Le programme 146 est structurant pour nos armées, car il concerne l'équipement des forces et il représente 30 % des crédits du ministère pour 2019. En outre, avec 10,9 milliards d'euros, il s'agit aussi du premier budget d'investissement de l'Etat. Le fait majeur de ce premier budget de la nouvelle LPM, c'est naturellement la progression des crédits : + 644 millions d'euros par rapport à 2018, soit une augmentation de 6,3 %. Il s'agit bien de l'inflexion prévue par la LPM, et à ce titre on ne peut que s'en réjouir. Toutefois, cette hausse n'est pas uniformément répartie. Elle bénéficie surtout à l'action 6 « Dissuasion » (+ 331 millions d'euros) et à l'action 7 « Commandement et maîtrise de l'information » (+ 304 millions d'euros).
Mais au-delà des seuls crédits de paiements, on observe des évolutions parfois différentes pour les autorisations d'engagements, lorsque de grands programmes sont à leurs débuts. C'est le cas ainsi de l'action 8 « Projection-mobilité-soutien », dont les crédits de paiements sont en recul de 4 %, alors que les autorisations d'engagements bondissent de + 84 %, ce qui s'explique par la commande de trois pétroliers-ravitailleurs dans le cadre du programme FLOTLOG.
Cela étant, cette amélioration espérée et attendue par nos armées est fragilisée par plusieurs éléments. Le premier et le plus important d'entre eux a trait aux conditions de la fin de gestion de l'exercice 2018. Notre commission a dénoncé publiquement le fait que le Gouvernement a décidé de faire supporter la totalité du surcoût OPEX de 2018 au seul ministère des armées. Cela correspond à 404 millions d'euros qu'il faut trouver dans le budget des armées. La clef de répartition est déjà connue, et sans surprise, car c'est la pratique habituelle que notre commission dénonce régulièrement et qu'elle a encore dénoncée dans le rapport sur la LPM, c'est le programme 146 qui sera le plus lourdement impacté, avec 319 millions d'euros annulés. Il s'agit du recours à la facilité habituelle : les annulations sur les programmes d'équipements produisent des impacts de moyen-long terme, peu visibles pour nos concitoyens à court terme. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire Bercy, cela aura des conséquences concrètes pour le budget des armées en 2019. Lesquelles ? Il ne nous est pas encore possible, à ce jour, de les déterminer toutes en détail, car en réalité le Gouvernement lui-même ne semble pas avoir complètement arbitré la question. Mais il n'y a pas de miracles : ces millions annulés aujourd'hui, il faudra les payer plus tard, c'est-à-dire au cours d'une LPM qui, avant même son premier jour, est déjà dans le rouge.
Bien sûr, on pourrait dire -et le Gouvernement ne s'en prive pas- que par rapport à d'autres ministères, le ministère des armées a été plutôt bien loti, et que par conséquent, il n'y a pas lieu de se plaindre. Cet argument ne tient pas, pour trois raisons : premièrement, ces annulations ne sont pas symboliques : pour le programme 146, elles représentent 3 % des crédits ; deuxièmement, si le ministère des armées voit ses crédits augmenter, en application d'une LPM que nous presque tous votée, c'est tout simplement pour répondre à deux défis : le défi de la montée des menaces, qui a été décrit lors de la Revue stratégique, et qui a été confirmé par la LPM ; et le défi du comblement des lacunes capacitaires qui s'étaient creusées au cours de trois décennies de sous-investissement ; troisièmement, le plus grave est sans doute la logique qui sous-tend ce raisonnement : les armées ont plus de crédits, donc on peut leur en prendre plus. Si on suit ce raisonnement lorsque le budget des armées augmente d'1,7 milliard d'euros, que se passera-t-il lorsqu'il s'agira d'ajouter 3 milliards chaque année, dans la seconde partie de la LPM ? Nous nous étions tous inquiétés de la trajectoire de cette LPM. Mais les plus sceptiques d'entre nous ne s'attendaient sans doute pas à ce que nous soyons si vite dans les difficultés, alors que nous sommes dans la partie « facile » ou modeste de cette LPM qui doit nous mettre sur la trajectoire de l'Ambition 2030.
Deuxième conséquence probable de ces annulations : l'aggravation des restes à payer, ces charges qui se répercutent sur l'année suivante. Pourtant, là encore, la LPM prévoyait leur diminution progressive.
En conclusion, nous voyons malheureusement cette LPM de redressement se heurter d'emblée à des logiques budgétaires qui posent, en fin de compte, la question des priorités politiques. Il faut bien reconnaître que, dans ces conditions, on se demande comment nous allons, dans les années qui viennent, moderniser notre dissuasion, combler les trous capacitaires, moderniser les matériels conventionnels, tout en investissant les nouveaux champs de conflictualité et en renforçant le renseignement. Il y a par rapport à tous ces défis simultanés l'obligation de tenir un discours de vérité, et c'est ce à quoi nous devrons continuer à nous employer au cours de cette LPM. Pour ces raisons, je vous propose de nous abstenir sur les crédits du programme 146.