Intervention de Sophie Taillé-Polian

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2018 à 14h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « travail et emploi » et article 84 et compte d'affectation spéciale « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » - examen du rapport spécial

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale (mission « Travail et emploi » et CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ») :

Je n'ai pas la même appréciation budgétaire que mon collègue. Pour la deuxième année consécutive, les crédits consacrés à la politique de l'emploi sont en très forte baisse. Les chiffres ont été rappelés par mon collègue Emmanuel Capus, 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 3 milliards d'euros en crédits de paiement.

Certes, le taux de chômage diminue, mais la situation de l'emploi ne s'est globalement pas améliorée au cours des derniers mois.

Le nombre de demandeurs d'emploi (DEFM) en fin de mois en catégorie A a bien diminué entre le premier trimestre 2015 et le troisième trimestre 2018, mais cette baisse a été plus que compensée par une progression du nombre de DEFM en catégories B et C. Par exemple, le chômage des plus de 50 ans a progressé de 3 % sur un an toutes catégories confondues, et de près de 9 % pour les seules catégories B et C.

Dès lors, la logique baissière poursuivie par le Gouvernement se fera au détriment des personnes les plus éloignées de l'emploi, comme en témoigne la diminution drastique de l'enveloppe de contrats aidés. Je ne nie pas qu'il eût fallu avoir davantage d'exigences pour les contrats aidés en matière d'accompagnement et de formation des bénéficiaires, mais le taux d'insertion de ces derniers sera toujours insatisfaisant puisque précisément les contrats aidés s'adressent aux personnes les plus éloignées de l'emploi.

Certes, nous dit-on, les moyens consacrés à l'insertion par l'activité économique (IAE) augmentent pour contrebalancer la réduction du nombre de contrats aidés, mais c'est tout à fait insuffisant. En outre, il ne faut pas opposer l'IAE aux contrats aidés car il ne s'agit pas nécessairement des mêmes secteurs d'activité. À mon sens, ils sont plutôt complémentaires.

S'agissant du plan d'investissement dans les compétences (PIC), présenté comme l'innovation majeure du Gouvernement, une part importante des crédits qui lui seront dévolus en 2019 était déjà inscrite dans le budget de la mission « Travail et emploi ». Cela était notamment le cas des moyens consacrés à la Garantie jeunes ou au plan « 500 000 formations », auquel a succédé le volet « formation » du PIC.

Le dispositif « Garantie jeunes » gagnerait à être assoupli afin de toucher un public plus nombreux et d'en simplifier la gestion pour les missions locales, qui sont parfois fragilisées par les décisions de certaines collectivités locales, qui ne peuvent plus assurer leur financement.

Outre une diminution drastique des dépenses d'intervention de la mission, le Gouvernement a également choisi d'affaiblir les acteurs de la politique du travail et de l'emploi. À cet égard, la baisse des effectifs du ministère du travail, et notamment de ceux de l'inspection du travail, est un très mauvais signal alors que le travail illégal et la fraude au détachement constituent des enjeux de plus en plus prégnants et que le droit du travail a fait l'objet de modifications importantes au cours des années passées.

Face à ce paradoxe, le ministère répond que le ratio salariés par agent de contrôle de la France est conforme au standard fixé par l'Organisation internationale du travail (OIT). Mais les missions confiées à l'inspection du travail sont différentes de celles dévolues à d'autres inspections à l'étranger. Selon les organisations syndicales de la direction générale du travail, pour assumer l'ensemble des missions dévolues à l'inspection du travail, il conviendrait plutôt d'atteindre un ratio d'un agent pour 6 500 salariés au lieu des 9 000 actuels. La vérité se trouve peut-être entre ces deux chiffres...

Plus généralement, l'affaiblissement des opérateurs du travail et de l'emploi est symptomatique de la politique de l'offre mise en oeuvre par le Gouvernement actuel et rentre en contradiction avec la nécessité d'accompagner davantage les publics les plus éloignés de l'emploi.

S'agissant de Pôle emploi, je ne suis pas sûre que les gains de productivité, qui reposent sur le tout numérique, et dont on nous parle depuis des années, soient réels. En outre, si la dématérialisation simplifie certaines procédures, elle peut aussi s'avérer dissuasive pour divers publics. Pôle emploi avait recours à des contrats aidés pour accompagner les demandeurs d'emploi lors de leur inscription : aujourd'hui, tel n'est plus le cas.

S'agissant de l'Afpa, le projet de transformation avec, à la clé, des réductions d'emplois, conduira à affaiblir l'opérateur, d'où une baisse du nombre et de la qualité des services rendus et du nombre de bénéficiaires. Or, l'Afpa accompagne la reconversion de personnes très éloignées du marché du travail. En outre, ses capacités d'hébergement et le nombre de ses sites vont se réduire. Il n'y aura plus aucun centre de formation dans onze départements. L'alignement sur le moins disant contraindra l'opérateur à revoir à la baisse ses exigences en matière de qualité des formations dispensées et d'accompagnement des publics visés.

Enfin, l'affaiblissement de l'Afpa sera définitif, dans la mesure où il ne semble pas envisageable que des investissements massifs soient réalisés sur les plateaux techniques dans les années à venir. De plus, ces plateaux techniques étaient utilisés par des organismes privés ou publics lors des examens de qualification. Ne va-t-on pas aller vers une réduction du nombre de formations qualifiantes ?

Ce budget me semble donc mauvais : il nie la situation de millions de Français, pour qui trouver un emploi ne se résume pas au fait de traverser la rue. Aussi, je vous invite à adopter l'amendement que j'ai co-signé avec Emmanuel Capus sur les moyens consacrés aux maisons de l'emploi mais, contrairement à lui, je vous propose de rejeter les crédits de la mission « Travail et emploi ». Je vous suggère en revanche d'adopter sans modification les crédits du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».

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