Mes chers collègues, comme l'an dernier, nous avons, avec Françoise Férat et Henri Cabanel, travaillé de concert pour analyser les crédits 2019 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Au terme d'une vingtaine d'auditions nous ayant permis d'entendre plus de cinquante personnes, nous avons tiré un bilan très mitigé du budget qui nous est soumis par le Gouvernement, qui réussit l'exploit de ne pas être satisfaisant alors que nombre de dispositifs ne sont pas modifiés. Nous y reviendrons.
Avant de vous présenter ce budget, il est essentiel de rappeler combien l'année 2019 sera charnière pour l'agriculture française. Elle sera en effet confrontée à un vent d'incertitudes toujours plus violent.
Incertitudes économiques d'abord, avec la volatilité des prix, une concurrence internationale renforcée, des négociations bilatérales qui se développent et qui créent encore plus d'instabilité commerciale pour les marchandises agricoles.
Incertitudes sociétales ensuite compte tenu du débat sur les pratiques agricoles en général qui place sans cesse les agriculteurs sur le banc des accusés sans leur laisser la possibilité de rappeler tous les efforts qu'ils ont réalisés depuis cinquante ans.
Qu'il me soit permis de dire que ceci est vécu comme une profonde injustice par les agriculteurs, qui sacrifient par passion une grande partie de leur vie pour nourrir la France, souvent sans même dégager de revenus. Retenez ce chiffre : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France !
Incertitudes sur les charges également : le titre II de la loi EGALIM se traduira, dès l'année prochaine, par une augmentation considérable des coûts pour les agriculteurs.
Incertitudes sur les prix, bien sûr. Alors que cela relevait de l'impossible, la concentration de la grande distribution se poursuit, accroissant un rapport de force où l'agriculteur est toujours le plus faible - quatre centrales d'achat pour plus de 12 000 fournisseurs.
La loi EGALIM n'y changera rien. Je me demande même si le Gouvernement ne partage pas cette idée.
J'en veux pour preuve, d'une part, le très faible accompagnement budgétaire dans ce PLF 2019, puisque moins de 1 million d'euros sont accordés au titre de cette loi.
D'autre part, nous avons tous entendu, lors des débats sur la loi EGALIM, le Gouvernement annoncer une augmentation des contrôles de la DGCCRF et de FranceAgriMer dans le cadre du nouveau cadre contractuel entre acheteurs et producteurs qui avait pour but d'améliorer le revenu des agriculteurs pour lutter contre certaines pratiques déloyales et mieux protéger les agriculteurs. Cependant, les effectifs de la DGCCRF et de FranceAgriMer vont reculer en 2019 !
Mais l'incertitude la plus grave provient de la future réforme de la PAC. Le budget de la PAC représente, pour la France, trois fois le montant de la mission Agriculture, Alimentation, Forêt et Affaires rurales du PLF. Or ce budget européen devrait reculer de 15 % en euros constants lors de la prochaine programmation. La Commission européenne a également proposé de modifier le contenu de la PAC qui, en favorisant la renationalisation de celle-ci, risque de la rendre de moins en moins commune et placer encore une fois les aides européennes sous le diktat d'une écologie punitive.
On le voit, ces incertitudes sont fortes. Le PLF prend le risque d'en ajouter encore un peu plus, notamment avec la réforme fiscale présentée par le Gouvernement. Il faut le regretter car cette réforme aurait pu être unanimement approuvée.
Même si nous saluons la mise en place d'un dispositif fiscal favorisant l'épargne de précaution des agriculteurs, que nous avons appelée de nos voeux l'année dernière, le projet initial du Gouvernement permettant aux seuls agriculteurs dégageant des revenus de bénéficier de ce dispositif n'est pas satisfaisant. Comment peut-on croire que nos agriculteurs peuvent épargner avec leur niveau de revenu ?
La rédaction actuelle soumise à l'article 18 du PLF permet aux agriculteurs de recourir à ce dispositif en justifiant d'une épargne non monétaire, notamment par l'acquisition de stocks. Cette rédaction doit être conservée. Il est important toutefois de rappeler aux agriculteurs que ceci leur fera perdre le bénéfice d'une exonération fiscale induite par la déduction pour investissement, qui sera quant à elle supprimée.
De même, il convient de saluer le maintien du taux réduit de TICPE sur le gazole non-routier pour les exploitants agricoles, tout comme l'élargissement du bénéfice des exonérations de charges aux coopératives agricoles.
L'abandon des petites taxes pesant sur le secteur agroalimentaire pourrait aller dans le bon sens, à condition que ce qui est donné d'un côté ne soit pas repris de l'autre. À cet égard, la suppression de la taxe sur les huiles alimentaires pour 139 millions d'euros n'est à ce stade pas compensée de manière satisfaisante et aboutira soit à creuser le déficit du régime de retraites des non-salariés agricoles, soit à augmenter les cotisations des exploitants là où on souhaite alléger leur fardeau fiscal.
Toutefois, ce bénéfice net de la réforme fiscale pourrait être remis totalement en cause par la hausse considérable de la redevance pour pollutions diffuses réalisée à l'article 76 du PLF. L'idée est d'augmenter les taux sur les produits les plus dangereux, mais aussi sur les produits en cours d'interdiction, dont le glyphosate. Plutôt que de chercher activement des alternatives, le Gouvernement souhaite en sortir en augmentant considérablement les prix. On choisit encore l'écologie punitive au lieu de l'écologie incitative.
Cela se traduira par une hausse comprise entre 50 millions d'euros et 80 millions d'euros pour les agriculteurs. L'approche est toujours la même : pour inciter à ne plus employer les produits phytopharmaceutiques, le Gouvernement ne souhaite qu'en augmenter les prix. Toutefois, le risque est immense que ces mesures ne se traduisent par aucune baisse substantielle des usages : quand un agriculteur n'a pas d'alternative à une solution contre un ravageur ou une adventice, peu importe son prix, il en fera tout de même l'acquisition, même au prix fort.
Contre cette logique purement punitive, nous déposerons tous les trois un amendement en notre nom, préconisant de revenir à une démarche incitative. Le problème provient du manque de solutions de substitution aux produits les plus dangereux. Il faut inciter les fabricants à accélérer leur recherche pour les mettre sur le marché.
Plutôt que de taxer encore les exploitants agricoles, pourquoi ne pas dès lors taxer les fabricants de produits phytopharmaceutiques sur leurs ventes de produits les plus dangereux ? Le principe est simple : plus ils vendront des produits dangereux, plus ils seront taxés et donc incités à développer des produits moins nocifs.
Toutes ces incertitudes fiscales, économiques et sociétales ont rarement été si fortes. L'avenir de l'agriculture française est à ce point si incertain que le projet de loi de finances déposé par le Gouvernement enregistre le recul le plus important de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » depuis 2006 à périmètre courant, à hauteur de - 572 millions d'euros. Le budget passerait donc de 3 184 millions d'euros à 2 612 millions d'euros, soit une réduction de près d'un cinquième du budget de l'agriculture en une seule année.
Après prise en compte des mesures de périmètre, cela peut se résumer en une phrase : le Gouvernement demande des économies au monde agricole de l'ordre de 300 millions d'euros en 2019.
L'évolution de ces dépenses est surtout concentrée sur le programme 149, qui rassemble principalement les aides versées aux agriculteurs. Ses crédits reculent de près de 520 millions d'euros dans le projet du Gouvernement.
Cette évolution provient de deux principaux éléments : la suppression du dispositif « travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi » (TO-DE), sur laquelle reviendra Henri Cabanel, et la réduction de 100 millions d'euros de la réserve pour aléas, soit un tiers, malgré la sécheresse qui a sévi cette année en France.
Nous étions tous les trois sceptiques l'année dernière quant à l'inscription de cette provision dans le budget de l'agriculture, considérant qu'elle constituait en réalité un alibi pour imposer des coupes claires dans le budget de l'agriculture française. Une année plus tard, les faits nous ont donné raison. Nous avons même appris que la baisse de 100 millions d'euros de cette année avait été sciemment prévue dès la loi de programmation adoptée l'année dernière par le Gouvernement.
Cette réserve pour risques est d'ailleurs d'autant plus mal nommée qu'elle ne sert qu'à la couverture d'un seul risque : celui des refus d'apurement communautaire. C'est d'ailleurs sa dénomination officielle dans le projet annuel de performances (PAP) ! En 2018, sur les 300 millions d'euros alloués, 190 millions d'euros seront dépensés, dont 178 millions d'euros pour régler les apurements communautaires et le reste pour régler un contentieux que l'État a perdu. Avec 200 millions d'euros en 2019, elle ne pourra couvrir que ces refus d'apurement.
Dans ces conditions, la réserve ne constitue donc qu'une auto-assurance de l'État contre ses propres erreurs, financée par des économies passées réalisées au détriment des agriculteurs, ponctionnant le budget du ministère de l'agriculture.
Les autres dépenses d'intervention du programme 149 connaissent des évolutions moins significatives, mais parfois problématiques. Les aides à l'économie agricole ultramarine, tout comme la dotation Jeunes agriculteurs, sont stabilisées. Il est à noter que le montant des plans de compétitivité et d'adaptation des entreprises (PCAE) recule une nouvelle fois de 8 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une réduction de 27 % en deux ans, alors même que ces aides ont un effet de levier important pour l'investissement des exploitations agricoles.
Le décaissement des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) recule compte tenu du niveau anormalement élevé de l'année dernière, justifié pour réduire les retards de paiements des aides PAC accumulés par l'Agence de services et de paiements. Le Gouvernement s'est engagé à cet égard à ce que les paiements de la campagne 2018 soient réalisés selon le calendrier normal et que tous les retards soient résorbés. Nous serons très vigilants au respect de ce calendrier.
Enfin, les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) vont, quant à elles, augmenter de 20 millions d'euros à la suite de la réforme du zonage. On pourrait penser que c'est une bonne nouvelle : en fait, il s'agit d'un leurre !
Au total, si 14 210 communes demeurent dans le zonage définitif contre 10 429 dans le zonage précédent, la réforme va en faire sortir 1 293. Les 3 800 agriculteurs concernés par cette perte sont concentrés dans certains départements comme le Gers, l'Aude et les Deux-Sèvres. Les 20 millions d'euros supplémentaires couvriront à hauteur de 15 millions d'euros les bénéficiaires entrants et de 5 millions d'euros la sortie des agriculteurs perdants jusqu'en 2020.
Rappelons que la prise en compte du critère de « continuité territoriale » pour la définition des zones soumises à contraintes spécifiques, comme le permet d'ores et déjà la réglementation européenne, est une absolue nécessité pour intégrer les communes enclavées dans le zonage. C'est la position que le Sénat n'a jamais cessé de défendre.
Je laisse la parole à Françoise Férat à propos du volet relatif à la sécurité sanitaire du projet de loi de finances.