Cette mesure a fait l’objet d’une campagne de presse importante. Pour autant, comme vous pouvez le constater, madame la ministre, elle recueille au Sénat une opposition unanime, ce qui peut paraître paradoxal, puisqu’elle a été présentée, à tort me semble-t-il, comme étant issue d’un rapport du Sénat de 2017 sur les urgences hospitalières rédigé par René-Paul Savary, Laurence Cohen et Catherine Génisson.
La commission des affaires sociales du Sénat ne peut que partager la préoccupation qui a conduit à l’adoption de cet article. En effet, le mode actuel de financement des urgences hospitalières est par nature incitatif à l’activité, alors qu’une proportion non négligeable de patients qui s’y présentent ne relève pas de la compétence de ces services.
En conséquence, la commission recommandait une évolution du mode de financement des urgences reposant sur trois piliers : la conservation d’un financement mixte incluant une part de financement à l’activité et une part forfaitaire ; la modulation du montant du financement à l’activité en fonction de la gravité des pathologies, afin d’inciter les services à se concentrer sur la prise en charge des patients classés CCMU 3, 4 ou 5 ; la création d’un forfait de réorientation visant à inciter les services à réadresser les patients ne nécessitant pas de prise en charge hospitalière vers les acteurs de ville.
Le dispositif qui a été présenté à l’Assemblée nationale par le rapporteur général Olivier Véran apparaît problématique à quatre titres au moins.
En premier lieu, il reprend un seul des trois éléments constitutifs de la recommandation de la mission, qui avait été conçue comme un tout. Le choix du seul forfait de réorientation, qui fait l’économie d’une réflexion plus générale sur le mode de financement des urgences, ne saurait constituer qu’une solution de « bricolage » transitoire venant complexifier encore la tuyauterie de financement des services d’urgences sans y apporter de solution de redressement pérenne.
En deuxième lieu, le dispositif pose une question d’organisation des soins. Quand bien même la réorientation du patient passerait par une consultation préalable, cette réorientation s’analyse au total comme un acte médical non accompli et pour autant rémunéré. Le patient devra donc être pris en charge par un autre professionnel de santé, le plus souvent de ville, qui, lui, ne percevra aucune rémunération supplémentaire.
En troisième lieu, on peut s’interroger sur le caractère réellement incitatif de cette disposition, dans la mesure où la facturation d’une consultation et d’examens complémentaires emporte généralement des montants plus élevés que ceux qui sont envisagés pour le forfait de réorientation – 20 et 60 euros, selon les informations transmises par la DSS. De plus, comment le professionnel de ville sera-t-il incité à dégager son planning pour accueillir un patient venu des urgences ?
En quatrième lieu, le succès du dispositif devrait reposer sur une coopération forte entre la ville et l’hôpital, dont les contours restent encore largement à construire.
Pour l’ensemble de ces raisons, même si cette solution paraît innovante, elle ne répond que partiellement aux enjeux.