Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre l'exposition précoce des enfants aux écrans — Vote sur l'ensemble

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, à l’occasion de ma mission sur la formation à l’heure du numérique, j’ai été sensibilisée par plusieurs experts de la santé aux troubles du développement qu’ils observaient chez un nombre croissant de jeunes enfants et sur les liens de cause à effet qu’ils constataient entre ces troubles et l’exposition précoce aux écrans de leurs jeunes patients.

J’ai souhaité approfondir cette question et j’en suis arrivée aux conclusions suivantes.

D’abord, l’exposition aux écrans commence dès la petite enfance et tend à augmenter en raison de la multi-exposition des enfants aux écrans et de la possibilité d’utiliser ces derniers n’importe où et n’importe quand. Si la France dispose d’un nombre restreint de statistiques, elle possède en revanche de nombreuses enquêtes. Je vous renvoie à cet égard aux trois enquêtes que j’ai déjà citées la semaine dernière : une étude de l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, une enquête déclarative de l’Association française de pédiatrie ambulatoire et une enquête de l’IPSOS menée en 2017. Toutes trois montrent l’ampleur du phénomène.

La deuxième conclusion à laquelle je suis parvenue, et que confirment toutes les études scientifiques, c’est que les interactions d’un enfant avec son entourage et son environnement sont la meilleure source de stimulation pour lui. Or plus un enfant passe de temps devant un écran durant une journée, moins il lui en reste pour jouer et interagir avec les autres.

Toujours selon des données scientifiques, une surexposition aux écrans peut avoir des conséquences sur le développement du cerveau et de l’apprentissage des compétences fondamentales, notamment du langage ; sur les capacités d’attention et de concentration des enfants ; sur leur comportement. Ainsi, la surexposition des plus petits risque d’entraîner une attitude passive face au monde qui les entoure.

En dépit de ces signes alarmants établis depuis des années, en France comme à l’étranger d’ailleurs, les industriels continuent de mettre sur le marché toute une panoplie de jouets pseudo-éducatifs en direction des enfants en bas âge, contribuant à développer un environnement favorable à l’augmentation du temps passé devant les écrans et à créer l’illusion qu’il est normal, voire très bon, pour un enfant de passer plusieurs heures de sa journée devant un écran.

C’est la raison pour laquelle les sénateurs de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont décidé à l’unanimité, madame la secrétaire d’État, de renforcer la visibilité des recommandations nationales déjà existantes en exigeant tout d’abord la présence d’un message à caractère sanitaire avertissant des dangers liés à l’exposition des écrans pour les enfants de moins de trois ans sur tous les outils et jeux numériques disposant d’un écran, mais également sur toutes les publicités concernant ces derniers, quel que soit leur support. La commission a ensuite décidé l’organisation d’actions régulières d’information et d’éducation institutionnelles, en partenariat avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dont c’est le rôle, conformément à la loi.

Au total, la présente proposition de loi n’a pas la prétention de régler tous les problèmes liés aux écrans. La question de l’extension des messages sanitaires aux sites d’achat en ligne et aux sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne n’est pas traitée, par exemple, nous le savons. Mais face à un sujet qui est en train de devenir un véritable problème de santé publique, nous avons adopté des mesures simples et efficaces pour sensibiliser, former et informer les parents, ainsi que tous ceux qui gravitent dans leur entourage, et pour atténuer l’asymétrie d’information dont ils sont les premières victimes.

Aussi, je suis particulièrement étonnée de l’absence de soutien du Gouvernement à cette proposition de loi et surtout des arguments avancés pour la justifier.

La semaine dernière, vous avez estimé, madame la secrétaire d’État, que « les données manquent quant à l’ampleur de l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans et surtout quant aux effets d’une surexposition des très jeunes enfants aux écrans ». Vous avez donc souhaité attendre les résultats d’une mission confiée au Haut Conseil de la santé publique avant d’élaborer une nouvelle campagne nationale de prévention.

Depuis dix ans, le Conseil supérieur de l’audiovisuel supervise chaque année une campagne de sensibilisation financée par les chaînes de télévision pour rappeler les bonnes pratiques à adopter en matière d’exposition des enfants aux écrans. Cette campagne ne se base-t-elle pas sur des données scientifiques ?

Le 1er avril dernier, les nouveaux modèles de carnet de santé de l’enfant sont entrés en vigueur. Dans son communiqué de presse du 5 mars, le ministère des solidarités et de la santé écrivait : « Les principales évolutions de la nouvelle édition concernent les messages de prévention, qui ont été enrichis et actualisés pour tenir compte des évolutions scientifiques et sociétales, de nouvelles recommandations et de l’identification de nouveaux risques. » À titre d’exemple, il est conseillé d’« éviter de mettre un enfant de moins de trois ans dans une pièce où la télévision est allumée (même s’il ne la regarde pas). »

Où est donc la logique ?

Les messages à caractère sanitaire figurant dans le carnet de santé seraient validés scientifiquement, mais les mêmes messages que la proposition de loi prévoit d’imposer sur les emballages et lors des publicités pour des outils ou des jeux numériques comprenant des écrans ne seraient pas légitimes, faute de preuves scientifiques suffisantes ! Franchement, ce n’est pas sérieux !

Par ailleurs, l’étude que vous avez confiée au Haut Conseil de la santé publique, alors même qu’une étude similaire est d’ores et déjà conduite depuis plusieurs mois par un comité tripartite rassemblant des membres de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies et de l’Académie de médecine, va établir une revue de la littérature scientifique sur ce sujet. Elle renforcera bien entendu les faisceaux d’indices sur les effets de la surexposition aux écrans, mais elle n’apportera pas non plus de preuves définitives. Comme Serge Tisseron le rappelle, les enfants ne sont pas des rats !

Au cours de votre intervention devant la commission de la culture, vous avez eu la maladresse – je n’ose imaginer que c’était intentionnel de votre part – de décrédibiliser à la fois la présente proposition de loi et les initiatives de prévention, menées sans moyens, mais avec beaucoup d’abnégation, par un grand nombre d’acteurs du secteur médical et infantile. Vous avez semé la confusion entre leur action et des propos très regrettables, mais, je tiens à le dire, également très isolés, mélangeant les troubles résultant de la surexposition aux écrans et ceux du spectre de l’autisme.

Je rappelle solennellement, comme je l’ai déjà fait la semaine dernière, que je n’ai jamais, pas plus que mes collègues, parlé d’autisme ! C’est vous qui l’avez cité, madame la secrétaire d’État. Pour ma part, j’ai évoqué des troubles du langage, du développement et de l’attention. Quant aux médecins que nous avons auditionnés, eux non plus ne font pas bien entendu cette confusion.

Vous avez dit, madame la secrétaire d’État, que nos méthodes divergent, et vous avez raison sur ce point. La commission de la culture du Sénat, vous le savez, a pour règle de travailler étroitement avec tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, afin de faire progresser les dossiers qui lui sont soumis. Récemment, nous avons débattu de l’utilisation du téléphone portable à l’école. Où étaient d’ailleurs les études sur les conséquences de l’usage du téléphone portable sur la discipline au collège ou sur les apprentissages ? Il n’y avait rien ! Et pourtant, nous avons décidé de faire confiance au Gouvernement.

Alors oui, madame la secrétaire d’État, nous connaissons le poids des lobbies. Il a fallu plus de trois ans à l’administration pour publier les décrets permettant la mise en œuvre effective des bandeaux sanitaires sur les publicités visant les boissons sucrées et les produits alimentaires manufacturés. Va-t-on reproduire le scandale de la cigarette, de l’alcool, des produits sucrés ?

En conclusion, en cette Journée internationale des droits de l’enfant, le Défenseur des droits publie un rapport dans lequel il recommande aux pouvoirs publics l’application d’un strict principe de précaution en interdisant l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans dans les lieux les accueillant.

Fort de ces recommandations, le Sénat prend aujourd’hui ses responsabilités en choisissant la santé de nos enfants. Au Gouvernement de prendre les siennes !

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