Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 novembre 2018 à 8h30
Justice et affaires intérieures — Règles européennes et statut des sapeurs-pompiers volontaires : avis politique de mm. jacques bigot et andré reichardt

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Comme l'a indiqué Jacques Bigot, l'arrêt de la CJUE suscite des inquiétudes en France car il comporterait des risques de remise en cause du volontariat des sapeurs-pompiers et, plus largement, de notre modèle de sécurité civile. Les sapeurs-pompiers volontaires sont 195 000, contre 40 500 professionnels. S'ils ne peuvent plus effectuer leur service, on voit bien quelles seraient les conséquences en termes de sécurité et de finances locales...

Quels risques l'arrêt Matzak de la CJUE fait-il peser sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires en France ? Dans notre pays, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, bien qu'exerçant le même métier, disposent d'un statut très différent.

Le code de la sécurité intérieure, reprenant la loi du 20 juillet 2011, dispose que « l'activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n'est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres » et que le sapeur-pompier volontaire « exerce les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels. Il contribue ainsi directement, en fonction de sa disponibilité, aux missions de sécurité civile de toute nature confiées aux services d'incendie et de secours ou aux services de l'État qui en sont investis à titre permanent ». De même, « ni le code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables », contrairement aux sapeurs-pompiers professionnels, tandis que « les activités de sapeur-pompier volontaire ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail ». Enfin, leurs indemnités ne sont pas un salaire, mais un simple défraiement.

Les sapeurs-pompiers exercent leurs activités sous la forme, soit de garde en caserne sur une période de 24 heures, soit d'astreinte qui peut être organisée selon des créneaux horaires prédéfinis ou être libre, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) fixant dans leur règlement le régime d'emploi de leurs ressources en fonction de leurs besoins.

Nous nous sommes dès lors interrogés sur le fait de savoir si l'arrêt Matzak pouvait remettre en cause le statut des sapeurs-pompiers volontaires en leur appliquant la directive de 2003.

Il est certain que cet arrêt aurait des conséquences sur l'organisation des gardes et des astreintes en raison de son impact sur le décompte du temps de travail. Plusieurs aspects seraient ainsi concernés au regard des dispositions de la directive : en premier lieu, le repos physiologique, c'est-à-dire le repos minimum de 11 heures sur une période de 24 heures, mais aussi le repos hebdomadaire de 24 heures, qui s'ajoute au repos physiologique, ce qui représente un repos de 35 heures consécutives sur sept jours, ainsi que la durée annuelle du temps de travail. La durée maximale hebdomadaire de travail, soit 48 heures, n'est pas directement concernée, mais pourrait l'être indirectement par le recours à l'article 22 de la directive qui prévoit de possibles clauses dérogatoires.

Les conséquences de l'arrêt sont aussi potentiellement financières si les astreintes sont considérées comme du temps de travail et donc rémunérées ou si des sapeurs-pompiers supplémentaires venaient à être recrutés. Cet impact budgétaire est malheureusement - ou heureusement, pour notre tranquillité... - impossible à chiffrer avec précision à ce stade.

Pour autant, la portée des conséquences de l'arrêt Matzak ne doit pas non plus être exagérée. Son application éventuelle en France doit être analysée de façon pragmatique.

D'abord, l'ensemble des sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas visés. Sur 195 000, environ 135 000 exercent par ailleurs une activité professionnelle, dont les deux tiers se trouvent sous le régime de l'astreinte. Parmi ces 90 000 sapeurs-pompiers volontaires, tous, loin de là, n'effectuent pas un nombre d'heures tel qu'ils se trouveraient en difficulté avec la directive de 2003. En réalité, le problème pourrait se concentrer sur les casernes de quelques grands centres urbains où interviennent des volontaires qui effectuent de nombreuses gardes, dans les mêmes conditions que les professionnels.

Ensuite, la directive comporte un article 17 relatif au régime de dérogations, qui mentionne explicitement les sapeurs-pompiers dès lors qu'il y a nécessité d'assurer la continuité du service. Ces dérogations peuvent porter sur le repos journalier, le temps de pause, le repos hebdomadaire, la durée du travail de nuit et les périodes de référence. C'est pourquoi il est raisonnable de penser que la modification du règlement des SDIS pourrait permettre d'en adapter le texte à l'arrêt Matzak, tout en restant dans l'épure de la directive.

Il y a cependant des incertitudes à lever au niveau européen. L'arrêt Matzak pourrait certes mettre en difficulté le volontariat de façon limitée, mais une action au niveau européen n'en est pas moins opportune, à la fois pour lever définitivement les incertitudes sur l'application de la directive de 2003, dont il conviendrait d'élargir le champ des dérogations pour le rendre compatible avec le dispositif français, et pour garantir la pérennité du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers.

Le Gouvernement l'a d'ailleurs lui-même reconnu devant le Sénat récemment. Le 26 septembre, le ministre de l'intérieur avait considéré qu'« il faut sans doute faire évoluer cette directive européenne », tandis que, le 30 octobre, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur a déclaré : « Nous prendrons une initiative européenne pour préserver le statut des sapeurs-pompiers volontaires dans notre dispositif de secours et leur permettre de concilier leur vie professionnelle et leur engagement citoyen ». Cet engagement se retrouve avec la mesure 15 du récent plan d'action 2019-2021.

Pour l'ensemble de ces raisons, Jacques Bigot et moi vous proposons d'adresser à la Commission européenne un avis politique assez simple, qui réaffirme notre fort attachement à la préservation d'un dispositif permettant aux sapeurs-pompiers d'effectuer des interventions à titre volontaire et bénévole leur assurant d'exercer les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels et contribuant aux missions de sécurité civile, qui observe que l'article 17 de la directive 2003/88/CE comporte une dérogation visant spécifiquement les services de sapeurs-pompiers lorsqu'il s'agit d'assurer la continuité du service, qui considère que l'arrêt Matzak de la CJUE est susceptible de produire des effets pouvant compromettre la pérennité du dispositif français de sécurité civile, qui demande instamment, par conséquent, que la Commission européenne prenne une initiative législative visant à modifier l'article 17 de la directive de manière à élargir le champ d'application des dérogations relatives au repos journalier, au temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée du travail de nuit et aux périodes de référence afin que ces dérogations assurent la préservation du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers, et qui souhaite enfin que la Commission engage une réflexion de plus long terme visant à établir, le cas échéant, un acte législatif européen permettant de garantir les spécificités du volontariat dans l'exercice des missions de sécurité civile.

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