Intervention de Victorin Lurel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2018 à 14h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Compte d'affectation spéciale « participations financières de l'état » - examen du rapport spécial

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel, rapporteur spécial (compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ») :

L'an dernier, je vous faisais part de ma perplexité de rapporteur spécial face à la présentation du compte spécial « Participations financières de l'État ».

Les impératifs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) sont en effet aménagés afin de préserver la confidentialité des opérations de cessions envisagées au cours de l'année suivante. La présentation du compte s'opère de façon conventionnelle, avec un montant artificiel de crédits proposés.

Comment vous éclairer dans ces conditions ? C'est pourquoi j'avais proposé une position de vote inédite, en m'en remettant à la sagesse du Sénat.

Cette année, ma conviction s'est affermie : la présentation du compte n'est pas satisfaisante. La capacité d'analyse du Parlement est balayée sur l'autel de la confidentialité des opérations. Des alternatives existent pourtant, j'y reviendrai ensuite.

Dans l'immédiat, laissez-moi vous présenter le compte tel qu'il est proposé pour 2019. Le montant conventionnel de crédits est multiplié par deux, choix artificiel censé tenir compte des cessions envisagées par le Gouvernement et faisant l'objet de dispositions législatives dans le projet de loi dit « Pacte » que nous allons prochainement examiner.

Vous connaissez sans doute à grands traits le projet du Gouvernement. Il s'agit de céder pour 10 milliards d'euros de participations afin d'abonder un fonds pour l'innovation dite « de rupture », dont seuls les intérêts seront affectés à l'innovation. La dotation du fonds est donc non consumptible.

Ce projet initial a été précisé dans le courant de l'année. Le fonds a été créé en janvier dernier ; il est placé auprès de l'Epic Bpifrance. Il a reçu une dotation transitoire, dans l'attente des cessions effectives d'Aéroports de Paris (ADP) et de la Française des Jeux (FDJ) : 1,6 milliard d'euros en numéraire et des titres de l'État dans Thalès et EDF.

Ces titres n'ayant pas vocation à être cédés, ils sont temporairement confiés au fonds afin d'assurer que la somme des intérêts générés par le 1,6 milliard d'euros en numéraire et les dividendes tirés de ces participations atteignent l'objectif visé de crédits destinés à l'innovation dès cette année, à savoir 250 millions d'euros environ.

Les titres Thalès et EDF seront ensuite récupérés par l'État lorsque le produit des cessions ADP et FDJ aura été encaissé et que la dotation du fonds atteindra effectivement les 10 milliards d'euros en numéraire.

Surtout, en août dernier, les modalités de placement de la dotation en numéraire du fonds ont été précisées. En pratique, les 10 milliards d'euros seront placés sur un compte ouvert auprès du Trésor, portant un intérêt annuel de 2,5 %.

Compte tenu de ce taux particulièrement avantageux dans le contexte actuel de taux faibles, je serais tenté de féliciter le Gouvernement pour ce rendement !

La réalité est malheureusement plus sombre. L'étude d'impact du projet de loi « Pacte » nous renseigne à cet égard : le rendement du fonds sera retracé dans la charge de la dette. Posons les termes adéquats : le rendement annuel du fonds, de 250 millions d'euros, sera retracé dans le budget général de l'État au titre du service de la dette.

C'est là le tour de passe-passe trouvé par le Gouvernement. La dotation du fonds pour l'innovation viendra en effet s'inscrire en déduction de la dette maastrichtienne. J'ai calculé : par cet artifice, le Gouvernement affiche une réduction artificielle de l'endettement public.

Plus encore, il convient de distinguer entre sous-secteurs d'administrations publiques. En effet, la réduction de l'endettement public inscrite dans la trajectoire du Gouvernement résulte uniquement des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale. Le mécanisme du Gouvernement permet en réalité de contenir le dérapage de l'endettement de l'État de 20 %.

Sous couvert, selon les termes mêmes du ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire, de préparer l'avenir de nos enfants en soutenant l'innovation dite « de rupture », le Gouvernement maquille surtout la réalité des chiffres.

Récapitulons les conséquences pour le budget général de cette opération : les dividendes tirés d'ADP et de la FDJ seront perdus, pour un montant d'environ 200 millions d'euros par an, tandis qu'en parallèle les intérêts dus au titre de la dotation du fonds pour l'innovation s'élèveront à 250 millions d'euros par an. Or le Parlement ne sera nullement associé aux modalités du soutien à l'innovation qui sera apporté par le fonds.

Relevez que, jusqu'à présent, je n'ai pas fondé mon propos sur la pertinence ou non de céder ces entreprises. Ces débats auront lieu lors de l'examen de « Pacte », ils seront nourris, j'en suis certain. Non, j'alerte uniquement votre attention sur la manoeuvre du Gouvernement et ses risques pour les intérêts patrimoniaux de l'État, et donc pour nos enfants que le Gouvernement affirme pourtant privilégier par ce tour de bonneteau.

Je vous disais au début de mon intervention que des alternatives existent. J'en citerai deux.

La première nous est livrée par le Gouvernement lui-même : la dotation transitoire actuelle pourrait être prolongée, dans l'attente des retours des investissements consentis dans le cadre des programmes d'investissement d'avenir (PIA). Ces derniers sont estimés à près de 3 milliards d'euros d'ici 2022, puis à 8 milliards d'euros d'ici dix ans. C'est précisément le montant nécessaire pour compléter la dotation du fonds.

La seconde consiste en une évolution du statut de l'Agence des participations de l'État. Actuellement, il s'agit sans doute du seul gestionnaire de participations qui ne bénéficie pas du produit des actifs qu'il gère. En effet, les dividendes en numéraires sont directement versés au budget général de l'État.

En dotant l'Agence de la personnalité morale, elle pourrait percevoir ces dividendes. Elle serait liée à l'État par un contrat pluriannuel déterminant le montant du dividende annuel qu'elle serait tenue de lui verser.

Cette évolution apporterait une solution aux deux difficultés principales actuellement constatées. L'instabilité du montant annuel des dividendes perçus par l'État, mobilisée par le Gouvernement pour justifier l'impossibilité de compter sur cette recette pour financer l'innovation, serait lissée. L'information du Parlement et ses pouvoirs de contrôle seraient améliorés. L'unité de l'État actionnaire serait assurée. Le Parlement serait associé à la définition du contrat pluriannuel conclu avec l'APE et pourrait en suivre la réalisation.

L'équation initialement insoluble entre l'information du Parlement et la confidentialité des opérations de l'État actionnaire, derrière laquelle le Gouvernement se drape pour justifier la mise à l'écart du Parlement, serait résolue.

Dans l'immédiat, il m'appartient de vous faire part de ma position de vote.

Considérant qu'à l'appui de ce que je viens de vous exposer, il est pour le moins incongru de doubler la contribution au désendettement portée par le compte en 2019, je vous propose un amendement visant à la réduire de moitié et à rétablir ainsi le montant conventionnellement prévu sur le compte.

Sous réserve de l'adoption de cet amendement et des observations que j'ai formulées, je vous recommanderai d'adopter les crédits du compte spécial pour 2019.

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