Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2018 à 8h40
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « outre-mer » - examen du rapport pour avis

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis :

L'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2019 intervient à un moment clef pour les outre-mer.

Ce budget doit permettre de donner une traduction concrète aux orientations définies dans le « Livre Bleu Outre-mer », élaboré dans le prolongement des Assises des outre-mer. Il vise, selon l'objectif exprimé par le Président de la République, à donner aux territoires ultra-marins les moyens de leur développement.

Les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2019 sont répartis, comme les années précédentes, en deux programmes respectivement consacrés à l'emploi outre-mer et aux conditions de vie outre-mer. Ils s'élèvent à 2,57 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2,49 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse respectivement de 22,5 % et de 20,52 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.

Cette forte hausse s'explique toutefois par des mesures de périmètre : à périmètre constant, les crédits sont stables. Je souhaite détailler ces mesures de périmètre, qui impliquent des évolutions fiscales d'ampleur.

La TVA non perçue récupérable est supprimée par l'article 5 du projet de loi de finances pour 2019, tandis que le plafonnement de la réduction d'impôt sur le revenu dans les départements d'outre-mer et collectivités régis par l'article 73 de la Constitution est réduit par l'article 4. Les sommes correspondant aux économies ainsi réalisées sont budgétisées au sein des crédits de la mission, ce qui permet des dépenses plus ciblées et efficaces.

S'y ajoute une réforme des exonérations de cotisations patronales prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. Cette réforme, rendue nécessaire par la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au niveau national, permet une clarification bienvenue des exonérations de cotisations patronales dans les territoires ultra-marins. Alors que le texte de l'Assemblée nationale concentrait les exonérations sur les bas salaires, l'examen au Sénat a permis un relèvement des seuils de deux à trois SMIC, ce qui me paraît nécessaire au vu des problématiques d'attractivité sur les postes d'encadrement auxquelles font face nos territoires.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent cependant qu'un dixième de l'effort financier total de l'État en faveur des territoires ultramarins. Cet effort comporte un volet budgétaire, avec des crédits d'un montant total de 18,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,41 milliards d'euros en crédits de paiement, répartis sur 88 programmes relevant de 31 missions budgétaires, et un volet fiscal, avec des dépenses fiscales d'un montant estimé à 4,3 milliards d'euros pour 2019.

Au total, le PLF pour 2018 consacre plus de 23 milliards d'euros en autorisations d'engagement et plus de 22 milliards d'euros en crédits de paiement aux territoires ultramarins, en hausse respectivement de 7,6 % et de 4,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.

Cette forte augmentation témoigne de la prise de conscience par l'État, à la suite des Assises des outre-mer, de la nécessité d'apporter des réponses aux difficultés spécifiques auxquelles sont confrontés nos territoires ultra-marins.

Ces éléments me conduisent à vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

J'en viens maintenant au sujet transversal que j'ai souhaité aborder cette année : la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer.

Ce thème est en lien avec l'avis que notre collègue Alain Marc nous présentera tout à l'heure sur le programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

Comme le disait Albert Camus, « une société se juge à l'état de ses prisons ». En dépit d'améliorations récentes et en cours, la condition pénitentiaire dans les outre-mer reste globalement déplorable et présente des spécificités qui sont insuffisamment prises en compte.

Les personnes détenues dans les outre-mer souffrent, comme en métropole, de la promiscuité provoquée par le surencombrement d'un grand nombre d'établissements pénitentiaires, et de difficultés d'accès aux soins, faute de structures médicales adaptées et de personnels de santé en nombre suffisant. À titre d'exemple, il n'existe pas d'unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) ni d'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) dans les outre-mer.

Les personnes détenues dans nos territoires souffrent également d'un relatif isolement tenant, d'une part, aux lieux d'implantation des établissements pénitentiaires, qui les éloignent de leurs proches, d'autre part, à la forte proportion d'étrangers, particulièrement en Guyane et à Mayotte. Cette proportion s'établit ainsi à 52 % dans le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane, alors que la moyenne nationale est de 18 %.

Les détenus souffrent enfin d'un profond désoeuvrement, faute d'accès au travail, à la formation ou à d'autres activités. Alors que la moyenne de trois heures d'activité journalière par personne détenue en métropole est considérée comme largement insuffisante, les détenus ultra-marins n'ont accès qu'à deux heures d'activité hebdomadaire, soit un quart d'heure par jour !

En conséquence, la violence y est omniprésente, tant entre détenus qu'à l'égard des personnels pénitentiaires. Cela a été fortement signalé au cours de mes auditions, en particulier par les surveillants pénitentiaires.

Au vu de ces difficultés, il me semble indispensable de mettre un oeuvre une politique ambitieuse pour les établissements pénitentiaires ultramarins, en poursuivant trois objectifs.

Le premier objectif est de mieux prendre en compte les spécificités des outre-mer. Pour y parvenir, il me semble indispensable de transformer la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer en direction interrégionale, à l'instar des services en charge du territoire métropolitain, avec des moyens humains et financiers renforcés. Il s'agit d'une demande unanime des personnes entendues en audition, y compris des services de l'État.

Le deuxième objectif est de réduire la surpopulation carcérale, ce qui nécessite la construction de nouvelles places de prison - les outre-mer n'ont pas été oubliées par le Gouvernement dans le plan de construction des 15 000 nouvelles places -, le renforcement des alternatives à l'incarcération et le développement des conventions internationales bilatérales. Ces conventions doivent permettre de trouver des solutions à la présence importante de détenus étrangers en situation irrégulière, en particulier en Guyane et à Mayotte.

Le troisième objectif est de favoriser la réinsertion des détenus. En amont, il faut identifier les freins spécifiques aux territoires ultramarins : les tissus associatifs et économiques sont modestes, ce qui rend plus difficile la mise en oeuvre des projets de sortie. La prise en charge psychiatrique déficiente ne permet pas d'obtenir les expertises nécessaires à un aménagement de peine.

Mieux préparer la sortie de prison implique donc un renforcement des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) dans les territoires ultramarins. Je salue sur ce point les évolutions récentes qui vont permettre la mise en place de SPIP sur les territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, qui en étaient jusque-là dépourvus.

Enfin, mieux préparer la réinsertion nécessite de prendre en compte les spécificités locales. J'appuie le développement des travaux d'intérêt général (TIG) en milieu coutumier car ils permettent une bonne association entre les services de l'État et les autorités coutumières en Nouvelle-Calédonie. Ils pourraient également être mis en oeuvre en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, ainsi qu'à Mayotte et en Guyane.

Enfin, il importe de nouer un dialogue avec nos compatriotes des territoires ultramarins et de faire oeuvre de pédagogie pour favoriser une meilleure acceptation de la prison et lutter contre la fameuse loi d'airain dénoncée par notre ancien collègue Robert Badinter : en raison de leurs conditions de vie souvent difficiles, nombre de nos concitoyens ultramarins éprouvent en effet le sentiment délétère, exacerbé lorsque la population carcérale comprend un grand nombre d'étrangers, selon lequel les personnes détenues auraient un sort plus enviable que le leur.

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