Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j'aimerais revenir sur le chiffre de 13 milliards d'euros, qui constitue souvent un abus de langage que l'on retrouve dans la presse. Ce n'est pas la même chose de demander à 322 collectivités parmi les plus importantes de limiter leurs dépenses réelles de fonctionnement que de diminuer les recettes de l'ensemble des collectivités, comme on a pu le faire dans le passé !
Je m'attarderai tout d'abord sur la question des dotations que l'on ne diminue plus. Je considère qu'il s'agit du premier pilier de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » pour le budget 2019. Il est vrai que nous gelons les dotations et que l'ensemble est plafonné, mais c'est une trajectoire que nous assumons : on ne peut d'un côté reprocher au Gouvernement de ne pas faire suffisamment d'économies et, de l'autre, lui demander d'augmenter l'ensemble des concours financiers.
Plusieurs choix ont été opérés, parmi lesquels celui de faire avancer la péréquation. C'est une demande de l'ensemble des associations d'élus, que nous mettons en oeuvre à la fois pour les communes urbaines très pauvres, avec une augmentation de 90 millions d'euros de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), et pour les communes rurales très pauvres, avec une augmentation de 90 millions d'euros de la dotation de solidarité rurale (DSR). Nous prévoyons par ailleurs une augmentation de 10 millions d'euros des dotations de péréquation des départements, la dotation de péréquation urbaine (DPU) et la dotation de fonctionnement minimale (DFM). Il s'agit de faire en sorte que personne ne soit oublié.
À cela s'ajoute la réforme de la dotation d'intercommunalité - la DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. C'est également une demande ancienne des associations d'élus - qu'il s'agisse de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) ou de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) - et surtout du comité des finances locales (CFL), qui a étudié l'année dernière quatorze ou quinze scénarios de réforme.
Rappelez-vous : la dotation d'intercommunalité était divisée en sous-enveloppes en fonction de la catégorie juridique des intercommunalités. La loi NOTRe a cependant eu pour conséquence un accroissement du périmètre de la majorité des EPCI à fiscalité propre, et l'on s'est retrouvé avec des déséquilibres importants au sein de ces sous-enveloppes. Un certain nombre de communautés de communes et bien souvent de communautés d'agglomération ont connu en 2018 des baisses importantes de dotation que les services de l'État n'étaient pas capables de justifier. On se retrouvait dès lors avec des évolutions totalement imprévisibles et des dotations qu'on n'arrivait plus à financer, le besoin pouvant aller jusqu'à 70 millions d'euros sur un exercice budgétaire.
Le CFL a proposé de réformer cette dotation en fusionnant ces quatre sous-enveloppes et en intégrant le critère du revenu par habitant des EPCI en question, ce qui stabilise l'ensemble du dispositif. Des simulations nous ont permis, en lien avec les associations d'élus, de détecter quelques anomalies. Lors des travaux devant l'Assemblée nationale, certains effets pervers ont ainsi pu être corrigés. 90 % des EPCI à fiscalité propre verront donc leur DGF stabilisée ou augmentée en 2019. Cela s'explique, d'une part, par l'abaissement à 1,1 du coefficient de majoration du coefficient d'intégration fiscale (CIF) des métropoles, d'autre part, par la mise en place d'une garantie de stabilité pour les métropoles, communautés urbaines et communautés d'agglomération dont le CIF est supérieur à 0,35 et pour les communautés de communes dont le CIF est supérieur à 0,6.
Par ailleurs, plusieurs groupes politiques à l'Assemblée nationale ont demandé à faire entrer le produit des redevances d'eau et d'assainissement dans le calcul du CIF des communautés de communes, qui exercent bien souvent ces compétences. Cela va prendre un peu de temps, mais nous nous sommes engagés à avancer dans cette voie.
Le deuxième pilier de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » concerne la prévisibilité. Les députés, tout comme les sénateurs, souhaitent que l'on explique mieux les dotations de l'État aux collectivités. J'y suis favorable, dans la mesure où cela éviterait à beaucoup de démagogues de raconter n'importe quoi. Si les dotations évoluent, c'est tout simplement parce que la population, les critères de pauvreté ou de richesse évoluent également. Il faut se réjouir d'ailleurs que les dotations de l'État soient vivantes : si elles étaient figées, on figerait aussi les inégalités. Par exemple, le maire d'une commune qui voit sa population passer de 200 à 300 habitants percevrait une dotation fixe et ne pourrait construire une nouvelle classe pour absorber les populations nouvelles. À l'inverse, un maire qui verrait sa population diminuer continuerait à avoir droit aux mêmes dotations de l'État ! L'enjeu est de pouvoir suivre ces évolutions. Pour ce faire, il faut expliciter les critères de répartition des dotations. J'ai parfois moi-même, en tant qu'élu local, bien du mal à comprendre les notifications des dotations de l'État telles qu'elles me sont adressées.
Cela demandera beaucoup de travail aux services de l'État et n'est pas si évident à mettre en place, mais je veux que l'on puisse avancer sur le sujet, en lien avec les sénateurs.
Concernant la DSR-cible, outil de solidarité important pour le milieu rural, cher au Sénat, une garantie de sortie en cas de perte d'éligibilité a été mise en place pour assurer une transition. Auparavant, le bénéfice de la DSR était perdu du jour au lendemain. On a imaginé un système de transition permettant d'en percevoir 50 % l'année qui suit, ce qui permet d'avoir une année pour adapter son budget. C'est un véritable signal en termes de respect des élus locaux.
Par ailleurs, le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a souhaité imaginer des dispositions nouvelles dans le calcul de la DGF pour les communes dont une grande partie du territoire est classée en zones Natura 2000. Il y a derrière tout cela un débat très ouvert en termes d'aménagement du territoire, sur lequel nous reviendrons sans doute. Les échanges ont été riches à l'Assemblée nationale.
Enfin, le troisième pilier de cette mission est bien sûr la question de l'investissement local. Une aide de 2 milliards d'euros aux territoires, cela ne s'est jamais vu ! Cette aide se compose d'un gros milliard de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), d'un gros demi-milliard de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et d'un gros demi-milliard pour les départements et la dotation politique de la ville (DPV).
Le sort des communes rurales regroupées dans des intercommunalités au périmètre élargi est à ce titre significatif. Prenons par exemple le département de la Manche qui, du fait de la loi NOTRe, a vu diminuer le nombre de ses intercommunalités par la constitution de vastes EPCI à fiscalité propre : ce n'est pas parce que les communes rurales sont désormais incluses dans des communautés d'agglomération qu'elles ne sont plus rurales. Mécaniquement, elles auraient cependant pu se voir privées de l'éligibilité à la DETR. On a introduit une certaine souplesse dans l'affaire. Le débat sur le sujet a cependant été passionné à l'Assemblée nationale, certains considérant que les communes rurales inclues dans des métropoles ne devaient plus être éligibles à la DETR. Je me suis opposé à cette logique en prenant pour exemple la métropole de Nice et ses villages de montagne en milieu rural. Le débat est ouvert. Ce n'est pas un débat politique, mais un débat d'aménagement du territoire. Il faut qu'il se tienne en toute transparence, car il faudra ensuite que tout le monde assume la décision qui aura été prise.
S'agissant de la métropole du Grand Paris, elle est un mystère pour le Normand que je suis. Un consensus large est ressorti de l'Assemblée nationale sur le fait qu'il fallait reconduire les dispositifs tels qu'ils existaient jusqu'à présent, la réforme institutionnelle ne relevant pas de la loi de finances. C'est l'accord politique sur la réforme institutionnelle qui doit permettre de modifier les circuits financiers entre la métropole et les établissements publics territoriaux (EPT). J'ai cru comprendre que les Franciliens s'étaient plus ou moins accordés autour d'une forme de statu quo. Je ne sais ce qu'il en sera ici au Sénat, mais sachez que le Gouvernement est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.
Enfin, s'agissant des départements, le fonds d'urgence est rebaptisé fonds de stabilisation et doté de 115 millions d'euros par an. Pour la première fois, les présidents de conseils départementaux vont pouvoir disposer de ce fonds d'urgence jusqu'à la fin du mandat départemental. On va ainsi donner de la visibilité. Cela permet de répondre aux graves tensions que l'on observe dans les Ardennes, l'Aisne, etc., où le bouclage même du budget n'est pas assuré.
Par ailleurs, le plan Pauvreté bénéficiera de 135 millions d'euros l'année prochaine, et son enveloppe demeurera en augmentation jusqu'en 2021-2022. J'ai entendu des choses assez inexactes sur la nature des politiques sociales qui sont menées, comme si le plan Pauvreté réclamait des dépenses nouvelles. Je parle ici en tant que conseiller départemental : dans un département qui a une politique de lutte contre la fraude qui fonctionne, une politique d'inclusion efficace et qui travaille bien avec les opérateurs de l'emploi, le taux de sortie des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) est satisfaisant et l'on est « dans les clous » du plan Pauvreté. Toutes les gestions départementales du RSA ne se valent pas, si j'en crois les présidents de conseils départementaux élus en 2015.
Il existe également un enjeu de péréquation et de solidarité entre les départements. La dynamique des recettes du département des Hauts-de-Seine ou des Yvelines n'est pas celle que l'on observe dans l'Aisne ou dans les Ardennes. Avec Jacqueline Gourault, nous avons demandé à l'Assemblée des départements de France (ADF) de nous faire des propositions consensuelles sur la manière de bâtir la péréquation sur la base de ces 250 millions d'euros. Un amendement a déjà adopté à l'Assemblée nationale. Les critères sont appelés à évoluer dans la mesure où nous souhaitons que l'ADF fasse des propositions. Je crois savoir qu'un certain nombre de présidents de département, notamment d'anciens sénateurs - je pense au président du conseil départemental du Calvados - travaillent actuellement d'arrache-pied sur ces sujets.
Le projet de loi de finances pour 2019 signe la fin de la dotation globale d'équipement (DGE) des départements, qui n'était pas forcément très connue des conseils départementaux. Elle constitue une aide à l'investissement. Elle ne fonctionnait pas très bien - nécessité d'une ingénierie financière, factures, avances d'argent, un peu à la manière du FCTVA. Nous avons décidé, en lien avec l'ADF, de la réformer et de la transformer en dotation de soutien à l'investissement départemental (DSID) afin que les départements, dès l'année en cours, bénéficier de subventions d'investissement.
La DGE ne concernait que les seuls travaux d'aménagement foncier. La dotation de soutien à l'investissement départemental serait ouverte à l'ensemble des travaux. Nous avons souhaité - et l'Assemblée nationale nous a suivis - qu'elle ne soit pas conditionnée à la signature des contrats de Cahors.
Enfin, il n'y aura pas de baisse ou de ponction sur le budget des agences de l'eau dans le projet de loi de finances pour 2019. Une ponction importante a eu lieu l'année dernière, car il fallait que les agences fassent un effort au regard du fonds de roulement extraordinairement important qu'elles détenaient. Entre-temps, les comités de bassin se sont prononcés sur les nouveaux programmes. Nous avons imaginé cette année un système de plafond mordant pour limiter la dépense publique : on applique un plafond qui permet d'éviter que la dépense publique ne s'envole. Ce qui est au-dessus du plafond retournera dans le budget général de l'État. Pour l'année prochaine, le plafond sera fixé à 2,1 milliards d'euros.
Une nouveauté cependant, qui a pu amener certaines agences de l'eau, notamment celle de Seine-Normandie, à parler de baisse de leur budget : nous avons fait droit à une demande des élus portant sur la solidarité entre les bassins. Les agences sont également appelées à verser 41 millions d'euros à l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), considérant que l'AFB a des missions de police de l'eau. L'eau paye l'eau ainsi que la police régalienne de l'eau. Un débat a eu lieu l'année dernière sur le sujet au Sénat, permettant à un accord d'émerger.