Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le remarquable travail de fond réalisé par Catherine Morin-Desailly, dont la détermination se concrétise avec la proposition de loi que la Haute Assemblée examine aujourd’hui.
Le contexte, vous le connaissez. Il est préoccupant, voire alarmant : tous les spécialistes auditionnés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont souligné les dangers qui découlent de l’exposition des tout-petits aux écrans.
Retard dans le développement moteur de l’enfant, apparition tardive du langage, difficultés majeures dans l’apprentissage de l’attention et de la concentration, socialisation imparfaite : les conséquences de cette surexposition des moins de trois ans sont parfaitement identifiées. Elles sont désastreuses et peuvent contrarier la capacité de ces enfants à devenir des adultes structurés, autonomes et équilibrés.
La proposition de loi qui nous est soumise s’adresse d’abord aux industriels : ils sont incités à mieux prendre en compte dans leur activité ces préoccupations psychologiques et sociologiques. Il y va de leur responsabilité sociétale.
Loin de moi l’idée que les fabricants fassent peu de cas du problème de santé humaine qui nous préoccupe ici, mais il me paraît indispensable qu’ils ne se limitent pas à reproduire les messages d’alerte et de prévention imposés par la réglementation. Ils doivent, dès à présent, reconsidérer la conception même de leurs produits et évaluer a priori les conséquences de ces derniers en cas d’usage déraisonnable, excessif ou incontrôlé.
Cette autorégulation est possible, comme le montre l’exemple de l’industrie agroalimentaire, qui s’est efforcée de réduire les teneurs en sucre, sel et graisse des produits qu’elle met sur le marché, tout en diffusant des messages de prévention pour inciter à modérer la consommation et à pratiquer le sport. Il peut en aller de même pour les fabricants de jouets, de terminaux, de contenus numériques et, plus largement, de produits connectés.
Je veux ensuite insister sur la responsabilité personnelle des parents et rappeler que l’éducation aux écrans est un devoir de tous les instants, qui ne souffre aucun relâchement.
Mais comment peut-on dissuader les enfants de recourir aux écrans si on leur donne soi-même l’exemple d’un usage immodéré des terminaux connectés, tablettes ou smartphones ? Ce serait abdiquer ses responsabilités éducatives de laisser son enfant seul face à un écran, sous prétexte qu’on est soi-même débordé, ou pour avoir la paix.
Nous le savons tous : le rôle parental suppose, sur ce sujet comme sur tous les autres, de poser des règles, de donner l’exemple, de n’accepter aucune habitude addictive.
C’est l’intérêt supérieur de nos enfants qui est en l’occurrence en jeu. Pour résister à la fascination de l’écran, il ne suffit pas d’interdire. Il faut aussi s’investir dans les activités de l’enfant, en interaction, pour qu’il sorte d’une dépendance passive, grâce à un environnement familial et social qui puisse éveiller son attention, sa curiosité, son envie d’agir. Ainsi l’aidera-t-on à construire sa personnalité.
Au-delà de la cellule familiale, essentielle en matière de prévention, il me semble que cette mission relève aussi des lieux de socialisation. Je pense évidemment au rôle décisif des structures d’accueil et des acteurs de la petite enfance : crèches, assistantes maternelles, professionnels de la protection maternelle et infantile. Mais, plus largement, il faut solliciter les professionnels de santé, notamment les pédiatres, et toute la communauté éducative.
Ces professionnels en ont bien conscience, d’ailleurs. L’engagement doit être collectif. Tous ceux qui sont en contact avec les plus jeunes peuvent prendre une part de responsabilité dans la prévention de ce comportement à risque, omniprésent et nocif.
Il convient donc que tous les professionnels qui sont en contact direct avec les enfants soient eux-mêmes formés et informés, afin de nouer avec les parents un dialogue constructif lorsque les troubles de comportement sont constatés.
Je propose également que la règle énoncée par le psychiatre Serge Tisseron, auditionné par notre commission, soit rappelée avec constance : aucune exposition aux écrans entre zéro et trois ans, en vertu du principe que le temps passé par un enfant de moins de trois ans devant un écran est préjudiciable à son développement ; pas de console de jeux portable avant six ans ; pas d’internet avant neuf ans, et seulement un internet accompagné jusqu’à l’entrée en collège ; enfin, internet seul à partir de douze ans, mais avec prudence.
Pour mobiliser les consciences, je suggère, premièrement, l’instauration d’une journée sans écran, qui permettrait aux familles de se retrouver et de faire une pause avec l’environnement numérique qui accapare toute l’attention au détriment d’autres activités favorisant le partage et l’interactivité. Je pense que cette piste mérite d’être étudiée, et je connais quelques familles qui ont renoué avec de vraies relations intrafamiliales grâce à cette pratique.
Je propose, deuxièmement, de réfléchir à la mise en place d’ateliers obligatoires pour les parents à la maternité, dans les crèches et les écoles, mais aussi, et surtout, dans les centres de PMI, même si tous ces professionnels sensibilisent déjà beaucoup les familles.
Je sais bien qu’interdire les outils numériques et leurs usages est illusoire. C’est donc bien en matière de prévention qu’il nous faut agir.
La proposition de loi de notre collègue Catherine Morin-Desailly pose les bases indispensables à la régulation de l’usage des écrans. Elle fait œuvre utile. Le groupe Les Républicains, par ma voix, la soutient donc avec conviction.
Madame la secrétaire d’État, en cette Journée internationale des droits de l’enfant, il aurait été symbolique que votre gouvernement approuve notre texte de loi. Nous sommes tous convaincus qu’il va dans le bon sens.