Intervention de Joël Guerriau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 novembre 2018 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « défense » - programme 212 « soutien de la politique de défense » - examen du rapport pour avis

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau, co-rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, pour 2019, les crédits de personnel inscrits au programme 212 s'établissent à 20,55 milliards d'euros, en augmentation de 1,3 % (+265 millions d'euros), soit une progression nettement plus modérée qu'en 2018 (+608 millions d'euros).

Outre une hausse mécanique des crédits destinés aux pensions, cette augmentation de la masse salariale recouvre, pour 130,3 millions d'euros, une augmentation des dépenses de rémunérations liée à la fois au schéma d'emploi et à l'application de mesures catégorielles.

S'agissant du schéma d'emploi, les 450 créations nettes prévues en 2019, conformément à la trajectoire arrêtée par la LPM, résulteront d'environ 4 250 créations de postes et de 3 800 suppressions, dans le cadre de la poursuite de la transformation de nos armées. Les nouveaux postes permettront de répondre notamment aux besoins en matière de renseignement et de cyberdéfense (+240 équivalents temps plein ou ETP), d'accompagner la montée en puissance de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) créée en 2018 et l'arrivée de nouveaux équipements au sein des forces armées (FREMM, MRTT, capacités de surveillance aérienne...), sans oublier le soutien aux exportations. Les suppressions de postes, quant à elles, seront permises notamment par la poursuite de la rationalisation du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO terrestre), la rationalisation de la carte des bases de défense (dans le cadre de la réforme des soutiens) et le retrait d'anciens équipements, notamment deux frégates et un sous-marin nucléaire d'attaque.

En termes de catégorie d'emploi, l'effort se portera sur les officiers et les civils de catégorie A, compte tenu des besoins importants en termes d'encadrement et d'expertise.

Bien sûr, comme nous l'avons souligné à maintes reprises lors de l'examen du projet de LPM, ces efforts restent insuffisants au regard des besoins : 6 000 ETP supplémentaires obtenus sur la programmation, dont les ¾ après 2022, alors que 17 000 ETP étaient demandés. Et cela indépendamment de l'éventuelle contribution des armées au futur SNU, que notre commission a bien veillé à séparer de la trajectoire de la LPM.

Pour dégager des marges de manoeuvre, il sera donc nécessaire de redéployer. C'est tout l'objet du « plan d'audit en organisation » (PAO) qui est actuellement réalisé par la direction des ressources humaines du ministère, et des 16 chantiers de transformations conduits sur son périmètre.

Pour autant, les effectifs apportés en 2019, et il faut s'en réjouir, desserreront quand même un peu la contrainte qui pèse sur l'activité opérationnelle. C'est ainsi que la Marine sera en mesure, en 2019, de développer le double équipage sur les FREMM (frégates multi-fonctions) et les patrouilleurs, qui sont les navires les plus sollicités.

Outre l'augmentation des effectifs, il faut signaler, l'impact des mesures catégorielles, pour un montant total de 131 millions d'euros. Il s'agit principalement de mettre en oeuvre la deuxième annuité du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), dont la transposition aux militaires avait été suspendue à l'automne de l'année dernière par mesure d'économie. Par ailleurs, de nouvelles mesures sont prévues pour répondre au défi de la fidélisation. Il s'agit, en effet, de répondre à la concurrence très forte du secteur privé dans de nombreux métiers (mécaniciens aéronautiques, atomiciens, spécialistes des systèmes d'information...) et de prévenir les départs prématurés qui empêchent l'institution d'amortir ses coûts de formation et mettent en danger son fonctionnement. C'est ainsi que sera créée prochainement une nouvelle « prime de lien au service » dotée de 12 millions d'euros, en remplacement de cinq primes existantes. Des mesures indemnitaires sont aussi prévues en faveur des praticiens des armées, corps qui connaît un réel problème d'attractivité.

Les dépenses non directement liées à la rémunération - dites dépenses hors socle - enregistrent une baisse de 33,5 millions d'euros, qui traduit plusieurs évolutions, notamment une diminution des dépenses de chômage des militaires (-11,8 millions d'euros) et d'aides au départ (-7,2 millions d'euros), compte tenu de la réduction des besoins. Néanmoins, le dispositif des aides au départ, qui court jusqu'à la fin de l'année 2019, devrait être maintenu, dans la mesure où il est nécessaire pour piloter le modèle « à flux » sur lequel sont bâties nos armées. Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que la publication de l'ordonnance intervienne en temps utile.

L'enveloppe destinée aux réserves est stable à 177,7 millions d'euros (+0,2%). En revanche, la dotation de titre 2 destinée aux opérations intérieures-missions intérieures est réévaluée (+64 millions d'euros, cela concerne surtout les MISSINT cette année), conformément la LPM, dans un souci de rapprochement avec le montant constaté de la dépense.

Après ce rapide tableau des crédits de titre 2 pour 2019, je voudrais insister sur trois enjeux majeurs pour l'année à venir dans le champ des RH :

- le premier est celui de l'attractivité des armées, c'est-à-dire leur capacité à recruter à la hauteur de leurs besoins, en quantité (25 300 recrutements à réaliser en 2019, je le rappelle, dont plus de 3 000 civils) mais aussi en qualité, avec la problématique des compétences rares ou critiques, et à conserver leurs ressources, en d'autres termes à les fidéliser. C'est un défi majeur, sur lequel ont insisté tous les responsables d'armées et de services que nous avons entendus. Et c'est aussi une question non neutre au plan budgétaire, comme nous venons de le voir avec cette fin de gestion 2018, les départs prématurés et la difficulté à recruter contribuant à la sous-consommation du titre 2. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la réponse à ce défi ne peut être que multi-factorielle. La LPM apporte des outils, à travers l'expérimentation de recrutements sans concours et l'assouplissement du recours à des personnels contractuels pour pourvoir certains postes présentant des vacances d'emploi dans des spécialités bien identifiées (génie civil, systèmes d'information..). Le présent PLF prévoit, quant à lui, le financement de la nouvelle prime dite « de lien au service » qui devrait être attribuée par chaque armée selon ses besoins. Contribuent aussi à l'attractivité et la fidélisation une gestion plus dynamique et cohérente des carrières, de même que les mesures susceptibles de diversifier l'activité dans les métiers réputés monotones, ou à réduire l'usure générée par la suractivité, par exemple en étoffant les équipes. Il faut, bien sûr, citer aussi le « plan familles », qui vise à apporter des améliorations à la vie quotidienne en termes de gardes d'enfants, d'accompagnement du conjoint vers l'emploi, de prévisibilité de l'activité et des permissions, de mobilité... et plus largement, l'attention portée à la condition du personnel.

- Le deuxième défi concerne la rémunération des militaires, avec plusieurs rendez-vous à risque. En premier lieu, le prélèvement à la source, qui ne devra pas conduite à soumettre à l'impôt certaines primes et indemnités non fiscalisables, comme celles que les militaires perçoivent lorsqu'ils partent en OPEX. En second lieu, la bascule de Louvois à Source Solde, qui devrait intervenir au printemps 2019 pour la Marine nationale, sous réserve que les pré-soldes conduites en double dans un premier temps donnent satisfaction, avant d'être étendue aux autres armées. Le désastre Louvois ne doit pas se reproduire ! Enfin, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), réforme de grande ampleur (puisque quelque 300 000 agents sous statut sont concernés) sera engagée dès 2019. Les objectifs de ce vaste chantier, l'une des priorités du ministère au cours de la prochaine programmation, sont multiples. Il s'agit de simplifier un système indemnitaire comprenant 174 primes pour en améliorer la lisibilité et réduire les coûts de gestion, mais aussi assurer l'attractivité des emplois et des carrières, favoriser une gestion différenciée du personnel et la maîtrise de la masse salariale. Selon la méthodologie adoptée, la nouvelle rémunération devrait prendre en compte huit paramètres différents tels que les sujétions statutaires, l'exercice de responsabilités, l'engagement opérationnel, les activités spécifiques à haut niveau d'exigence, la mobilité...480 millions d'euros sont prévus dans la LPM 2019-2025 pour mener à bien cette réforme techniquement délicate et sensible et compenser les pertes de revenus. Pour autant, la perspective de sa mise en oeuvre, à compter de 2021, est un motif d'inquiétude pour les militaires.

- Enfin, le troisième défi, qui vient s'ajouter aux précédents, est celui de la réforme des retraites, qui vise à remplacer l'actuel système actuel par répartition par un système dits « à points ». Cette réforme permettra-t-elle de conserver la singularité militaire, qui se traduit par des bonifications spécifiques et par des limites d'âges et un dispositif de décote adaptés à des carrières courtes ? Le 13 juillet 2018, le Président de la République a donné des assurances en ce sens, mais l'économie du projet n'est pas encore connue et devra être examinée attentivement le moment venu, dans le courant de l'année 2019.

Je cède maintenant la parole à mon collègue Gilbert Roger.

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