Intervention de Julien Bargeton

Réunion du 19 novembre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative pour 2018 est bien une innovation attendue et positive dans notre procédure budgétaire.

La nécessaire remise en ordre des comptes publics passe aussi par des adaptations des manières d’élaborer, d’autoriser, d’évaluer les textes budgétaires. Le sujet est sans doute moins médiatique que d’autres, mais il atteste en tout cas de la volonté du Gouvernement de transformer le pays et de financer chaque politique publique.

Les collectifs de fin d’année vintage n’étaient pas des jardins à la française, c’est le moins que l’on puisse dire ! Alors que ces textes étaient censés s’intéresser exclusivement à l’exercice en cours, des dispositions fiscales ne manquaient pas d’y fleurir, du fait tant des gouvernements, qui saisissaient souvent une occasion de rattrapage, que des parlementaires eux-mêmes, qui faisaient parfois un baroud d’honneur. Cela explique l’inflation du nombre d’articles dans les textes de ce genre : 96 dans le second collectif budgétaire pour 2017, quelque 149 dans le collectif pour 2016 et 123 dans le collectif pour 2015. On était loin de l’épure d’un Giacometti et plus proche d’un Botero !

De plus, il n’était pas rare que, du fait de la faiblesse des crédits votés en loi de finances initiale, les collectifs budgétaires soient assortis, pour répondre aux dépenses urgentes de l’État, de décrets d’avance qui, juridiquement, imposaient un vote de la représentation nationale. Pour la première fois depuis 1985, le Gouvernement a décidé de rompre avec ces pratiques : le texte ne comporte ni mesures fiscales ni décrets d’avance, ce qui a une portée politique particulière, a fortiori avant la reprise sereine des débats sur nos institutions l’an prochain.

Le Gouvernement, qui s’est déjà employé à réduire la réserve de précaution ou à constituer des provisions spécifiques visant à faire face à tel aléa en cours de gestion, s’astreint à une exigence particulière. Il exprime ainsi son respect envers le Parlement, saisi de l’intégralité des ouvertures et des annulations de crédits budgétaires soumises à son autorité.

Au Sénat, ce texte intervient en amont du projet de loi de finances pour 2019, sans télescoper sa discussion. Cet ordre met en évidence la cohérence de la trajectoire.

Le texte n’a pas été adopté en commission, cela a été dit, et je le regrette, car à mon sens, vous vous en doutez, ce vote ne se justifie pas : des dépenses publiques constatées conformes aux prévisions, des évaluations de recettes fiscales et non fiscales sincères, des hypothèses macroéconomiques réalistes, autant d’ingrédients qui permettent aujourd’hui d’afficher une réduction du déficit public. Cette réduction est visible en valeur absolue, avec une prévision de déficit public de 80 milliards d’euros, contre 81, 3 milliards d’euros prévus, et en valeur relative, ce qui correspond à un déficit de moins de 6 points de PIB pour 2018, alors que la trajectoire pluriannuelle la fixait à moins 2, 8 %.

Cette stratégie budgétaire n’est pas déconnectée des politiques publiques menées par ailleurs. Je pense aux mesures de structure, notamment à celles qui sont relatives au marché du travail : selon de récents chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, les intentions de recrutements en CDI ont augmenté de 10 % par rapport à l’an dernier, ce qui est une nouvelle bienvenue dans notre pays. Cela va aussi avec la réduction des cotisations sociales et le dégrèvement de la taxe d’habitation.

L’impatience, voire la colère, on le voit, subsiste néanmoins. Le Président de la République l’a d’ailleurs reconnu.

La France a trop tardé à réaliser ces transformations. Nous avons, me semble-t-il, souffert d’un attachement à une forme de « finances magiques » dans toute une série de politiques publiques. Ces travers ne sont pas totalement dissipés quand certains proposent ainsi la gratuité des transports publics, au hasard, sans dire combien ou comment !

Vous le savez bien, monsieur le ministre, si la solidarité est un objectif partagé, ce qui est le cas dans ce collectif à travers des ouvertures de crédits en faveur de l’hébergement d’urgence ou le soutien à la prime d’activité, elle doit être financée.

Plutôt que la fuite en avant financière, nous préférons la transformation de l’action publique. Le Premier ministre a annoncé, le 29 octobre dernier, une stratégie ambitieuse pour les services publics, le fonctionnement et l’organisation de l’État sur la période 2018-2022.

Je me félicite que chaque ministère se dote d’un plan de transformation numérique pour offrir une dématérialisation totale des démarches à l’horizon de 2022. L’objectif est de simplifier la vie de nos concitoyens, que ce soit avec la numérisation des ordonnances, la délivrance de baux numériques, la création facilitée des entreprises, tout en permettant des gains d’efficience pour la collectivité. Je trouve extrêmement positif que l’État se lance dans cette démarche à grande échelle, avec un portage politique au plus haut niveau.

Il y a des expériences inspirantes à observer ; je pense notamment à l’Estonie, où les pouvoirs publics se sont engagés dans une stratégie numérique des services publics depuis quinze ans.

L’Hexagone aime les silos. Je crois que nos concitoyens, notamment ceux qui sont nés après l’an 2000, sont attachés à l’agilité offerte par le numérique. L’idée n’est pas de reproduire des guichets sur la toile avec autant de mots de passe et d’interfaces ; il s’agit de plaider pour une « expérience utilisateurs » plus adaptée. Allégeons les démarches, facilitons la vie de nos concitoyens, changeons non les citoyens eux-mêmes, mais les procédures ! Ces initiatives ont déjà été amorcées dans la loi sur le droit à l’erreur.

Au total, ce collectif budgétaire de fin d’année est l’occasion de rappeler une vérité : il n’est pas interdit de faire simple et de renoncer à de mauvaises pratiques. Comme l’écrivait Jean Cocteau : « Il n’y a pas de précurseur, il n’y a que des retardataires ».

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