Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 21 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Agnès Pannier-Runacher :

Madame la présidente, monsieur le sénateur Éric Gold, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les déséquilibres au sein de nos territoires est une préoccupation centrale du Gouvernement.

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a voulu conduire une action globale, transversale et mieux coordonnée en matière de cohésion territoriale et de cohésion sociale.

Je n’en citerai que quelques exemples, qui sont bien connus des membres de cette assemblée : le programme « Action cœur de ville », par lequel 222 villes moyennes vont conclure un contrat de partenariat avec l’État et ses partenaires privés et publics pour la rénovation de leurs cœurs de ville ; le déploiement du numérique dans les territoires, grâce au plan France Très haut débit, pour permettre un accès au haut débit de qualité dans tous les territoires d’ici à 2020 et leur couverture en très haut débit d’ici à 2022 ; une mutualisation, grâce à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, de l’action des acteurs du secteur du logement social, qui seront regroupés en fonction des besoins des territoires.

La cohésion des territoires, c’est aussi et avant tout l’accès aux services de base dans les régions moins urbanisées, comme cela a été souligné.

Je pense à la couverture en téléphonie mobile de qualité, qui sera généralisée dans les cinq prochaines années grâce à l’accord historique signé par les opérateurs de téléphonie mobile en janvier dernier.

Mais c’est aussi, et l’auteur de la proposition de loi a raison de le souligner, l’accès aux services bancaires, notamment l’accès aux espèces et aux moyens de paiement.

Certes, les paiements dématérialisés se développent : ils ont vocation à représenter une part croissante des transactions. Mais les Français sont encore attachés aux moyens de paiement traditionnels que constituent les chèques ou les espèces.

Permettre l’accès de tous aux espèces, y compris dans les territoires ruraux, est donc un objectif tout à fait légitime. Au reste, il me semble compatible avec le souhait du Gouvernement de créer le meilleur écosystème possible pour développer des solutions de paiement innovantes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de rappeler quelques éléments factuels sur la couverture de notre territoire en services bancaires, notamment en matière de fourniture d’espèces.

Alors que les espèces connaissent un recul progressif sur le plan du nombre de transactions réalisées, la France dispose toujours d’un maillage de distributeurs dense et de bonne qualité, avec environ 56 650 machines sur notre territoire.

Selon la Banque de France, 87 % des habitants vivent à moins de cinq kilomètres d’un distributeur automatique de billets, et 98 % à moins de dix kilomètres. Le cas extrême, celui d’une commune située à plus de vingt kilomètres d’un distributeur, concerne 0, 1 % de la population française, principalement dans les territoires reculés des Alpes ou de Corse.

Il est vrai, comme Éric Gold l’a souligné, que certaines banques ont entrepris de réduire le nombre de distributeurs. Mais il s’agit le plus souvent d’une rationalisation en zone urbaine, et ce n’est pas le choix de toutes les banques.

Surtout, de nombreuses initiatives existent déjà pour favoriser un meilleur accès des territoires ruraux aux espèces, en complément des distributeurs automatiques de billets ou des guichets de banque sur nos territoires.

Je pense, par exemple, aux points relais, qui permettent aux clients d’une banque de retirer des espèces auprès d’un commerçant, lequel agit comme agent bancaire par le biais d’une convention.

Le développement de services bancaires proposés par les buralistes est également un exemple de l’inventivité des acteurs privés pour répondre aux besoins des citoyens. En l’occurrence, ces derniers peuvent ouvrir un compte bancaire auprès des buralistes qui le proposent.

Du côté public, La Banque postale est un acteur majeur au service des populations rurales les plus isolées.

Je rappelle que La Poste est chargée par la loi d’une mission de service public de contribution à l’aménagement du territoire, qui impose la présence d’au moins 17 000 points de contact sur l’ensemble du territoire. À ce titre, La Poste maintient, au-delà de ses besoins commerciaux, un réseau de points de contact dans les zones rurales et de montagne, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les départements d’outre-mer. Ces points de contact offrent un accès aux services financiers et au retrait d’espèces.

La Banque postale dispose à ce jour d’un maillage robuste de distributeurs automatiques de billets : ces derniers sont près de 8 000, implantés dans près de 3 000 communes ou arrondissements de communes, dont 1 260 dans les communes rurales, en zone de montagne ou de revitalisation rurale.

Un Fonds postal national de péréquation territoriale, alimenté chaque année, pour la période 2017-2019, à hauteur de 174 millions d’euros par des abattements de fiscalité locale, permet notamment de financer le maintien de ce réseau.

Ainsi, si je partage pleinement le souhait de garantir une accessibilité aux services bancaires de base pour tous nos concitoyens, y compris et surtout dans les territoires ruraux, je recommanderai volontiers d’affiner le diagnostic, de manière à prendre les meilleures décisions sur le sujet.

Par ailleurs, les mesures figurant dans cette proposition de loi pourraient soulever de nombreuses difficultés sans réellement répondre au problème de desserte en espèces des territoires.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit de créer un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, qui pourrait être alimenté et géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Il me semble que cette disposition pose plusieurs problèmes.

Pour les banques qui possèdent déjà des distributeurs en zone rurale, ce dispositif de subvention créera un important d’effet d’aubaine. Il paraît très difficile de discriminer cette aide pour l’attribuer aux distributeurs non rentables, car il est délicat de distinguer les distributeurs rentables de ceux qui ne le sont pas, sans compter que des distributeurs non rentables peuvent néanmoins avoir un intérêt commercial pour les banques. Cela dépend en effet de leur politique commerciale.

Dans les zones qui ne disposent pas d’un accès aisé aux espèces, il n’est pas sûr que l’installation d’un DAB offre la solution la plus pertinente. C’est notamment le cas lorsqu’aucune banque n’est solidement implantée dans ce territoire, qui ne trouvera aucun intérêt à investir dans des équipements déconnectés de sa stratégie commerciale.

D’autres moyens pour favoriser l’accès aux espèces pourraient être privilégiés. On peut par exemple faire appel au réseau des commerçants en place via des dispositifs de « points verts » ou via la nouvelle pratique du cashback que vous avez évoquée.

Au-delà de ces difficultés pratiques, ce dispositif pose en outre une importante difficulté juridique, notamment au regard du droit européen en matière d’aides d’État. Les ressources de ce fonds, en partie publiques, pourraient constituer une aide aux banques non conforme aux traités européens.

De même, le fait que la loi confie, de manière unilatérale, la gestion d’un fonds à la Caisse des dépôts et consignations pourrait se révéler fragile du point de vue du droit de la commande publique. La gestion d’un fonds peut en effet s’analyser comme une prestation de services, qui doit donner lieu à une passation de contrat selon les règles du code des marchés publics.

Enfin, j’émets des réserves sur la viabilité du dispositif au regard du droit budgétaire.

Je souhaite ainsi rappeler qu’il n’est pas possible de mobiliser l’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue à l’article 235 ter ZE bis du code général des impôts. Jusqu’en 2028, le produit de cette taxe est en effet affecté au fonds de soutien destiné à désensibiliser les emprunts à risque des collectivités locales.

Par ailleurs, une telle mesure, qui serait de nature à créer de nouvelles charges non compensées pour l’État, ne pourrait figurer que dans une loi de finances.

En outre, la contribution éventuelle de la Caisse des dépôts et consignations ne pourrait résulter que d’une décision de cette institution, sauf à ce que le législateur choisisse de créer une charge non compensée pour la Caisse des dépôts et consignations.

Enfin, le dispositif de l’article 2, qui prévoit d’étendre la portée des obligations que la loi impose déjà à La Poste dans le cadre de sa mission d’accessibilité, aurait des effets déstabilisateurs pour les équilibres économiques de ce groupe, alors même que cette entreprise prend déjà plus que sa part de l’effort pour contribuer à la disponibilité des services bancaires partout sur le territoire.

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