Qu'il est difficile d'évoquer ce projet de loi devant vous ce matin tant il existe de points qui ne sont pas correctement soutenus, au détriment de notre agriculture. J'en veux pour preuve le programme 206, dédié à la sécurité sanitaire, qui voit ses crédits reculer de 16 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 15 millions d'euros en crédits de paiement par rapport à l'année dernière.
L'essentiel de ce recul provient de deux dépenses purement comptables, qui entraînent un effet d'optique : la non-budgétisation de dépenses d'indemnisation, auxquelles se substitue un fonds de concours européen, et la baisse du budget dédié au règlement du contentieux sur les retraites vétérinaires, dans la mesure où ce règlement est en voie d'achèvement.
La constatation d'un recul de ce budget, même conjoncturel, ne manque toutefois pas d'inquiéter, tant la sécurité sanitaire est un impératif stratégique pour notre pays.
Si la France doit aujourd'hui être fière de son dispositif de sécurité sanitaire sur les denrées alimentaires, probablement le meilleur du monde, elle doit rester sur ses gardes face aux conséquences importantes des épizooties et des épidémies pour les agriculteurs.
L'agriculture est non seulement soumise à des aléas climatiques, mais aussi à l'apparition de maladies animales et végétales qui ont des conséquences dramatiques sur les cultures et les élevages concernés.
Permettez-moi tout d'abord d'émettre les plus vives craintes quant à la propagation de l'épidémie de peste porcine sur notre territoire. Le virus est mortel pour les espèces concernées, et sa rémanence exceptionnellement longue - de l'ordre de plusieurs mois.
La transmission du virus s'effectue principalement par les tiques, qui ingèrent le virus en se nourrissant des animaux contaminés puis le transmettent en piquant d'autres animaux sensibles. Il se transmet également par contact direct avec des animaux infectés ou par ingestion de déchets alimentaires touchant de la viande de porc contaminée, transformée ou non.
C'est sans doute en raison d'un déchet infecté, jeté dans une poubelle d'une aire d'autoroute par un routier d'Europe de l'Est, que 155 cas de peste porcine ont été détectés chez des sangliers trouvés morts dans la région d'Étalle, au sud de la Belgique, dans la zone frontalière proche de Longwy, Montmédy et Carignan.
Plusieurs mesures ont été prises pour endiguer le phénomène. Tous les porcs domestiques de la zone d'Étalle ont été mis à mort. Une réduction de la population de sangliers a été décidée en lien avec les fédérations de chasse concernées. Des clôtures de part et d'autre de la frontière ont été installées.
Toutefois, le virus ne s'arrêtera pas aux frontières comme en d'autres temps, d'autant qu'il met la lumière sur le problème plus général de la surpopulation de gros gibiers en France, qui cause de graves dégâts dans les exploitations agricoles.
Le risque est majeur pour la filière porcine française. L'apparition du virus en France entraînerait une destruction du cheptel porcin contaminé, induisant un délai de recomposition de la taille des élevages. En outre, la France ne serait plus « indemne de peste porcine », ce qui grèvera durablement son accès à certains marchés à l'exportation, alors même que notre pays exporte 40 % de sa production porcine, notamment en Russie et en Chine.
Il faut donc appeler à la plus grande vigilance. Plusieurs pratiques, notamment celles de lâchers de gibiers importés de pays de l'Est pour entretenir les « tableaux de chasse », doivent être strictement prohibées. Les déchets alimentaires des conducteurs routiers étrangers doivent également faire l'objet d'une attention toute particulière.
Le second enjeu en matière de sécurité sanitaire relève du maintien en France d'une couverture vétérinaire suffisante. Les vétérinaires spécialisés dans l'élevage jouent un rôle essentiel dans la prévention, la détection et le traitement des épizooties sur l'ensemble de notre territoire.
Cependant, seulement 38 % des vétérinaires déclarent aujourd'hui une compétence pour les animaux d'élevage, alors qu'on constate une croissance très forte de la spécialisation en animaux de compagnie. Lorsque leur activité est majoritairement consacrée aux animaux de compagnie, il est plus difficile pour les vétérinaires de maintenir et d'actualiser les compétences requises pour le suivi spécifique des animaux d'élevage.
De ce phénomène résulte une constatation alarmante : l'apparition de déserts vétérinaires, comme sont apparus, il y a des années, des déserts médicaux. Certaines zones sont aujourd'hui totalement dépourvues de vétérinaires prêts à intervenir dans les élevages. Cette tendance ne peut que s'accroître avec le départ à la retraite à venir de nombreux praticiens. Cette désertification constituerait un drame pour nos territoires ruraux, pour notre élevage ainsi que pour la sécurité sanitaire de la France.
Le projet de loi de finances prévoit enfin la revalorisation de l'acte médical vétérinaire (AMV), qui contribue à la rémunération des vétérinaires lors des visites sanitaires annuelles obligatoires, pour les bovins par exemple. L'acte médical vétérinaire n'avait pas été revalorisé depuis 2013 ce qui a considérablement contribué aux écarts de revenus entre vétérinaires en élevage et vétérinaires spécialisés dans les animaux de compagnie.
Toutefois, l'acte médical ne sera revalorisé que de 33 centimes d'euro en 2020. Cette mesure est trop timide pour enrayer à elle seule la crise de vocation des vétérinaires ruraux intervenant dans les élevages ou, plus encore, dans les abattoirs. Elle doit être accompagnée par d'autres mesures.
Je vous proposerai un amendement en ce sens afin d'augmenter le budget des stages tutorés des écoles vétérinaires. Songeons que sur vingt élèves ayant réalisé de tels stages, plus des trois quarts travaillent désormais dans nos campagnes.
Enfin, le troisième enjeu qui me semble déterminant pour la sécurité sanitaire de la France est évidemment la bonne tenue des contrôles de denrées alimentaires importées.
Nous avons recueilli auprès des administrations concernées les résultats des contrôles aux importations qu'elles réalisent sur les denrées alimentaires. Ils sont très préoccupants.
Sur la base de contrôles physiques malheureusement trop rares, on peut estimer que 10 % a minima de ce qui est importé des pays tiers ne respecte pas les normes européennes. Ce taux s'élève à 17 % pour les produits issus de l'agriculture biologique, et ce chiffre ne prend pas en compte le taux de non-conformité des importations venant de pays de l'Union européenne, plus difficile à mesurer. Ces produits étant moins soumis aux contrôles, il est à craindre que les taux de non-conformité soient également très élevés. La Cour des comptes, dans un rapport de 2014, l'estimait à 25 % pour les produits à base de viande par exemple.
Cette situation est intenable. Elle pose d'immenses problèmes sanitaires, car ces importations nuisent à une bonne protection des consommateurs et constituent ni plus ni moins une concurrence déloyale massive pour nos agriculteurs français.
Un produit sur dix importé d'un pays hors de l'Union européenne ne respecte pas les normes. Ces denrées alimentaires qui concurrencent injustement nos agriculteurs représentent près de 1,7 milliard d'euros.
Comment assurer un contrôle efficace quand l'État dépense in fine moins de 10 millions d'euros par an pour contrôler l'ensemble des denrées alimentaires importées ? Cela représente moins d'une semaine de recettes que l'État encaisse au titre du Loto !
La photographie n'est pas rutilante, mais la perspective du Brexit et de l'arrivée massive des produits du Commonwealth en Europe ne peut qu'accentuer le problème.
La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne nécessite en France un surcroît de contrôles aux importations. Le PLF prévoit le recrutement éventuel de 40 agents supplémentaires en 2019. Ce n'est pas suffisant. Les autorités concernées ont été très claires avec nous : les besoins minimaux sont de 80 agents dans le cas du Brexit le moins dur.
Compte tenu des manques déjà constatés et des enjeux qui y sont liés, tant pour les consommateurs que pour les agriculteurs, nous vous proposerons un amendement visant à passer le recrutement d'agents chargés des contrôles aux importations de 40 à 80 ETP.
Je laisse la parole à Henri Cabanel.