Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 20 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre l'exposition précoce des enfants aux écrans — Vote sur l'ensemble

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un entretien à un célèbre hebdomadaire français, l’écrivain américain Philip Roth expliquait : « Face à l’écran et à son pouvoir hypnotique, la lecture est un art désormais mourant. La forme romanesque, comme vecteur d’informations sur le monde et l’expérience humaine, et comme plaisir, est devenue obsolète. »

Sans s’enferrer dans une vision manichéenne, où le numérique ne ferait que rapetisser l’Homme, je pense que les propos de cet écrivain, étendus à d’autres domaines que la lecture, sont éclairants sur les risques inhérents à une exposition massive aux écrans. Il est question « d’informations sur le monde », d’« expérience humaine », de « plaisir », en somme de réflexions et d’interactions avec le monde et avec les autres.

Comme l’ont démontré nombre de psychiatres et de pédopsychiatres – je ne reviendrai pas sur les études mentionnées par la présidente Catherine Morin-Desailly –, ces découvertes de la vie, ces contacts humains sont encore plus déterminants pour les enfants, en particulier entre zéro et trois ans. Ils permettent tout à la fois l’apprentissage du langage, de la communication verbale et corporelle. Ils améliorent les capacités motrices, d’attention et de concentration. Ils sont donc des moments vitaux dans la construction de l’enfant en tant qu’individu.

Or, sans diaboliser les objets numériques, qui peuvent être parfois d’une grande utilité pour l’apprentissage et la diffusion des connaissances, par exemple, il faut reconnaître que leur utilisation immodérée, voire frénétique, pose de plus en plus problème et peut être clairement dangereuse pour les enfants. Il convient donc de veiller à ne pas en arriver à une situation où ce seraient ces objets qui prendraient possession de l’être humain, bien plus que celui-ci en contrôlerait l’usage et l’évolution.

Sur ce point, je crois que nous sommes entrés dans une phase de transition. Après l’euphorie liée à la démocratisation d’internet et au développement « hypersonique » des moyens de communication, l’envers du décor est apparu.

Collectivement, nous avons pris conscience que l’entrée dans la « troisième révolution industrielle », selon l’expression de Jeremy Rifkin, s’accompagnait d’enjeux modernes auxquels il est impératif de réfléchir et d’apporter des réponses satisfaisantes.

En d’autres termes, cette phase de transition est une nouvelle phase de régulation, consécutive aux progrès exponentiels en matière numérique. Il s’agit de préserver les équilibres sociaux et de maintenir un rapport harmonieux entre la société et le déploiement des nouvelles technologies.

C’est dans ce cadre global que s’inscrit la présente proposition de loi, qui est, à mon sens, importante. Elle est une première étape en vue de concilier au mieux le développement psychologique et moteur des enfants avec l’usage des objets numériques. Ainsi, les dispositions visant à avertir des dangers des écrans pour le développement des enfants de moins de trois ans et à mener des campagnes pour sensibiliser tout un chacun sur le sujet sont des propositions très importantes.

À l’avenir, il serait pertinent de faire preuve d’encore plus de pédagogie, sans chercher à prononcer des injonctions qui ne seraient que contre-productives, car l’éducation des enfants aux écrans passe obligatoirement par l’éducation des parents à ces mêmes écrans. Ces derniers ont tellement imprégné notre quotidien, sont devenus tellement indispensables dans les sphères professionnelle et privée que les adultes peuvent aussi acquérir des réflexes négatifs et oublier que leur propre exposition prolongée peut être pernicieuse et constituer un mauvais exemple pour leurs enfants. Il est donc impératif de prendre ses distances avec les écrans, tout en ayant conscience qu’il serait bien sûr vain et inutile de s’en priver.

Par ailleurs, il est important de souligner que les actions de prévention prévues dans le présent texte, eu égard à leur objectif de santé publique, nécessitent de véritables moyens financiers, d’autant plus que les progrès du numérique et de l’intelligence artificielle sont amenés à s’intensifier, et, partant, les dérives liées à la surexposition aux écrans. Peut-être faudra-t-il inévitablement prévoir, dans les années à venir, un vaste plan de prévention, sachant que cette surexposition peut entraîner des problématiques de santé publique liées à la sédentarité.

Enfin, comme ne manqueront pas de le dire, je l’imagine, mes collègues qui interviendront après moi, je tiens à faire part de ma surprise, pour ne pas dire de mon incompréhension, face à la position que le Gouvernement a exprimée en commission et encore aujourd’hui. Cette proposition de loi, mes chers collègues, est de bon sens, pour ne pas dire essentielle. Elle est aussi la première pierre d’un édifice, car il nous faudra aborder ensuite la question des contenus et de l’éducation au numérique. Son rejet par l’exécutif, sans véritable motif, n’est nullement encourageant. Il nous laisse surtout très perplexes.

Madame la secrétaire d’État, vous avez argué de la nécessité de mener des études d’impact – on vous a entendue – avant de légiférer sur cette question. Je vous rappellerai simplement, comme l’a dit Mme la rapporteur, et comme je l’ai déjà indiqué en commission, que lorsqu’il s’est agi d’interdire les téléphones portables à l’école, vous n’avez nullement attendu de bénéficier de telles analyses.

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