Intervention de Christophe Castaner

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2018 à 18h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition de M. Christophe Castaner ministre de l'intérieur

Christophe Castaner , ministre de l'intérieur :

Ce budget traduit une priorité politique claire, reflétant la conscience qu'ont le Président de la République et le Premier ministre de l'importance des missions exercées par le ministère de l'intérieur.

Pour la seconde année consécutive, les moyens du ministère progressent sensiblement, de 3,4 % à périmètre constant, soit 575 millions d'euros. C'est là une orientation forte de ce quinquennat : dans tous les domaines d'action du ministère, non seulement nous consolidons les efforts passés, mais nous les inscrivons dans la durée en les accentuant.

Des plans d'urgence avaient été mis en place, notamment après 2015, sur des politiques de recrutement, mais aussi sur un certain nombre d'actions. Tous ces plans ont été pérennisés dans le budget de l'année dernière. Il a en outre été décidé d'augmenter les moyens du ministère, et cela concerne au premier chef le budget de la sécurité intérieure.

Même si dans l'opinion publique le risque terroriste semble moins présent, il demeure, sous des formes différentes. Jusqu'à présent, les attentats terroristes étaient préparés depuis des pays étrangers. Aujourd'hui, le risque est principalement endogène. Daesh est particulièrement affaibli, même si, par ses outils de communication et de propagande via les réseaux sociaux - plusieurs dizaines de vidéos chaque jour -, il peut encore inspirer un certain nombre d'individus.

Depuis janvier 2015, la France a fait l'objet de 12 attaques terroristes. Elles ont causé la mort de 246 personnes, et prennent des formes différentes : organisées - comme celle que nous commémorons aujourd'hui - ou ayant pour auteur un individu isolé - comme celle qui a eu lieu le 12 mai dernier à Paris. Par ailleurs, 55 tentatives ont été déjouées depuis 2015, dont 20 en 2017 et 6 en 2018 - chiffre qui ne comptabilise pas les tentatives d'attentat des réseaux de l'ultradroite, mais seulement celles qui sont liées à l'islamisme radical.

Depuis les revers subis par l'État islamique dans la zone irako-syrienne, les choses ont donc évolué, nous sommes passés à un risque endogène. Est-il plus facile à gérer, à appréhender, à anticiper ? Personne ne peut le dire. Toujours est-il que la montée en puissance, depuis 2015, de notre système d'information et de renseignement permet d'avoir une vision beaucoup plus claire, beaucoup plus en amont.

En outre, la coopération internationale a atteint un niveau assez exceptionnel. Ainsi la dernière interpellation, à la fin du mois d'octobre, a été permise grâce à un travail de coopération internationale.

Un outil comme le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) recense 10 030 individus.

J'ai signé aujourd'hui une circulaire à destination des préfets pour leur demander, conformément à l'engagement qu'avait pris le Président de la République, d'informer les maires sur trois points. Premièrement, sur le risque global qui existe sur la commune, soit de façon permanente, soit de façon ponctuelle : un maire qui veut organiser un marché de Noël ou un grand événement culturel a besoin d'être informé sur le niveau de risque, pour prendre les mesures adéquates. Les préfets devront fournir le maximum d'informations. Deuxièmement, quand un maire ou son adjoint à la sécurité informeront nos services d'un risque avec telle famille ou telle personne, le préfet devra en retour les informer de la suite donnée - classement, interpellation, incarcération. Troisièmement, les maires seront systématiquement informés de toute inscription au fichier FSPRT d'une personne exerçant des fonctions municipales « à risque » - dans une crèche, au sein de la police municipale, etc. En échange, une charte de confidentialité sera signée entre le maire et le préfet.

La menace terroriste a changé de nature, mais elle est toujours présente et mobilise très fortement nos forces de sécurité, qui ont appris de l'épreuve et savent agir avec une grande efficacité.

La sécurité, c'est aussi la sécurité du quotidien. Pour la police et la gendarmerie, les crédits sont globalement en hausse de 11,9 %, soit 1,4 milliard d'euros. Le budget de fonctionnement et d'investissement des services augmente de plus de 17 % par rapport à 2015, soit près de 350 millions d'euros. Le message est donc clair : les mesures qui étaient hier exceptionnelles et limitées dans le temps - les fameux plans - ont été inscrites dans la durée. Les moyens de sécurité sont donc restaurés progressivement, même s'il y a encore de la marge. Cela répond à ce besoin de sécurité, mais également à ce malaise grandissant au sein des forces qui a éclaté en 2016 et en 2017, après un véritable acte de guerre à l'encontre de quatre policiers qui surveillaient une caméra installée pour éviter les vols à la portière.

Le Gouvernement et moi-même ne nous satisfaisons pas de cette consolidation des moyens. Nous avons souhaité accentuer l'effort dans trois domaines : les effectifs, l'immobilier et l'équipement. Certains considéreront que ce n'est pas assez, mais nous savons ce qu'est l'équilibre budgétaire de l'État. Or, en deux budgets, les crédits augmentent de plus de 1 milliard d'euros.

Concernant les effectifs, à la suite de ce qui a été engagé après les attentats, 10 000 postes de policiers et gendarmes supplémentaires seront créés, avec un effort particulièrement important en début de quinquennat : après 2 000 recrutements en 2018, 2 500 sont prévus pour 2019, 1 500 les deux dernières années du quinquennat, et ce au bénéfice de toutes les composantes de la sécurité intérieure - sécurité publique, quartiers de reconquête républicaine, police aux frontières, services de renseignement. S'agissant de ces derniers, nous voulons recruter 1 900 personnes pour que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) monte en puissance, avec des profils variés.

Entre les départs à la retraite et les recrutements nets, nos écoles de police devront recruter et former 4 500 personnes : exercice difficile, compte tenu de la sélectivité dont nous devons faire preuve.

Dans le passé, on a pu donner la priorité aux recrutements en négligeant les moyens, matériels ou immobiliers. Le budget pour 2019 donne corps à notre projet d'une police et d'une gendarmerie aux ambitions renouvelées, respectées, tirant le meilleur parti du progrès et de la technologie. Ainsi, nous avons prévu la commande de 5 800 véhicules neufs dans les deux forces en 2019, soit pour un montant de 137 millions d'euros, niveau jamais atteint ces dix dernières années. Nous voulons améliorer l'état du parc : la moyenne d'âge de nos véhicules est aujourd'hui supérieure à sept ans. Non seulement ils sont en mauvais état, mais ils ne sont nullement adaptés aux conditions de travail et d'intervention des forces de l'ordre. La typologie des achats de véhicules en tient compte et, par exemple, nous privilégions plutôt des véhicules break.

Concernant leur équipement technologique, nos forces de sécurité, avec les tablettes et smartphones, disposent d'un accès facilité aux systèmes d'information et peuvent développer de nouveaux modèles de mobilité, renforcer leur opérationnalité sur le terrain. Certes, lors de mes déplacements, on me présente toujours ce qui va bien, je ne suis pas dupe. Cependant, le matériel à disposition de nos forces de l'ordre s'est fortement amélioré. Au cours du premier trimestre de 2019, 50 000 tablettes et smartphones Néopol et 67 000 équipements Néogend auront été déployés ; 10 000 équipements supplémentaires le seront en 2019 comme en 2020.

Notre budget permettra également de poursuivre la diffusion des caméras piétons : en 2019, 14 000 caméras supplémentaires équiperont nos forces de l'ordre. C'est un outil de prévention majeur : les policiers que j'ai interrogés me disent que sa présence apaise la relation avec un individu qui pourrait avoir un mauvais comportement s'il n'était pas filmé.

Il y a de l'immobilier de qualité dans notre police et dans notre gendarmerie, mais il y a aussi de vrais scandales. En 2019, 300 millions d'euros sont destinés à financer des opérations de construction ou de rénovation lourde des lieux de vie et de travail. Le budget dédié aux opérations de maintenance lourde a été très fortement augmenté, il est trois fois supérieur à ce qu'il était en 2015. Cela évitera demain d'avoir tout à reconstruire...

J'ai visité le commissariat d'une ville du Nord, maison bourgeoise de 300 mètres carrés datant des années trente, demeurée « dans son jus » et où travaillent 40 policiers. La construction d'un nouveau commissariat est prévue, pour 4,4 millions d'euros. Un lieu inapproprié est difficile à vivre pour les intéressés : si nous ne les dotons pas d'équipements et de locaux corrects, nous sommes les premiers responsables s'ils ne sont pas respectés...

Les crédits dédiés aux politiques d'immigration, d'asile et d'intégration seront désormais crédibles et réalistes. Ils augmenteront de 13 % à périmètre constant en 2019, après une progression de 28 % en 2018. Notre pays demeure soumis à une pression migratoire intense, évolutive, qui appelle des réponses et des actions déterminées, mais équilibrées. J'étais hier à la frontière entre la France et l'Espagne, avant de rencontrer le ministre de l'intérieur espagnol, et je me rendrai jeudi au Maroc. Des trois routes migratoires que nous connaissions, celle de l'Espagne est devenue la principale, les deux autres s'étant taries, même si la Grèce reste soumise à une pression forte.

Les migrants qui arrivent de la sorte dans notre pays choisissent celui-ci ou bien la Belgique comme destination finale. Ils proviennent pour l'essentiel de pays francophones qui ne sont pas considérés comme étant à risque sur le plan politique. Ils ne peuvent pas prétendre au droit d'asile - il s'agit en fait surtout d'une immigration économique irrégulière. Pour preuve, la pression migratoire reste extrêmement forte à Bayonne, alors même que le centre de Bordeaux qui gère la procédure d'asile a enregistré une baisse du nombre de demandes, de 5 à 6 %. Avec mon homologue espagnol, nous voulons renforcer les moyens pour faire face à cette immigration économique.

Nous avons l'ambition de renforcer les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés. Nous allons créer 1 000 places en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), 2 500 places d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) et 2 000 places en centres provisoires d'hébergement, qui visent à faciliter l'accès au logement des réfugiés les plus vulnérables.

Il faut souligner un certain paradoxe : alors que les flux migratoires ont diminué de 95 % en Europe par rapport à 2015, on a assisté à leur augmentation en France, l'année dernière et cette année, parce que nous sommes un pays secondaire d'immigration, notamment pour les migrants qui, après avoir demandé le statut de réfugié dans un premier pays, le demandent ensuite en France. Les Afghans, par exemple, savent qu'ils ont plus de chances d'obtenir le statut de réfugié en France qu'en Allemagne. Nous devons donc travailler à une meilleure cohérence dans l'évaluation. J'assume que nous soyons généreux, mais nous devons prendre en compte ces réalités. Récemment, la cour d'appel de Douai a décidé qu'un Kurde irakien, selon la région irakienne où il résidait, ne pouvait pas revendiquer de provenir d'un pays à risque. Cette décision nous a aidés au moment où nous avons pris la décision d'évacuer le camp de Grande-Synthe ; et les filières, très organisées, seront contraintes d'évoluer. Je parle là des filières à destination du Royaume-Uni, qui n'ont rien à voir avec l'immigration essentiellement économique qu'on observe du côté de l'Espagne.

Le Gouvernement a la volonté que soient traitées les demandes d'asile dans un délai de six mois en moyenne. Des renforts et des moyens supplémentaires sont alloués à tous les segments de la chaîne d'asile. C'est une ambition humanitaire et un gage d'efficacité : comment annoncer à quelqu'un qui vit en France depuis deux ou trois ans qu'il n'aura pas de papiers ? Il ne retournera pas dans son pays.

Quant à la lutte contre l'immigration économique irrégulière, nous la voulons ambitieuse, crédible et déterminée. C'est indispensable pour garantir ce qui fait l'honneur de la France : sa capacité à assumer sa politique d'asile. Depuis deux ans, on assiste à une reprise nette des éloignements d'étrangers sans droit de séjour : après une hausse de 14 % en 2017, l'augmentation sur les premiers mois de l'année est de 20 %. J'ai demandé aux préfets d'amplifier cette dynamique. Pour cela, des moyens supplémentaires étaient nécessaires : des places en centre de rétention administrative (CRA) ont été créées et un plan d'investissement est prévu, pour 48 millions d'euros.

Troisième axe de notre action : le changement d'échelle de notre politique d'intégration des étrangers. Si l'on autorise une personne à rester en France, il faut lui donner les moyens de s'intégrer. Depuis de trop longues années, on débat des chiffres sans se préoccuper suffisamment de l'intégration - la maîtrise du français, la compréhension des valeurs républicaines qui fondent notre vivre ensemble. D'où les moyens supplémentaires que nous accordons à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Ce budget pour 2019 nous donne les moyens d'une politique ambitieuse pour faire face aux défis des migrations et de l'intégration des étrangers en France, comme pour garantir les termes d'un contrat opérationnel avec la Nation à la hauteur des enjeux de sécurité.

J'en viens aux investissements nécessaires pour préparer l'avenir. Face à une menace longue, il faut donner des moyens à la DGSI : moyens humains, mais aussi création d'un site unique d'ici 2022, car les agents sont actuellement répartis sur trois sites. C'est une opération de 450 millions d'euros, distincts des 310 millions d'euros évoqués tout à l'heure.

Dans ce grand ministère de main-d'oeuvre, il est nécessaire aussi d'accompagner le virage technologique pour tirer le meilleur parti de la révolution numérique, afin que nos policiers et nos gendarmes soient au maximum sur le terrain et de moins en moins dans des bureaux. Il y a quatre chantiers majeurs : un plan d'investissement de 22,5 millions d'euros destiné à mettre au meilleur niveau technologique les réseaux, outils et techniques de renseignement de la DGSI ; 11 millions d'euros seront dédiés à la modernisation des centres d'information et de commandement pour améliorer le pilotage des interventions de police secours, ainsi que l'efficacité et la rapidité de traitement des appels d'urgence ; 10 millions d'euros seront consacrés à la mise en place d'un plan de renforcement de la sécurité des applications et systèmes d'information du ministère de l'intérieur - nous ne sommes pas assez protégés, et je ne suis pas sûr que nous le serons demain suffisamment, les hackeurs étant de plus en plus offensifs. Le ministère n'a pas le droit à l'erreur. La confiance de nos concitoyens dans l'action des forces de l'ordre et la protection des libertés publiques en dépend. Enfin, 22,5 millions d'euros seront mobilisés en 2019 pour entrer dans la phase opérationnelle du projet réseau radio du futur.

Préparer l'avenir, c'est investir, mais c'est aussi s'engager dans des réformes structurelles destinées à transformer le ministère et ses réseaux. On ne peut pas demander aux Français de faire des efforts si nous-mêmes nous n'en faisons pas. Le ministère se doit d'être exemplaire. J'ai confié au nouveau secrétaire général, le préfet Mirmand, la mise en place d'un pilotage financier transversal pour tout le ministère. Car le suivi budgétaire a suscité l'année dernière des inquiétudes - j'attends sur ce sujet un rapport de l'Inspection générale de l'administration et l'Inspection générale des finances. En raison de dérapages dans la masse salariale, il a fallu couper dans d'autres dépenses, notamment celles de la réserve !

Nous voulons aussi approfondir la politique de substitution, avec un objectif de 800 substitutions par an (5 000 sur le quinquennat) : cela consiste à envoyer sur le terrain les policiers et gendarmes exerçant une tâche administrative, par souci d'efficacité et parce que c'est leur demande. Évidemment, nous aurons besoin d'en garder quelques-uns dans des emplois fonctionnels !

J'ai demandé une réduction des effectifs de cabinet et d'état-major en centrale. Enfin, même si c'est difficile à mettre en oeuvre, je souhaite la création d'un service ministériel des achats pour optimiser l'organisation de cette fonction et faire des économies par la mutualisation des commandes et la massification des achats, ainsi que la mise en place d'une direction unique du numérique pour rassembler les moyens et les savoir-faire, aujourd'hui dispersés dans dix programmes budgétaires différents, trois services centraux, une direction de la préfecture de police et deux opérateurs.

Le Premier ministre a décidé récemment que le ministère de l'intérieur - les préfets en particulier - serait le pilote de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, dans un but de redépartementalisation, à opérer bien sûr en lien avec les responsables des autres ministères. Le but est que l'État ait une parole unique dans les départements et que les préfets, en cas de difficulté sur un dossier, travaillent avec l'ensemble des acteurs, de quelque ministère qu'ils relèvent.

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