Intervention de Jean-Marie Morisset

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 novembre 2018 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « cohésion des territoires » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Marie MorissetJean-Marie Morisset, rapporteur pour avis sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » :

Le programme 177 finance principalement des structures d'hébergement d'urgence et des dispositifs de logement adapté, afin de répondre aux demandes d'hébergement des personnes en détresse et d'accompagner les plus précaires vers l'accès au logement. En raison de la progression de la pauvreté et de l'exclusion ainsi que des flux migratoires, les demandes d'hébergement ont considérablement augmenté ces dernières années, sollicitant fortement les structures financées par le programme 177 : le nombre de places en hébergement d'urgence a ainsi progressé de 180 % entre 2010 et 2017.

Pour répondre à cette demande, les moyens alloués au programme ont augmenté significativement. Les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019 sont supérieurs de 562 millions à ceux ouvert pour 2014, soit une augmentation de 42 %, ce qui est important dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques.

Malgré cette progression significative des moyens, le programme souffre d'une sous-budgétisation chronique depuis plusieurs années : en 2014, il a fallu rajouter 153 millions, 225 millions en 2015, 238 millions en 2016, 221 millions en 2017.

Un effort de « sincérisation » budgétaire a été engagé depuis l'an dernier, en lien avec les services déconcentrés de l'État, pour prévoir des moyens adaptés aux besoins de financement. Toutefois, l'exécution du programme en 2018 devrait dépasser les 2 milliards et être supérieure de 8 % à l'enveloppe de crédits ouverte en loi de finances initiale, au bénéfice de reports généraux et de crédits supplémentaires prévus en loi de finances rectificative. Soulignons cependant que cet écart entre crédits votés et crédits exécutés se réduit par rapport aux années précédentes.

Pour 2019, les crédits demandés s'élèvent à 1,86 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,88 milliard d'euros en crédits de paiement. Ils sont supérieurs à ceux consommés en 2017 et progressent, à périmètre constant, par rapport à ceux ouverts en 2018. Ils demeurent toutefois inférieurs à la prévision d'exécution pour 2018. Si le programme tend donc vers une budgétisation plus sincère, les efforts semblent insuffisants et l'exercice 2019 pourrait encore être marqué par une sous-budgétisation.

Le budget du programme pour 2019 s'inscrit dans le cadre du plan « logement d'abord » et de la stratégie de lutte contre la pauvreté annoncée en septembre dernier par le Président de la République. Des moyens supplémentaires sont dès lors alloués au développement des différentes formes de logement adapté, à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale. Face aux ambitions affichées, ces moyens risquent toutefois d'être limités pour atteindre les objectifs fixés.

Les mesures du plan « logement d'abord » reposent sur l'approche d'un « chez soi d'abord », qui a été notamment mise en oeuvre avec succès aux États-Unis. Elle vise à proposer en priorité aux personnes sans-abri des logements pérennes plutôt que des solutions d'hébergement temporaires. Le plan prévoit d'ouvrir 40 000 places supplémentaires en intermédiation locative, et 10 000 nouvelles places en pensions de famille, ce qui suppose de doubler le nombre de places en cinq ans. Cette orientation va dans le bons sens mais l'augmentation des crédits de 8,4 millions prévue 2019 apparait assez faible face à l'objectif fixé.

La stratégie de lutte contre la pauvreté comprend une enveloppe de 125 millions dédiée à l'hébergement et l'accompagnement vers le logement des familles, au développement des maraudes et de la protection de l'enfance. Pour 2019, les services du ministère des solidarités et de la santé m'ont indiqué que dans ce cadre, une enveloppe de 20 millions serait transférée par amendement au profit du programme 177 pour financer des mesures destinées aux familles avec enfants. Une partie de cette enveloppe serait également dédiée au soutien des maraudes, pour cinq millions d'euros, à l'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel, pour cinq millions d'euros, et aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Là encore, les moyens alloués sont modestes face aux ambitions affichées.

Par conséquent, je partage les orientations contenues dans ces plans mais je suis quelque peu réservé quant à la capacité d'atteindre, dans les délais, les objectifs fixés, en raison des moyens budgétaires prévus.

Dans ce contexte, je souhaiterais vous faire part de trois points de vigilance. Le premier concerne la situation des personnes migrantes. Le programme 177 finance des structures d'hébergement généralistes, le financement des dispositifs dédiés aux migrants revenant en principe au ministère de l'intérieur. Avec l'accroissement des flux migratoires, le programme 177 a cependant du financer des structures d'hébergement pour migrants. Pour clarifier cette situation, le programme a connu différentes mesures de transfert : le financement des centres d'accueil et d'orientation (CAO) a été transféré du programme 177 au programme 303 « immigration et asile » au 1er janvier 2018. Le PLF pour 2019 prévoit de transférer le financement des centres d'hébergement d'urgence pour migrants (CHUM), l'accompagnement et le transport des migrants à la mission « immigration, asile et intégration ». Cette mesure correspond à un transfert de crédits s'élevant à 118,7 millions alors que ces dispositifs ont représenté un coût de 150 millions en 2018. Je doute de la capacité d'une telle réduction de ces dépenses destinées à la prise en charge des migrants.

Par ailleurs, compte tenu de l'obligation d'hébergement inconditionnel et des difficultés de contrôle des personnes migrantes, l'objectif d'une prise en charge différenciée des personnes entre dispositifs généralistes et dispositifs dédiés aux migrants apparait difficile à atteindre.

Le second point de vigilance concerne le recours aux nuitées d'hôtels. L'hébergement à l'hôtel a connu une forte augmentation ces dernières années, passant de 14 000 places en 2010 à 45 000 en 2017. L'hôtel constitue ainsi le moyen de répondre à la hausse des demandes d'hébergement d'urgence, en particulier l'hiver, faute de places suffisantes en centres d'hébergement. Un plan de réduction des nuitées hôtelières sur trois ans a été lancé par le Gouvernement en février 2015, dont l'objectif était de limiter l'augmentation de ces nuitées de 10 000 places par rapport à sa progression tendancielle. L'objectif a été quasiment atteint grâce à la création de places en centres d'hébergement et dans le logement adapté. Face à une demande toujours croissante d'hébergement d'urgence, ce plan de réduction n'a cependant permis que de limiter la progression du recours à l'hôtel. Alors que la demande progresse, l'augmentation des dispositifs de substitution ne fait qu'accroître la capacité d'accueil globale en hébergement d'urgence mais ne réduit pas le recours à l'hôtel. Deux tendances sont préoccupantes. D'une part, certaines personnes sont hébergées à l'hôtel pendant plusieurs mois voire plusieurs années : cette solution perd donc son caractère temporaire alors qu'elle n'est pas adaptée à un accompagnement vers le logement. D'autre part, certains territoires voient dorénavant leur capacité hôtelière saturée, en particulier en région parisienne. Derrière la limitation de la progression des nuitées d'hôtels se cache ainsi l'impossibilité d'augmenter le nombre de places à l'hôtel, laissant dès lors un nombre important de personnes sans solution d'hébergement. Comme l'ont rapporté plusieurs personnes auditionnées, il n'est pas rare de voir des familles sans-abri se rendre dans les services d'urgence des hôpitaux parisiens pour y passer la nuit, faute de solution d'hébergement.

Enfin le dernier point d'attention concerne les CHRS et, plus largement, l'accompagnement social. Le plan d'économies de 57 millions sur quatre ans pour la convergence tarifaire des CHRS impose d'importantes réductions de coût pour ces structures. Comme l'ont indiqué plusieurs associations, ces économies vont entraver la qualité d'accueil des CHRS et risquent de créer une sélection des publics accueillis, qui doivent s'acquitter d'une participation financière pour y être hébergées. Surtout, ces réductions des coûts s'effectueraient au prix de l'accompagnement social qui fait l'intérêt de ces structures. Je rappelle que près de la moitié des personnes accueillies en CHRS accèdent à un logement autonome à leur sortie. Le Gouvernement a reconnu les difficultés que rencontrent les CHRS et a décidé qu'ils bénéficieraient d'un soutien supplémentaire dans le cadre de l'enveloppe de 20 millions qui sera transférée au programme 177 pour 2019.

Si l'objectif du « logement d'abord » vise à trouver une solution de logement pérenne aux sans-abri sans passer systématiquement par des structures temporaires comme les CHRS, il ne peut être atteint à court terme en affaiblissant ces structures.

La réussite de l'insertion vers le logement passe par un accompagnement social renforcé et coordonné. Les ambitions des plans « logement d'abord » et « pauvreté » vont dans le bon sens à cet égard : renforcement des maraudes pour aller vers les sans-abri, mesures d'accompagnement pour la sortie de l'hébergement à l'hôtel, création de référents de parcours pour assurer un meilleur suivi de la personne. Ce sont autant de mesures intéressantes pour lesquelles les financements ne sont pas bien identifiés voire pas encore prévus. Comme je l'ai indiqué aux services du ministère des solidarités et de la santé, notre commission devra être attentive au bon déploiement de ces mesures.

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