Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans cette discussion budgétaire au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que j’ai l’honneur de présider, en raison de la décision du Gouvernement de faire supporter le surcoût des OPEX par le budget de la défense, et non pas, comme la loi le prévoit, par la solidarité interministérielle. La conséquence de cette décision, c’est l’annulation de 404 millions d’euros sur la mission « Défense ».
Dès la parution de cette nouvelle, notre commission a protesté dans un communiqué qui m’a valu un courrier personnel de M. le Premier ministre. J’y ai été évidemment particulièrement sensible, même si, vous le comprenez, monsieur le ministre, nous ne pouvons partager les éléments contenus dans cette lettre.
Je veux saluer ici aussi les efforts constants de Mme la ministre des armées, qui, depuis sa prise de fonction, a marqué sa ferme volonté de redonner à nos armées leurs capacités opérationnelles depuis trop longtemps défaillantes. Nous nous sommes engagés à ses côtés.
Certes, l’exercice budgétaire 2018 se termine dans des conditions meilleures que l’an passé pour le budget des armées, mais, compte tenu de l’immensité des besoins à couvrir, on ne peut pas se satisfaire de cette situation !
Par ailleurs, monsieur le ministre, la loi de programmation militaire qui s’achève est absolument formelle : le surcoût des OPEX doit être financé dans le cadre de la solidarité interministérielle, à due concurrence de la part de chaque ministère dans le budget général. Serait-il donc possible que votre ministère ne respecte pas la loi ? À la veille de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation militaire, ce serait un très mauvais signal. Faut-il rappeler que l’application de ces lois n’est pas facultative ? Ce n’est pas une option !
À partir de là, monsieur le ministre, vous avez multiplié les explications pour tenter de nous rassurer et nous expliquer que la disparition de 404 millions d’euros n’avait aucun impact sur les engagements du Gouvernement pour la remise à niveau de nos armées. Vous déclarez : « La loi de finances pour 2018 sera exécutée à l’euro près ». Chacun comprend que, la sincérisation des surcoûts liés aux OPEX étant progressive – 450 millions d’euros en 2017, quelque 650 millions d’euros en 2018, quelque 850 millions d’euros en 2019 –, cette exécution « à l’euro près » aura pour effet de cannibaliser d’autres dépenses des armées, qui seront soit reportées, soit annulées.
On savait dès le début que l’enveloppe réservée aux OPEX était insuffisante ; le Sénat l’avait dit ! Aujourd’hui, on demande aux armées de payer les opérations Barkhane – 700 millions d’euros –, Chammal – 460 millions d’euros – et Sentinelle – 215 millions d’euros –, avec des dépenses initialement prévues pour la modernisation de l’équipement, la réparation d’infrastructures vétustes ou l’amélioration de la condition de vie en régiment. Le nier est inutilement blessant pour nos armées, qui peuvent comprendre que l’on perde un arbitrage budgétaire, mais pas que l’on déguise la vérité.
Vous déclarez par ailleurs, monsieur le ministre : « En 2019, le budget sera conforme à la première annuité de la LPM ». Un enfant d’école primaire comprendrait que des dépenses reportées de 2018 à 2019 réduiront d’autant l’augmentation réelle des moyens ! Nos débats pendant l’examen de la LPM ont montré les immenses besoins d’un outil militaire fatigué, quand il n’était pas à bout de souffle, à force de suremploi et de sous-investissement. Ainsi, pour les seules infrastructures, l’état des casernes par exemple, les besoins non couverts sur la programmation sont chiffrés par notre commission à 1, 5 milliard d’euros. Que l’on ne nous dise pas qu’il y avait de la marge. C’est faux !
Le Gouvernement tend à nous expliquer qu’il n’y aura pas de conséquences physiques, voire que le ministère des armées serait satisfait que l’on lui prenne 400 millions d’euros : voilà qui laisse évidemment bouche bée ! Dans ce cas, si le Secrétariat général pour l’administration n’arrive pas à dépenser ces crédits, qu’il laisse donc la main aux commandants des bases de défense, qui sont parfois obligés de remonter à Paris pour faire face à des réparations d’infrastructures, de bâtiments, de cantine ou de transport automobile de leurs soldats.
Quant aux difficultés de recrutement, comment ne pas voir qu’elles résultent de la faible attractivité de carrières où l’engagement est total, mais la rémunération insuffisante ? Les médecins militaires quittent le service militaire aux armées pour augmenter leur rémunération. Des réformes s’imposent ; nous attendons du Gouvernement des annonces en ce sens.
Souhaitez-vous faire de la cavalerie avec l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, le bras armé de la coopération capacitaire européenne de défense, monsieur le ministre ? C’est à la fois une aberration budgétaire et un contresens total au regard de l’engagement du Président de la République.
En conclusion, la légèreté avec laquelle le Gouvernement a rayé d’un trait de plume 404 millions d’euros de crédits a quelque peu ébranlé notre confiance. Plus grave encore est l’impact politique que cette décision risque d’avoir. Monsieur le ministre, croyez-vous que nos hommes qui, au moment même où nous parlons, s’exposent avec courage dans le cadre des OPEX vont être sensibles à toute votre petite mécanique budgétaire ? Ne croyez-vous pas, au contraire, que, à l’entrée en vigueur de la nouvelle LPM, ils y voient déjà une forme de renoncement ?
Tout cela augure bien mal de l’avenir. Le Sénat a accompagné les efforts de Mme la ministre des armées, pour que, enfin, la sincérité de nos engagements soit synonyme de vérité. Nous allons vous y aider, monsieur le ministre, par le biais d’un amendement qui vise à revenir au financement interministériel des OPEX.
Ne vous y trompez pas, monsieur le ministre : tout au long de cette loi de programmation militaire, le Sénat tiendra son engagement, pour que ce texte soit exécuté comme il a été voté.