralité de ses crédits de personnel. La sous-exécution des crédits du titre 2 devrait atteindre 155 millions d'euros en 2018. Cette situation préoccupante s'explique à la fois par un taux de non-renouvellement des contrats élevé et par une difficulté du ministère à recruter dans certains métiers.
Dans le rapport sur le parc immobilier des armées que j'ai établi en 2017, je faisais le constat d'une dégradation progressive de l'état des infrastructures de la défense et, en particulier, de celles du quotidien dédiées à l'hébergement, à la restauration ou à l'entraînement, la priorité étant accordée à l'accompagnement des grands programmes d'armement.
En 2019, les crédits consacrés à la maintenance progresseront de 7 % en autorisations d'engagement (AE) et de 12 % en crédits de paiement (CP) et les dépenses en faveur des logements et des établissements sociaux et médico-sociaux atteindront plus de 76 millions d'euros en AE et près de 74 millions d'euros en CP.
Sur la durée de la programmation, 13,5 milliards d'euros devraient être consacrés aux infrastructures. C'est un effort significatif. Pour autant, le ministère des armées estime à 1,5 milliard d'euros les besoins non satisfaits. Ce sujet constitue donc un point de vigilance auquel nous devrons être attentifs dans les années à venir.
S'agissant de l'entretien programmé des matériels, là encore, une hausse des crédits est prévue en 2019. En particulier, les AE progresseront de plus de 4,6 milliards d'euros par rapport à 2018 afin de permettre, notamment dans le cadre de la réforme mise en oeuvre cette année du maintien en condition opérationnelle aéronautique, la passation de contrats pluriannuels globaux. Cet effort mettra cependant du temps avant de porter ses fruits.
Enfin, ce budget permet-il de préparer l'avenir ? Il m'est difficile de me prononcer sur la conformité du calendrier de commandes et de livraisons par rapport aux objectifs de la LPM, dans la mesure où elle ne fixait que des objectifs finaux, sans les décliner par année... Pour autant, au cours des auditions que j'ai menées, il m'a été indiqué que les commandes et livraisons prévues en 2019 devraient répondre aux besoins de nos forces.
Au total, le budget qui nous est présenté m'apparaît plutôt positif et conforme aux engagements pris. Néanmoins, cette entrée en LPM est hypothéquée par la fin de gestion 2018, qui, pour reprendre expression de l'un de mes interlocuteurs, en constitue l'antichambre.
Or le projet de loi de finances rectificative pour 2018 déposé hier à l'Assemblée nationale est pour le moins inquiétant. Sur un montant total de surcoûts des opérations extérieures et intérieures s'élevant à près de 1,4 milliard d'euros, les restes à financer atteignent 580 millions d'euros et, à l'exception d'un montant de 40 millions d'euros de remboursements en provenance de l'ONU, il est prévu que l'intégralité de ce surcoût soit financée sous enveloppe par le ministère des armées. Ce serait la première fois depuis plusieurs années que le ministère devrait prendre en charge seul, sans solidarité interministérielle, ce surcoût, alors même que l'actuelle LPM fixe un principe très clair de répartition entre les différentes missions du budget de l'État.
Le projet de loi de finances rectificative prévoit ainsi une ouverture de plus de 400 millions d'euros sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » entièrement gagée par des annulations sur les autres programmes de la mission. En particulier, le programme 146 « Équipement des forces » sera fortement mis à contribution, à hauteur de 319 millions d'euros. Le reste sera financé par le titre 2, en lien avec les difficultés de recrutement que j'évoquais tout à l'heure.
En 2017-2018, nous avons déjà connu un épisode de ce type : on nous avait dit que l'annulation de crédits de 850 millions d'euros décidée en 2017 serait compensée en 2018.
À cet instant, trois scénarios se présentent à nous. Si les 250 millions d'euros encore gelés étaient in fine annulés, la bonne application de la LPM serait compromise. En effet, le manque à gagner atteindrait plus de 800 millions d'euros, ce qui remettrait fondamentalement en cause la parole donnée et la possibilité de respecter la LPM votée par le Parlement. Dans ce cas-là, je serais amené à vous proposer de rejeter les crédits de la mission. Si les crédits encore en réserve devaient être dégelés, nous limiterions les « dégâts », mais l'effort prévu par le budget 2019 serait amoindri. Dans cette hypothèse, je vous proposerais l'abstention. Enfin, si par extraordinaire une ouverture de crédits à venir, voire une minoration du montant de l'annulation, devait intervenir dès le stade de l'examen du projet de loi de finances rectificative, ma position pourrait être appelée à évoluer.
Devant ces incertitudes, je vous propose de différer notre vote sur les crédits de la mission « Défense » jusqu'à la réunion d'examen définitif des missions. Nous avons besoin de davantage d'informations et de garanties.