Le programme « Administration pénitentiaire » représente 41,41 % des crédits de la mission « Justice », soit 3,75 milliards d'euros de crédits de paiement en 2019. Ces derniers augmentent de + 5,75 %, soit 203 millions d'euros supplémentaires. Les autorisations d'engagement diminuent en revanche de 151,57 millions d'euros et de 4,36 % pour s'établir à 3,325 milliards d'euros.
Presque la moitié de la hausse des crédits de paiement s'explique par l'augmentation des crédits consacrés aux dépenses de personnel. C'est bien normal après le mouvement de janvier dernier qui a démontré le malaise des surveillants en situation de sous-effectif chronique. Le plafond d'autorisation d'emplois pour 2019 est relevé à 41 514 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une hausse de 3,2 % par rapport à l'année dernière. Cette évolution permet la création de 959 postes.
Je ne reviens pas sur l'absence d'attractivité des postes de surveillants pénitentiaires : lorsque l'on a un candidat pour une place, c'est déjà exceptionnellement bien.
L'augmentation globale des crédits du programme ne doit pas occulter des baisses préoccupantes au sein du budget. Ainsi, les dépenses relatives à la formation professionnelle des détenus diminuent de près de 10 % par rapport à la loi de finances pour 2018 : seulement 14,6 millions d'euros y seraient consacrés en 2019.
Les dépenses d'intervention en matière de politiques d'insertion en faveur des personnes placées sous main de justice diminuent également de plus de 30 % : seulement 8,6 millions d'euros seraient consacrés en 2019 au développement des activités culturelles et sportives des personnes détenues.
Le budget consacré à l'administration pénitentiaire augmente mais ses missions et le nombre de personnes prises en charge augmentent également. Au 1er avril 2018, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivaient 165 388 personnes en milieu ouvert, soit 3 % de plus qu'en 2016.
L'essentiel des mesures suivies par les SPIP étaient des mesures post-sentencielles notamment des mesures de sursis avec mise à l'épreuve ou des mesures de travail d'intérêt général.
Si le nombre de personnes suivies en milieu ouvert augmente, le nombre de personnes placées sous écrou continue également de croître à un rythme très soutenu : + 3,5 % au 1er octobre 2018 par rapport au 1er octobre 2017. Au 1er octobre 2018, un nouveau record a été atteint : 81 884 personnes étaient placées sous écrou, dont 70 714 étaient détenues, soit + 3,1 % par rapport au 1er octobre 2017. Parmi les 70 714 personnes détenues, 20 915 étaient prévenues et 49 799 étaient condamnées.
Dans ce contexte de hausse continue du nombre de personnes prises en charge, en détention comme en milieu ouvert, l'augmentation des crédits prévue pour 2019 apparaît insuffisante. La situation demeure extrêmement préoccupante dans les établissements pénitentiaires en raison d'un parc immobilier à la fois sous-dimensionné pour la population carcérale et insuffisamment entretenu. La surpopulation carcérale soumet les chefs d'établissement à des choix cornéliens : ils sont conduits à incarcérer dans des cellules individuelles de 9 m², deux, trois, voire quatre personnes qui ne partagent ni la même tranche d'âge, ni la même confession religieuse, ni la même situation psychologique, ni la même situation pénale (prévenu ou condamné), ni la même catégorie d'infraction à l'origine de leur incarcération. On peut trouver dans une même cellule des auteurs de délits routiers et de crimes sexuels.
Cette surpopulation carcérale entraîne naturellement une concurrence entre détenus pour accéder aux activités ou au travail. Si les détenus souhaitent très majoritairement accéder au travail, seulement 28,6 % de la population carcérale a pu travailler, ce qui est vraiment peu, sur les quatre premiers mois de 2018. Seuls 24 % des détenus majeurs ont pu être scolarisés en 2017.
En moyenne, les détenus n'ont que 3 heures et 46 minutes d'activités par jour. Ces « activités » incluent le travail, la formation professionnelle, l'enseignement, les activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques.
Les détenus sont également en concurrence pour accéder aux douches. Seulement 30 % des cellules du parc pénitentiaire hexagonal sont équipées d'une douche. Ainsi, la majorité des détenus ne peut se doucher que deux à trois fois par semaine : à chaque fois, cela entraîne un mouvement qui consomme du temps de surveillant. Ces mouvements génèrent des tensions entre ceux qui ont le droit d'aller prendre une douche et les autres.
Outre des conditions d'hygiène insuffisante, la promiscuité est génératrice de violence, qui peut être exercée par les détenus contre eux-mêmes (automutilation, suicide) ou contre les autres. Ainsi, le nombre d'incidents dont sont victimes les personnes détenues de la part de leurs codétenus a augmenté de 8,85 % entre 2017 et 2018.
109 suicides sont à déplorer sur les neuf premiers mois de l'année 2018.
Les mauvaises conditions de détention des détenus compliquent considérablement le travail des surveillants qui sont confrontés à ces situations, particulièrement dans un contexte de sous-effectif chronique. Plus de 7 % des postes de surveillants sont actuellement vacants.
Après cette présentation générale, j'aimerais m'attarder sur trois sujets de préoccupation qui me paraissent importants.
Tout d'abord, j'ai été très surpris de la carence des outils statistiques de l'administration pénitentiaire : il n'existe aucune véritable évaluation des politiques publiques en matière pénale et carcérale.
En premier lieu, il y a un déficit de connaissance de la population pénale : qui est condamné ? Quelle est sa situation sociale et familiale ? On ne dispose d'aucune donnée récente et fiable sur le niveau de santé des personnes détenues, sur leurs addictions éventuelles ou la part des troubles psychologiques, même si elle est évaluée a priori à 40 % en détention.
En second lieu, aucune évaluation n'est réalisée sur l'efficacité des politiques conduites. Il n'y a aucun véritable indicateur de performance concernant l'administration pénitentiaire. Par exemple, certains détenus suivent un programme de prévention de la radicalisation violente. Dans le projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances, a été créé un indicateur qui mesure l'évolution du taux de détenus radicalisés ayant participé à ce programme ; c'est intéressant mais c'est un indicateur d'activité, pas de performance. Ce qu'il faudrait, c'est évaluer l'efficacité de ces programmes de prévention, l'impact qu'ils ont sur les détenus. Or, au fur et à mesure de nos investigations, ces problématiques se sont avérées complexes : il faudrait passer des années à établir un outil d'évaluation indépendant, externe et pertinent. Aujourd'hui, nous travaillons sur la base d'éléments statistiques fournis au fil de l'eau, et sans données de long terme, ce qui n'est pas très satisfaisant.
Ensuite, deuxième sujet de préoccupation, les services pénitentiaires d'insertion et de probation vont avoir énormément de difficultés à mettre en oeuvre la réforme de la justice.
D'une part, parce que contrairement aux annonces du Gouvernement, il n'y aura pas 8 000 détenus en moins. Cette projection est irréaliste alors que nombre de mesures du projet de loi vont conduire à davantage d'incarcérations, notamment en détention provisoire.
D'autre part, parce que le projet de loi veut augmenter le nombre de mesures suivies en milieu ouvert mais n'augmente les effectifs des SPIP que dans deux à trois ans au mieux. En effet, il faut compter le temps de recrutement et de formation - deux ans - des conseillers pénitentiaires et d'insertion (CPIP).
Enfin le dernier sujet de préoccupation concerne le plan des 15 000 nouvelles places de prison. Contrairement aux engagements du Président de la République, seulement 7 000 nouvelles places de prison seront créées par le Gouvernement d'ici 2022.
Sur les 7 006 places effectivement prévues pour être livrées avant 2022, 30,4 %, soit 2 130 places, ne concerneront pas des maisons d'arrêt ou des établissements pour peines, mais seront des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), soit des centres à sécurité allégée.
La quasi-intégralité des places, hors SAS, annoncées pour 2022 relève en réalité de la livraison d'autres programmes, principalement le programme « 63 500 » lancé en 2011 et le programme « 3 200 » lancé en 2014. Ainsi, 92,6 % des places annoncées pour la création de maisons d'arrêt ou de centres pénitentiaires en 2022 relèvent des programmes précédents, soit 4 516 places sur 4 876 prévues.
Ainsi, par exemple le Gouvernement inclut dans son plan la livraison des 734 places de la maison d'arrêt Paris - La Santé, projet lancé en 2014.
Surtout, le plan 15 000 places ne permettra pas de mettre en oeuvre d'ici 2022 le droit à l'encellulement individuel, pourtant voté en 1875. Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel d'ici 2022, il faudrait construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici 2022, selon les hypothèses d'évolution de la population carcérale.
L'administration pénitentiaire ne croit pas non plus à une réduction du nombre de détenus. Dans le PAP pour 2019, les prévisions de l'indicateur du nombre de détenus par cellule sont en augmentation : 1,42 en 2020 au lieu de 1,33 en 2017. Ces prévisions pessimistes apparaissent cohérentes avec la projection de la population pénale et démontrent l'incapacité du programme actuel de 7 000 places à résorber de manière significative la surpopulation carcérale.
J'ai pu constater lors de ma récente visite à Paris - La Santé avec certains de mes collègues que l'ensemble des cellules individuelles de 9 m² ont d'ores et déjà été « doublées », avec des lits superposés, afin d'accueillir deux personnes par cellule dès la réouverture de l'établissement en janvier 2019.
Enfin, je m'interroge sur la pertinence de ne créer que des maisons d'arrêt et non des établissements pour peines alors que l'ensemble des directeurs que j'ai rencontrés souhaitent un programme axé sur les établissements pour peines. Il est temps de revenir aux fondamentaux : les condamnés, même pour des courtes peines, doivent être incarcérés dans des établissements pour peines. Seuls ces établissements permettent aux détenus de s'inscrire dans un parcours de réinsertion et permettent de lutter contre la récidive.
Même si je constate, dans ce projet de loi de finances pour 2019, une poursuite de l'effort budgétaire en faveur de l'administration pénitentiaire, ce budget est insuffisant pour répondre au malaise des surveillants, pour permettre la bonne application de la réforme de la justice et pour incarcérer dans des conditions décentes.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.