Émile Reymond fut jusqu’à son dernier jour un homme passionné, qui se voua à de multiples engagements, toujours au service de l’intérêt général, comme médecin, comme élu, comme aviateur, comme militaire. Ayons aussi à l’esprit son engagement républicain et social, qui a marqué toute sa vie.
Né le 9 avril 1865 à Tarbes, fils de Francisque Reymond, député puis sénateur de la Loire, Émile Reymond a « fait ses humanités » au lycée de Versailles, puis aux lycées Condorcet et Henri-IV, à Paris. Il poursuivit ensuite l’étude des mathématiques et opta finalement pour la faculté de médecine de Paris.
Ce fut d’abord un grand chirurgien, dans ses fonctions à l’hôpital de Sèvres puis, à partir de 1903, à la « Maison départementale de Nanterre », où son service fut l’un des plus importants de ce que l’on appelait la région parisienne.
Élu local, il devint conseiller général du canton de Boën et présida le conseil général de la Loire, puis il succéda en 1905 à son père, récemment décédé, comme sénateur de la Loire, département d’élection de nos collègues Bernard Bonnne, Cécile Cukierman, Bernard Fournier et Jean-Claude Tissot. Réélu sénateur en 1906, il exerça les fonctions de secrétaire du Sénat à partir de 1912.
Au Sénat, c’est tout naturellement qu’il mit à profit son expérience et sa compétence de médecin pour intervenir dans les différents débats concernant la santé publique.
Émile Reymond fut un passionné d’aéronautique. Il avait obtenu son brevet de pilote en 1910. Il fit de nombreuses randonnées en avion en France, ainsi qu’une exploration aérienne du Sahara.
Cette passion pour l’aéronautique se concrétisa par sa participation au groupe de l’aviation du Sénat, en tant que vice-président, au Comité national de l’aviation militaire et au Conseil supérieur de l’aérostation militaire. Elle le conduisit surtout à jouer un rôle majeur dans le développement de l’aviation militaire, dont il pressentait l’importance potentielle pour la défense nationale.
Ainsi, il lançait depuis la tribune de notre hémicycle des « appels pressants » et adressait des « sommations impérieuses » « aux hommes des bureaux et à leurs hésitations temporisatrices ». Il parlait naturellement de défense.
Les efforts d’Émile Reymond débouchèrent sur la création d’une direction de l’aéronautique au ministère de la guerre, au sujet de laquelle il présenta, comme rapporteur, l’avis favorable de la commission sénatoriale de l’armée en 1913.
Lorsque les hostilités éclatèrent, il choisit de servir en première ligne comme observateur en aéroplane dans une escadrille de l’armée de l’Est, plutôt que comme chirurgien à l’arrière. La lecture de ses carnets de guerre montre qu’Émile Reymond rongeait souvent son frein lorsqu’il était confronté aux ordres limitant les départs en reconnaissance aérienne et qu’il déplorait « l’obstination » que l’on mettait, selon lui, à ne pas tirer parti de l’aviation.
Cela ne le découragea pas de continuer à mener des reconnaissances aériennes. Ainsi, le 13 septembre 1914, il partit seul en reconnaissance en dépit d’un vent violent et constata à cette occasion que l’ennemi avait quitté une région que l’on croyait encore occupée. Cette mission intrépide lui valut sa première citation.
Le 21 octobre 1914, le destin lui fut malheureusement moins favorable. Alors qu’il s’était chargé d’une reconnaissance périlleuse qui ne pouvait être accomplie qu’à très basse altitude, son avion fut contraint d’atterrir entre les positions allemandes et les lignes françaises. Il fut immobilisé en lisière du bois de Mort-Mare, dans le département de Meurthe-et-Moselle, cher à nos collègues Véronique Guillotin, Jean-François Husson, Philippe Nachbar et Olivier Jacquin, à quelques centaines de mètres seulement de l’endroit où se trouve aujourd’hui l’exploitation agricole de ce dernier. Une stèle mémorielle pourrait y être érigée, marquant la reconnaissance du Sénat, cent ans après la motion du 22 décembre 1918.
Exposé à un feu nourri, Émile Reymond fut grièvement blessé par une balle qui lui perfora le corps, alors que le pilote qui l’accompagnait était tué. Il réussit, à la faveur de la nuit tombée, à gagner en rampant les lignes françaises, d’où il put être emmené à l’hôpital de Toul. Malgré ses blessures, il trouva l’énergie de faire un compte rendu très précis de sa reconnaissance. Il mourut le lendemain, vers seize heures, après que son général l’eut décoré de la Légion d’honneur.
La mort héroïque d’Émile Reymond fait honneur à la patrie, au Sénat, comme sa vie tout entière. Nous nous sommes inclinés ce matin devant deux autres anciens sénateurs morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale, Alfred Mézières et Charles Sébline, décédés alors qu’ils étaient otages.
Je vous propose, en cet instant, d’observer un moment de recueillement en leur mémoire, en y associant le souvenir des fonctionnaires du Sénat et de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour le pays au cours de cette Grande Guerre qui s’est achevée voilà maintenant un siècle. Nous en avons fait mémoire le 11 novembre autour du Président de la République ; cette mémoire n’est pas simplement historique, c’est aussi une mémoire pour l’avenir.