Intervention de Jean-Jacques Lozach

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 novembre 2018 à 14h15
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « sport jeunesse et vie associative » - crédits « sport » et « jeunesse et vie associative » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits du sport :

Le ministère des sports est probablement celui qui a connu le plus de bouleversements depuis deux ans. Cette mutation est d'autant plus profonde qu'elle est soudaine et que ses conséquences restent encore largement méconnues ou mal identifiées. Il me semble donc indispensable de remettre les différents aspects de ces changements en perspective, pour en apprécier l'importance et mieux évaluer leur pertinence.

Nous pensions l'année dernière avoir assisté à une transformation majeure avec la redéfinition des missions et des moyens respectifs du Centre national pour le développement du sport (CNDS) et du budget du sport. Le CNDS avait vu ses recettes fiscales divisées par deux à 133,4 millions d'euros tandis que les crédits du programme 219 augmentaient fortement à 348,23 millions d'euros en crédits de paiement au profit des dépenses d'intervention. Cette hausse avait bénéficié essentiellement aux dépenses de l'action n° 1 de « promotion du sport pour le plus grand nombre » et de l'action n° 2 de « développement du sport de haut niveau ».

Face à notre inquiétude concernant les engagements du CNDS, une enveloppe supplémentaire avait été prévue dans le Projet de loi de finances rectificative (PLFR), ce qui avait permis de stabiliser les crédits du sport. Pour autant, je m'étais interrogé sur l'avenir du CNDS et du financement des projets engagés en 2019 et 2020. Une rebudgétisation totale du CNDS et un changement de nom étaient évoqués. Si je reviens sur ce débat de l'année dernière, c'est que les changements annoncés cette année sont encore plus considérables que ceux initiés par le Projet de loi de finances (PLF) 2018. C'est l'organisation même de la politique du sport et le rôle de ses acteurs respectifs qui vont être profondément redéfinis suite à la consultation menée depuis janvier 2018 sur la rénovation du modèle sportif français. Différentes réflexions ont, par ailleurs, été conduites ces derniers mois, je pense notamment au groupe de travail de Claude Onesta, ancien sélectionneur et entraîneur de l'équipe de France de handball, « Performance 2024 »

L'annonce de la suppression du CNDS, ou plutôt de son intégration dans la future Agence nationale du sport qui sera créée au premier semestre 2019, constitue le fait majeur de ce débat budgétaire. Cette agence doit fonctionner sur un mode quadripartite associant l'État, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et le monde économique.

Je regrette que les commissions en charge du sport des deux assemblées n'aient pas été véritablement associées à cette réflexion alors même que nous sommes membres invités du conseil d'administration du CNDS avec voix consultative. Nous aurions pu poser des questions sur le fonctionnement opérationnel de la nouvelle agence qui reste très peu précis à ce stade. Je pense notamment au fonctionnement des commissions régionales de financement et à la façon dont les collectivités territoriales et les entreprises seront associées, mais aussi à l'articulation entre l'agence et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) qui ne sont pas clairs.

Je vous rappelle que les missions confiées à cette agence seront vastes puisqu'il lui reviendra d'assurer une cohérence stratégique entre les niveaux nationaux et locaux ; d'améliorer l'évaluation des performances des fédérations dans la détection et la formation des athlètes à fort potentiel ; de mobiliser des professionnels de soutien de très haut niveau ; de rattraper notre retard en matière de veille, de recherche et d'innovation ; d'attirer les meilleurs entraîneurs alors que cinquante d'entre eux travaillent désormais auprès d'équipes étrangères et de mobiliser les startups du monde du sport.

La création de cette agence, qui ne sera effective qu'en mars 2019, a suscité de nombreuses interrogations et inquiétudes, notamment de la part des fédérations.

Ces inquiétudes n'ont pas été apaisées par l'annonce du Gouvernement selon laquelle l'État ne rémunérera plus directement quelques 1 600 conseillers techniques sportifs (CTS). Même si cette évolution n'est pas prévue dans le présent PLF, la réaction a été vive dans le mouvement sportif comme en témoigne la lettre ouverte aux élus signée par près de 400 sportifs de haut niveau. La mobilisation a été d'autant plus forte que la réduction drastique des contrats aidés et la suppression de nombreux emplois associatifs a aussi fragilisé et va encore plus fragiliser dans l'avenir notre maillage territorial des clubs.

L'absence de moyens nouveaux suffisants pour préparer les sportifs de haut niveau pour 2024 a aussi créé un doute sur les ambitions du Gouvernement. Même le Président du Comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques de Paris (COJOP), Tony Estanguet, malgré son devoir de réserve, a fait part de ses préoccupations, rejoignant celles du mouvement sportif.

Pour autant, nous avons bien conscience de la nécessité d'actualiser, de moderniser le modèle sportif français, en intégrant le phénomène de mondialisation, l'hypermédiatisation, la diplomatie sportive. Il est urgent d'avancer afin de répondre à l'explosion du sport-business dans certaines disciplines, à la montée en puissance des collectivités territoriales, à la nécessité de densifier le sport-entreprise, en associant le monde économique, à la responsabilisation attendue du mouvement sportif, à la mise en oeuvre d'une stratégie en matière de sport-santé et aux opportunités offertes par les évolutions technologiques impactant tant l'activité physique du quotidien que le sport de haut niveau.

Plus généralement, le sport doit contribuer à l'activité économique, à l'emploi et à une société plus inclusive ; ce qui implique de moderniser la mission de service public déléguée par l'État. Dans le nouveau schéma d'organisation il est prévu que les services du ministère recentrent leur action sur les missions de stratégie, de régulation, de réglementation et de contrôle, notamment éthique. La réussite de cette mutation se mesurera à l'aune des résultats des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Nous devons être à la hauteur de l'enjeu tant pour l'organisation que pour le nombre de médailles. Nous avons une double obligation de résultat.

Avec la tenue des Jeux olympiques et paralympiques à Paris, l'occasion est belle de s'atteler à optimiser la haute performance du sport français au XXIe siècle. Depuis les Jeux olympiques de Séoul en 1988, la France s'est toujours classée parmi les dix nations ayant obtenu le plus grand nombre de médailles, oscillant entre une cinquième place en 1996 et une dixième en 2008.

Mais depuis les Jeux olympiques d'Atlanta de 1996, elle ne parvient pas à faire partie du « Top 5 » ; son ambition à chaque édition. Et elle ne vise jamais le « Top 3 », qui correspondrait pour 2024 à l'objectif de quatre-vingt médailles, exprimé par Laura Flessel, l'ex-ministre des sports, et confirmé le vendredi 16 novembre par Roxana Maracineanu, l'actuelle ministre.

J'avais proposé l'année dernière au Gouvernement de mettre en chantier rapidement une loi de programmation budgétaire pour préparer les Jeux olympiques et paralympiques au cours de la période 2019-2024, ainsi que la Coupe du monde de rugby de 2023. Faute de pouvoir disposer de cet outil qui sanctuariserait les moyens nécessaires à l'organisation de ces grands événements, le risque est grand que la baisse des crédits du programme 219, après des ajustements, soit perçue comme un transfert de crédits vers le programme 350 ; ce qui pourrait nuire à ce grand événement populaire que doivent être les Jeux olympiques et paralympiques.

Si ce sentiment est en train de devenir quelque peu réalité et que ce budget a été décrié, c'est aussi parce que le Gouvernement n'a pas pris la précaution d'isoler les crédits de la société de livraison des équipements olympiques (SOLIDEO) du reste des crédits du ministère du sport comme l'aurait souhaité également le délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, Jean Castex.

Du coup, non seulement les crédits du ministère apparaissent en baisse à 319 millions d'euros en 2019 contre 347 millions d'euros en 2018 mais, surtout, les crédits de l'action n° 1 « promotion du sport pour le plus grand nombre » chutent de 40 millions d'euros - passant de 89 millions d'euros en 2018 à 49,4 millions d'euros en 2019 - tandis que les crédits consacrés à la SOLIDEO dans le programme 350 augmentent de plus de 17 millions d'euros.

Permettez-moi à cet égard de rétablir la vérité des chiffres pour que nous puissions porter un regard objectif sur ce budget très médiatisé. À structure constante, c'est-à-dire avant transfert de crédits à la nouvelle agence du sport, le montant du programme 219, en retrait par rapport à 2018, s'explique à la fois par une baisse de 39 millions des crédits de l'action n° 1 du fait de l'évolution tendancielle des compensations auprès de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) des exonérations de charges sociales sur la rémunération des arbitres et juges sportifs. Ce montant s'explique également par des moyens nouveaux, à hauteur de 40 millions d'euros, prévus pour la nouvelle agence du sport, par la remise à niveau des dotations consacrées aux travaux d'investissement et de rénovation de la partie Sud de l'INSEP, soit une baisse de 2,33 millions d'euros en crédits de paiement, - la réalisation des travaux programmés les plus importants impliquant une baisse de 1,43 million d'euros en crédits de paiement -, et par l'ajustement aux besoins réels et à une programmation pluriannuelle des principaux dispositifs opérationnels transférés au programme 219 en 2018. Ainsi, les moyens dédiés aux grands événements sportifs internationaux (GESI) baissent de 16 millions d'euros en crédits de paiement, alors que la France doit accueillir la coupe de monde de football féminin en 2019, et ceux consacrés au soutien aux équipements structurants nationaux baissent de 6,74 millions d'euros en crédits de paiement. Enfin, d'autres dispositifs font également l'objet d'ajustements comme la prise en charge des cotisations de retraite des sportifs de hauts niveau - baisse de 1,2 million d'euros en crédits de paiement - ainsi que les aides personnalisées versées aux sportifs de haut niveau, soit une baisse de 1,27 million d'euros en crédits de paiement.

Compte tenu de ces ajustements, la ministre des sports évoque un budget « préservé » et elle revendique une « démarche de budgétisation sincère visant à mieux mettre en adéquation les moyens et les besoins ».

Je retiens pour ma part deux évolutions significatives : d'une part, la nouvelle agence du sport bénéficiera en 2019 d'un budget évalué à près de 350 millions d'euros, au lieu des 400 millions euros arrêtés par la concertation, qui intégrera les subventions accordées par le ministère des sports au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), et au Comité paralympique et sportif français (CPSF). Près de 70 % des moyens d'intervention de cette agence seront dédiés au développement des pratiques. L'enveloppe destinée à la haute performance, évaluée à 90 millions pour 2019, sera quant à elle en hausse de plus de 40 % par rapport à 2018, année pré-olympique. D'autre part, un exercice d'optimisation a été mené lors de la préparation du PLF 2019, afin de dégager des moyens nouveaux en faveur de la future agence du sport. Le sport de haut niveau et la haute performance bénéficieront ainsi de 25 millions d'euros et le développement des pratiques, de 15 millions d'euros. Pour accompagner le développement des pratiques, la ministre des sports a fait adopter, lors du débat à l'Assemblée nationale, un amendement gouvernemental augmentant de 15 millions d'euros le plafond de la taxe sur les droits de retransmission audiovisuelle des événements sportifs, dite taxe Buffet. Ces 15 millions supplémentaires seront affectés aux mesures en faveur de la lutte contre les inégalités d'accès à la pratique sportive ainsi qu'au programme « savoir nager ». Au total, les mesures nouvelles qui accompagnent la création de la future agence représentent donc 55 millions d'euros.

Ces moyens ne sont pas suffisants, si nous souhaitons véritablement donner une nouvelle impulsion au sport dans notre pays. Mais ce n'est pas parce que le « grand bond en avant » n'est pas au rendez-vous que nous pourrions pour autant évoquer un recul.

J'observe que le Gouvernement a souhaité commencer par réformer l'organisation du sport français. Je souhaite qu'il s'attelle demain aux moyens afin de ne pas faire l'impasse sur les Jeux olympiques et paralympiques d'été de 2020 et les Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de 2022, sans oublier les autres rendez-vous internationaux avant 2024.

Permettez-moi maintenant d'évoquer deux institutions auxquelles je reste attaché, l'INSEP et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

Les moyens de l'INSEP baissent de 6,5 % à 37,3 millions d'euros. Cette baisse ne concerne pas le fonctionnement de l'établissement mais les investissements qui diminuent de 1,4 million d'euros compte tenu de l'achèvement du programme de rénovation.

J'avais indiqué l'année dernière que l'INSEP avait identifié deux types de besoins nouveaux. Le directeur général de l'établissement souhaitait internaliser la restauration qui n'était plus adaptée aux athlètes de haut niveau et il souhaitait pouvoir disposer d'un mur d'escalade, d'un dojo pour le karaté et d'une grande salle multisport pour le handball et le volley-ball. Ces trois équipements nécessiteraient à eux-seuls une enveloppe de 10 millions d'euros. Or ces projets d'investissement ne semblent pas avoir progressé, ce qui est contradictoire avec l'objectif revendiqué d'augmentation du nombre des médailles lors des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Je remarque, par ailleurs, que la gouvernance de l'INSEP est aujourd'hui fragilisée et que sa place dans le nouveau schéma d'organisation de la politique du sport de haut niveau doit être précisée.

Un mot sur les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) auxquels nous restons attentifs. La subvention correspondant à la rémunération du personnel baisse à 49,33 millions d'euros du fait de la poursuite du transfert d'une partie du personnel de service aux régions. Mais la subvention de fonctionnement, hors personnel, augmente à 7,23 millions d'euros.

Concernant la lutte contre le dopage, vous avez accepté madame la présidente que nous organisions au premier trimestre 2019 une table-ronde, afin de faire le point sur ce sujet fondamental pour l'éthique du sport et la santé des sportifs. Ce sera aussi l'occasion de faire le bilan des suites du rapport de la commission d'enquête du Sénat de 2013.

L'Agence française de lutte contre le dopage est aujourd'hui à la croisée des chemins puisqu'elle doit impérativement se doter d'un nouveau laboratoire. Je dois dire que je suis très étonné des atermoiements de l'État qui, pour de mauvaises raisons, tarde à valider le projet élaboré par l'AFLD de création d'un cluster scientifique sur le plateau de Saclay. L'alternative, poussée par certains, d'une localisation à Évry ne présente aucun des avantages de Saclay en termes scientifiques. Je souhaite que ce dossier aboutisse dès 2019 afin de ne plus perdre un temps précieux. Il est impératif que le savoir-faire français en matière de lutte contre le dopage soit à nouveau reconnu au niveau mondial. Les moyens de l'AFLD sont, pour leur part reconduits, en 2019.

En conclusion, madame la présidente, je crois pouvoir dire que les chantiers que devra conduire la nouvelle ministre sont considérables. J'en citerai trois en particulier : la montée en puissance de la SOLIDEO doit être organisée et ses financements préservés ; la transition vers l'Agence nationale du sport ne doit pas négliger les engagements du CNDS qui doivent être honorés ; enfin, un grand plan de rattrapage des équipements sportifs doit impérativement être lancé comme le rappelle l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES). Nous équipements locaux ont vieilli et ils ne permettront pas d'augmenter la pratique du sport comme le souhaite, à juste titre, la ministre.

Compte tenu de ces points de vigilance, je retiens que les difficultés qui focalisent les mécontentements concernent à la fois le PLF 2019 et les incertitudes plus générales relatives notamment à l'avenir du ministère des sports et de ses 1 600 CTS.

Le 13 septembre 2017, à la réunion du (C.I.O.) de Lima, la France obtenait l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, soulevant un grand enthousiasme dans le pays. La préparation de ces jeux nécessite de construire d'ici 2024 un « héritage olympique », ce qui fait aujourd'hui consensus. La préparation des jeux s'accompagne également d'un objectif d'accroissement de trois millions du nombre de pratiquants sportifs initialement porté par Laura Flessel, puis confirmé par Roxana Maracineanu.

Pour atteindre ces objectifs, des moyens financiers et humains doivent être à la hauteur des enjeux. Mais après un budget des sports pour 2018 en baisse, le Gouvernement nous propose à nouveau un budget en diminution. J'ajoute que la création de la future Agence nationale du sport suscite aujourd'hui peut-être plus de craintes que d'espoirs, certains experts mettant en évidence le risque de privatisation de la politique en faveur du sport et le fait que l'État pourrait renoncer à exercer une mission essentielle qui lui incombe. Sans reprendre nécessairement cette analyse à mon compte, je considère que les incertitudes qui demeurent sont incompatibles avec le droit d'information du Parlement.

Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits, en réaffirmant la nécessité pour le Gouvernement de prendre la réelle mesure de l'effort à produire pour atteindre nos objectifs pour 2024.

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